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Halte au feu !

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Né en 1956, Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon se destine très tôt à une carrière militaire prestigieuse. Formé au Prytanée national militaire puis à l’ESM Saint Cyr, promotion Capitaine Guillemot, il termine sa formation initiale dans l’armée blindée de Cavalerie à Saumur. S’étant distingué sur plusieurs théâtres d’opérations, il est nommé chef de cabinet militaire du Premier Ministre avant d’accéder à la fonction suprême de Chef d’État-major des Armées en 2014. Mais, suite à un désaccord quant au budget alloué à la Défense, le général de Villiers présente sa démission au président de la République peut après le traditionnel défilé militaire du 14 juillet 2017. Suite à cet évènement le général passe de l’épée à la plume tout d’abord avec Servir (2017) où il revient sur les raisons ayant conduit à sa démission, puis avec Qu’est-ce qu’un chef ? (2018) où il dévoile ses perspectives sur notre société à travers le prisme de ses 43 années passées au service de la France. C’est dans la lignée de ce dernier ouvrage que se place l’Équilibre est un courage (2020), revenant sur les évènements récents qui ont marqué l’exercice du pouvoir à savoir la crise des gilets jaunes, puis la crise sanitaire de la Covid 19.


C’est dans un discours d’Albert Camus proclamé lors de la Conférence sur la Civilisation Européenne en 1955 que l’ouvrage puise son titre : « En fait, l’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir. » 1 C’est à juste titre en cherchant à comprendre la société de demain que l’auteur constate que la France est divisée, les relations humaines nécrosées, les territoires fracturés. Il y a une urgence de réconciliation entre ces France. Il faut panser les plaies sans délai et cesser de les ignorer. Halte au feu !

Les trois France

Si en 1986 le sociologue Hervé Le Bras divisait la France en trois strates politiques et brisait le mythe d’une nation unie et indivisible2. Pierre de Villiers après deux tours de France successifs porte l’idée que trois France se font désormais face et se regardent sans se connaître. D’abord la « France oubliée », celle des Gilets Jaunes et de nos territoires ruraux qui ne bénéficie pas d’un égal accès aux services publics mais sur laquelle l’État prélève des impôts. Cette France que l’on dirige depuis les métropoles sans en comprendre le fonctionnement et qui se sent abandonnée. Viendrait ensuite la « France exclue », celle des cités aux volontés séparatistes, exclue de la globalisation, une France pour laquelle la République ne fait rien, où l’envie de sortir de la misère entraîne certains jeunes dans le trafic de drogue. Une France pour laquelle les acteurs politiques locaux portent une responsabilité en achetant la paix sociale par une forme de lâcheté en fermant les yeux sur les activités illégales. C’est au sein de cette France que l’auteur affirme que la protection des concitoyens, premier des devoirs régaliens, n’est plus assurée. Enfin, vient la « France aveugle », celle des cols blancs, individualiste où la grande richesse côtoie l’extrême pauvreté.

La nécessité d’une nouvelle Union Sacrée

La distance entre ses trois France, arrive à un point de rupture jusque dans les foyers comme le montre l’exemple du père allant manifester avec les gilets jaunes se retrouvant face à son fils CRS, qui a d’ailleurs décidé l’auteur à écrire ce livre. La priorité de souder cette fracture semble être la plus urgente dans les priorités de l’auteur. S’il cite à plusieurs reprises Clémenceau, « l’homme de l’union sacré » (page 331), faisant référence au rapprochement qui a fédéré les Français de toutes tendances lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, c’est à travers le prisme de l’expérience militaire et de son organisation que Pierre de Villiers trouve les outils à la création du creuset national.

Réengager la jeunesse et lui faire aimer la France, tel est la première pierre à l’édification du « creuset national ». Cela passe par la création d’un Service National Universel non plus pour se préparer à la Défense du territoire, mais pour brasser les différentes communautés, pour les instruire sur le passé de la France et leur faire comprendre que tous et toutes sont un rouage de la Nation. Ce SNU permettrait aussi de retrouver une dynamique intergénérationnelle en proposant à ces engagés des activités d’accompagnement allant de la livraison solidaire de courses aux personnes âgées à des échanges dans les EHPADs. Selon l’auteur, « une société se juge quant à la façon dont elle considère ses aînés ». (Page 143)

Ce réengagement pour la société passe par une réforme de leur formation et la revalorisation des métiers manuels qui permettent d’une part la création de talents en tant que possesseurs d’un savoir-faire, et d’autre part, dans une logique plus stratégique, cette revalorisation des métiers manuels pourrait permettre à la France de relocaliser sur son territoire les productions de biens de consommation essentiels, qui se sont trouvés en pénurie lors de la crise de la Covid 19.

Faire des citoyens, des engagés ?

Dans l’ensemble de l’ouvrage, le général commence ses réflexions à partir de son expérience militaire de terrain et sur le « laboratoire » que représente la grande muette en termes d’égalité des chances pour apporter une solution et refonder ce terreau national nécessaire pour construire un pays fort et intègre. Il prend l’exemple de l’intégration des étrangers qui rejoignent la Légion et vont se fédérer non pas autour d’un projet mais autour d’une cause plus grande que leur personne, l’amour de la France. Une question fondamentale se pose alors, peut-on reprendre comme le suggère l’auteur les méthodes et l’organisation du corps militaire et l’appliquer à notre société ?

Il est important de rappeler que le projet de l’auteur n’est pas une militarisation de la société mais bel et bien une généralisation de ces méthodes fédératrices dans l’objectif d’assurer la stabilité du pays et son intégration dans les dynamiques internationales.

Si la création d’un creuset national peut être permise par l’adaptation des méthodes militaires à la société. Ce n’est pas le cas d’autres aspects de l’État comme l’économie ou bien les relations diplomatiques. Non, il n’est pas possible de gouverner la France en transposant le modèle militaire. Ce modèle qui servira d’un socle de valeurs communes doit être complété d’une vision globale et d’une prise en compte des aspects économiques, de ses acteurs médiatiques et politiques.

C’est pourquoi dans un troisième temps, l’ouvrage se complète d’une vision stratégique qui quitte le domaine militaire pour s’ancrer dans un programme plus politique.

L’économie au service de l’Homme

Lorsque les questions économiques sont abordées par l’ouvrage, la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers est le maître mot, l’auteur souhaite trouver un équilibre quant à la redistribution des richesses produites. Un programme que l’on peut qualifier de Socialiste est préconisé. L’économie de marché doit être régulée par l’État, des règles organisant l’intérêt mutuel entre l’ensemble des acteurs doivent être trouvées. Le capitalisme international doit être aboli au profit d’un capitalisme solidaire qui redistribue les richesses produites entre patrons, actionnaires et travailleurs. Cette juste répartition des biens se fait pour que le travailleur se sente investit et impliqué dans son travail et son entreprise. Le sentiment d’appartenance à un ensemble se fait aussi sur le lieu de Travail.

Une réappropriation du lieu de travail comme lieu d’épanouissement de l’Homme va de pair avec une considération de la Nature, support à toute activité humaine. Le réchauffement climatique est une réalité que l’auteur a pu constater avec l’assèchement des sources d’eau au Sahel ayant poussé les populations à l’exil et participant à la déstabilisation de la région. Repenser l’environnement prend une part importante de la vision globale du général. Néanmoins, il met en garde sur les actions entreprises pour établir une transition écologique durable. La mise en activité de parcs éoliens participe à la décarbonation de l’air de France mais, la production d’éoliennes nécessite des matières dites rares pour une durée de vie limitée (environ 20 ans pour une pale d’éolienne), ainsi les infrastructures nouvelle génération permettent l’émancipation de l’homme envers les énergies fossiles mais cela engendre la dépendance aux métaux rares comme le tungstène, le cobalt ou le graphite. Ici encore l’auteur fait preuve d’équilibre, il ne faut pas se laisser aveugler par des politiques écologistes qui nous laissent croire que certaines énergies sont exclusivement « vertes ». Des décisions doivent être prises pour décarbonner notre espace de vie, ces solutions doivent être durables et prendre en compte les spécificités territoriales de chaque état. D’autres énergies alternatives à l’éolien sont envisageable, l’hydroélectrique est plus adapté à l’environnement de notre pays et son potentiel est trois fois supérieur au potentiel éolien.

La valeur oubliée de la Paix

Les relations internationales et géopolitiques sont elles aussi passée au tamis de l’équilibre. Cette paix extérieure garantie par des économies interdépendantes ne doit pas aveugler les dirigeants et les faire concevoir uniquement des tactiques au détriment de la stratégie, globale et sur le long terme. Dans ce sens, le général de Villiers souligne une autre faiblesse, aucune projection ou ligne directrice pour la France. Là où nos concurrents directs comme la Chine, héritière d’un empire multimillénaire, projettent à travers les nouvelles routes de la Soie et son expansion en mer de Chine de devenir la première puissance mondiale en 2049, pour les cent ans de la proclamation de la République Populaire. La Russie de son côté se réaffirme internationalement dans l’ancienne sphère d’influence soviétique autour du projet « Nouvelle Russie », plan de modernisation confédéral qui devait réunir le territoire du Donbass à la Russie d’ici vingt ans.

Ce retour de grandes puissances internationales inquiète l’auteur qui parle même de nouvelle guerre froide dans le cadre des relations sino-américaine. Peut-être la nuance serait de mise. La comparaison entre URSS et Chine est uniquement sur le papier, l’expansion chinoise est économique et non plus militaire en cherchant à installer des régimes marxistes aux quatre coins du monde comme cela était le cas du temps de l’URSS. Le système économique chinois en concurrence avec l’hyperpuissance américaine ne propose pas un modèle opposé et différent, il en est sa quintessence. Certes ce système comprend un parti unique de tradition communiste mais ce système ne concerne que la Chine continentale et même en son sein deux systèmes sont appliqués avec « Un pays, deux systèmes » pour reprendre la formule de Deng Xiaoping au sujet d’Hong Kong.

Conclusion

La structure de ce livre permet un suivi ordonné et hiérarchique de la pensée de l’auteur, composé de deux thèmes répartis en cinq parties, le premier terme est le constat, celui des 3 France et des 5 déséquilibres, le second s’appuie quant à lui sur trois réponses à ces questionnements la réconciliation de la jeunesse, l’unité nationale et l’être humain au centre des préoccupations. Au départ de cet ouvrage il y avait un questionnement, comment doter la France de valeurs communes ? L’expérience militaire par sa diversité humaine qui regroupe des jeunes issus de milieux variés, de religions différentes et qui travaillent ensemble pour un idéal celui de se sentir utile à leur nation est un système, certes incomplet, mais qui mérite d’être étudié par les futurs gouvernements afin de rebâtir une France unie. La force de cet ouvrage se trouve dans la mesure, par exemple la distinction sémantique entre nationalisme et patriotisme, par la mesure des différents courants de l’islam et leur politisation, par le choix de combattre l’idéologie par le rationalisme. Chacune des propositions est justifiée par une expérience vécue par le général ou bien par les expériences de personnes croisées sur son chemin. Ainsi le pari de l’équilibre est réussi, et toutes les idéologies qu’elles soient politiques ou religieuses sont ardemment combattues par l’auteur. D’autres réflexions sont envisageables mais rares sont celles qui peuvent prétendre à la hauteur du stratège : comprendre son époque, l’épouser, percevoir ses inégalités et vouloir le changer, avoir le courage de les dénoncer et la force de les combattre, puis transmettre cette expérience à la génération suivante.

Au-delà de ce questionnement la méthode utilisée est assez unique mêlant à la fois références classiques, de César et ses Commentaires sur la Guerre des Gaules au Maréchal Lyautey et son Rôle social de l’Officier mais aussi en intégrant des penseurs de divers bords politiques comme Gramsci communiste italien, ou Clémenceau issu du parti radical. La diversité des références permet encore une fois la création d’un équilibre qui questionne constamment le lecteur.

Malheureusement l’apport de solutions qui sont légitimes pour l’auteur compte tenu de son expérience et du dévouement de sa vie envers sa patrie est aujourd’hui repris par des politiciens vierges de toute cette expérience et qui voient en ces solutions un retour à l’ordre ancien et non plus un support sociétal pour favoriser le progrès. L’équilibre c’est aussi connaître le passé et ne pas avoir peur de l’avenir. Si cet ouvrage propose des solutions à aucun moment il ne se veut politique, il cherche à éveiller ou plutôt à réveiller le citoyen en lui rappelant ses droits et ses devoirs qui sont indissociables. Si l’on se penche sur la définition de l’humanisme en tant que doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs alors cet ouvrage peut s’ancrer dans ce mouvement.

 

Notes de bas de page

  • 1 Albert Camus, Discours d’Athènes, 28 avril 1955

  • 2 Hervé Le Bras, Les Trois France, 1986