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Les mises en santé des politiques sportives territoriales

Orientation de sens et travail de composition

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Si les finalités éducatives, sociales et identitaires ont traditionnellement été assignées aux politiques sportives territoriales, la période récente les voit s’ouvrir aux enjeux de santé et de bien-être. Peinant parfois à borner leur engagement tant est flottante la catégorie « sport-santé-bien-être », les interventions des collectivités territoriales et de leurs groupements oscillent entre organisation d’un environnement favorable à la pratique d’activités physiques et inscription dans des formes, promues notamment par l’État, de gouvernement des corps appréhendés comme vulnérables et/ou déviants. Ces conceptions variables de mise en santé des politiques sportives territoriales interrogent, plus largement, les capacités des élus locaux et des agents publics chargés des affaires sportives à s’affranchir de routines administratives pour s’engager dans un travail d’interprétation, de mobilisation et de composition avec des acteurs jusque-là parfois peu connus.

Le référentiel de territorialisation à l’œuvre depuis le début des années 1980 en France a directement encouragé la possibilité, pour les collectivités territoriales et leurs groupements, d’investir des domaines qui ne relèvent pas directement de leur ressort juridique au nom d’une légitimité territoriale à penser et produire le bien commun. Ce volontarisme politique se manifeste dans le champ de la santé et dans celui du sport désormais érigé au rang de « compétence partagée »1.

La multiplication ces dernières années de textes législatifs et réglementaires comme de plans nationaux de santé publique visant, plus spécifiquement, à lutter contre ce qui est désormais qualifié, au travers de discours alarmistes, « d’épidémie d’inactivité physique » ou de « ravages de la sédentarité » (Deguilhem et Juanico, 2016)2, a favorisé le tournant sanitaire des politiques sportives territoriales dont les frontières sont difficiles à tracer (Honta et Haschar-Noé, 2018). En raison d’abord du caractère pour le moins lâche de la catégorie « sport-santé-bien-être » qui ouvre un champ d’action quasi illimité pour les collectivités territoriales et leurs groupements. En raison ensuite du type de politiques étatiques que donnent à voir lois, décrets, instructions, plans, programmes et stratégie nationale promouvant l’activité physique à des fins de santé. Ces instruments d’action publique, pour la plupart, ne constituent pas un catalogue d’actions précises que les acteurs locaux doivent exécuter. Par contre, ils permettent de désigner une orientation de sens et de valeurs à conférer aux politiques sportives territoriales.

Ces éléments conduisent ainsi les élus locaux et les agents administratifs en charge des questions sportives à produire un travail, contingent, d’interprétation, de mobilisation d’acteurs individuels et collectifs et de mise en réseau pour circonscrire et opérationnaliser les actions à mener. Néanmoins, l’établissement de nouveaux ordres cognitifs et professionnels que requièrent ces reconfigurations de l’action publique sportive locale peut générer des difficultés d’organisation et de coordination voire des tensions portant sur le portage politique, la délimitation du contenu et les modes de régulation à adopter de ces politiques.

Les déclinaisons multiples de la mise en santé des politiques sportives territoriales

Alors que les deux premiers « Actes » de la réforme de décentralisation n’ont prévu aucun transfert de l’État aux collectivités territoriales en matière sportive, celles-ci et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent se considérer comme responsables et légitimes pour intervenir dans le développement de la pratique sportive. Leur implication s’est progressivement accentuée dans la mesure où le sport et ses enjeux ont pris, tout à la fois, valeurs sociale, politique et économique. Si la promotion de la pratique sportive compétitive et des organisations l’encadrant (les associations sportives locales) possède aujourd’hui encore une grande légitimité aux yeux des élus locaux, leur réactivité face aux transformations de la demande sociale s’est notamment illustrée dans l’élargissement des bénéficiaires des actions menées et dans la diversification des programmes sportifs proposés, autrement dit dans le contenu de leurs politiques d’animations, d’équipements et d’aménagements sportifs.

Cette dynamique explique ainsi que ces institutions publiques se sont mobilisées dans la production ou le soutien d’une offre d’activités sportives intégrant les enjeux de santé selon des pratiques variables. Ce volontarisme politique doit également à la multiplication de dispositifs étatiques d’activation. Eux-mêmes fragmentés, ils sont porteurs de sens et de valeurs dont l’introduction est censée enrichir ou renouveler l’action publique sportive locale. Là aussi, cela se traduit par l’entrée de nouveaux acteurs dans la conduite de ces politiques (Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 358).

Évolution du contenu des politiques sportives territoriales et requalification de leurs finalités

À bien des égards, la mobilisation des collectivités territoriales et de leurs groupements reproduit le contenu de l’action sportive de l’État. Au même titre que pour ce dernier, les instances territoriales du mouvement sportif (clubs sportifs, comités départementaux, ligues régionales) constituent les partenaires traditionnels des pouvoirs publics locaux. Les relations contractuelles engagées par les communes avec les associations sportives, bien avant la décentralisation, attestent par ailleurs de l’ancienneté de ces rapports (Callède, 2000). L’implication progressive des conseils départementaux, régionaux et des EPCI dans le domaine sportif a prolongé cette tendance. Parce que les résultats sportifs obtenus en compétition ont longtemps été le critère déterminant l’accès aux ressources des diverses échelles de gouvernement, cette modalité de pratique, considérée comme le sport légitime, demeure profondément ancrée.

Néanmoins, le champ des politiques sportives locales reflète également la capacité de ces institutions à s’émanciper, pour partie, de ce référentiel afin d’accompagner l’évolution des motivations à pratiquer déclarées par la population. La santé et le bien-être étant désormais les premiers ressorts exprimés (Croutte, Müller, Dietsch, 2019), les collectivités territoriales et leurs groupements ont amendé le contenu de leur politique sportive. Cela s’exprime dans le type de services proposés. Les dispositifs d’animation sportive mis en place par les communes et leurs groupements, (en partenariat parfois avec les Départements et l’État), visent ainsi l’initiation et la découverte d’activités sportives dans une optique avant tout ludique et non compétitive. Nombreuses actuellement et organisées selon des modalités et des lieux divers, ces opérations s’adressent à une pluralité de publics (petite enfance, jeunes, famille, seniors, personnes en situation de handicap, etc.).

Dans le même sens, la diversification des installations et des espaces sportifs que les collectivités territoriales et les intercommunalités possèdent dans leur quasi-totalité, est, elle aussi, un fait incontestable. Si les espaces « traditionnels », majoritairement construits lors des lois – programmes d’équipements sportifs (1961-1975), représentent encore une part importante de ce parc, des démarches de réhabilitation et de nouvelles constructions d’installations visent à satisfaire des publics plus diversifiés et non plus exclusivement les scolaires et les licenciés des clubs sportifs. S’opère ainsi et progressivement un changement dans la programmation et conception de ces équipements et sites devenant plus polyvalents, multifonctionnels (accueil d’une pluralité de pratiques sportives et culturelles parfois, conçus pour la compétition mais aussi la pratique scolaire et de loisirs) et diversifiés (installations sportives de proximité implantées au cœur des quartiers, parcours santé, sentiers de randonnée, piscines, pistes cyclables et marchables, aires de fitness en plein air, grands stades, etc.).

Cette ressource matérielle – devenue rare en raison notamment de la saturation du parc existant3 - comme la diversification des services sportifs et de leurs bénéficiaires, permettent des activités cognitives de requalification ou de substitution qui consistent à recycler des finalités éducatives et sociales par des objectifs de « bien-être » auxquels concourent ces politiques plaçant le sport au service de la qualité de vie des habitants. Promouvoir ainsi le « bien-être » à l’échelle locale est non seulement permis par le caractère englobant de cette notion mais aussi par le fait que les acteurs publics et privés en charge du développement des pratiques sportives peuvent les appréhender comme des facteurs, naturels, de santé.

Cette redéfinition, parfois minimaliste, aussi bien des justifications que des finalités des politiques sportives sous l’angle de la santé publique ne saurait masquer que l’ouverture des agendas locaux à ces enjeux s’est étendue avec les invitations répétées à ce que ces acteurs participent à la lutte contre l’accroissement de la sédentarité et de l’ensemble des pathologies chroniques qui lui sont associées. En rappelant le principe selon lequel le niveau d’activité physique d’une personne est également influencé par l’environnement dans lequel il vit, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plusieurs États, comme la France, interpellent directement la responsabilité des autorités locales à travers leurs programmes désormais nombreux de promotion de l’activité physique à des fins de santé.

Dispositifs d’activation et pluralisation des voies d’engagement

La loi de modernisation du système de santé français consacre le fait que la lutte contre la sédentarité, inscrite dans la catégorie des risques sanitaires, renvoie aujourd’hui à des réalités sociales significatives de sa portée politique4. Outre l’existence d’une production législative consacrant, en France, la santé et la pratique des activités physiques et sportives en tant que droit, cette dernière est désormais reconnue comme déterminant de santé et « thérapie non médicamenteuse ».

Le développement des maladies chroniques dégénératives ayant rendu souhaitable la mise en œuvre de politiques préventives et de réduction des risques, plusieurs programmes nationaux de santé publique initiés à partir du début des années 2000 (le Plan National de Prévention par l’Activité Physique ou Sportive, le Plan National Nutrition Santé, le Plan Obésité, le plan Cancer), ont d’abord eu pour objectif de responsabiliser, essentiellement par la diffusion de messages grand public et la tenue d’événements ponctuels, les individus afin qu’ils adoptent un mode de vie actif.

L’attention croissante, bien que tardive, portée aux inégalités sociales de santé fait que l’État promeut désormais des programmes enjoignant aussi les acteurs collectifs à concevoir des environnements favorables à ces comportements (Honta et Illivi, 2019). Le plan national sport santé bien-être (PNSSBE) lancé en 2012 se veut effectivement prescriptif car il fixe les objectifs et les axes stratégiques5 : il désigne les publics visés sur lesquels il convient de déployer une action préventive ou curative (les publics éloignés de la pratique pour des raisons économiques, géographiques ou de santé ; les personnes atteintes d’affection de longue durée), les statuts juridiques des structures pouvant bénéficier des crédits étatiques (les établissements du secteur public, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations sans but lucratif) selon leur propension à participer à la mise en œuvre d’une politique de lutte contre les inégalités d’accès à ce déterminant de santé qu’est l’activité physique. En affichant des finalités porteuses de valeurs centrées sur la solidarité, l’équité, l’utilité et la satisfaction des besoins sanitaires et sociaux, ce plan témoigne de la volonté étatique de stimuler une innovation sociale « qui vient d’en bas ».

La loi de modernisation de notre système de santé, quant à elle, resserre la focale s’agissant des bénéficiaires de l’action publique en officialisant la démarche de prescription médicale de séances d’activité physique pour les personnes atteintes d’affection de longue durée6 après que plusieurs villes se soient affirmées comme des pionnières de ce dispositif appelé aussi « Sport-santé sur ordonnance » (Strasbourg, Biarritz, Blagnac ou d’autres villes encore).

La Stratégie nationale Sport-Santé (2019-2024), telle qu’elle est officiellement présentée, entend opérer aujourd’hui la synthèse de toutes les dimensions que peut recouvrir cette volonté étatique de « (re)mettre les Français en mouvement »7. Cette dernière promeut, également, l’implantation territoriale de Maisons Sport-Santé, démarche de labellisation de structures locales qui proposent un programme éducatif, préventif, thérapeutique personnalisé visant « à favoriser, d’une part, la santé et le bien-être de chacun ainsi qu’un mode de vie plus actif et, d’autre part, l’inclusion sociale des personnes les plus fragilisées ».

Si ces programmes de santé publique sont à dimension interministérielle, plus ou moins marquée, d’autres administrations et agences nationales encore « sanitarisent », à travers leurs dispositifs et/ou mesures législatives, la promotion, par les collectivités territoriales et les intercommunalités, d’aménagements d’environnements, au sens le plus large, favorisant l’adoption de ces comportements actifs. Il en va ainsi des invitations à repenser les plans de déplacements et l’urbanisme pour faire de la mobilité active un droit8 ; à concevoir, au moyen du design actif, la revitalisation des « cœurs » des villes moyennes pour « faire bouger la ville ». Le programme national Action cœur de ville porté par l’Agence nationale de la cohésion des territoires a ainsi donné lieu à la signature d’une convention avec le Comité ­d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) de Paris 2024, pour promouvoir le label « Terre de jeux 2024 » présenté comme fournissant aux collectivités territoriales et à leurs groupements, « un outil d’urbanisme pour animer les villes et faciliter l’activité physique des habitants, petits et grands, afin de lutter contre la sédentarité croissante et l’obésité ! »9.

Sans être exhaustive, la présentation de ces dispositifs d’activation révèle que sont nombreuses les administrations de l’État visant la (re)mise en mouvement des corps. Ces techniques de gouvernement n’en restent pas moins des tracés sommaires amenant les institutions locales intéressées à produire un travail d’interprétation et de composition à plusieurs.

Des dynamiques d’apprentissage collectif à stabiliser

Le tournant sanitaire des politiques sportives territoriales implique un travail de mise en mots destiné à en préciser les contours et les participants mobilisables. Cela questionne les relations que les acteurs en charge des affaires sportives entretiennent avec divers auditoires : les élus locaux et agents en charge des autres secteurs d’action publique ; des organisations et professionnels extérieurs ; les bénéficiaires des dispositifs pouvant être plus ou moins réceptifs aux offres proposées car n’en formulant pas nécessairement la demande.

Parce que ces acteurs sont potentiellement nombreux et porteurs d’attentes hétérogènes, les institutions locales peuvent éprouver des difficultés à les mobiliser et à les mettre en réseau. Or, les capacités des collectivités ­territoriales et des EPCI à « objectiver » des dynamiques de coopération et de décloisonnement sectoriel, constituent des points de passage obligés pour capter les ressources étatiques.

Incertitudes informationnelles et besoins d’acculturation

L’élaboration et la mise en œuvre d’une politique sportive territoriale adossée à des finalités de santé publique sont des processus qui impliquent la rencontre entre des mondes (sport, santé, urbanisme, transports, voirie, action sociale, etc.) qui, jusque-là, s’ignoraient ou travaillaient peu ensemble. Or, chacun d’eux construit une représentation des problèmes sociaux et sanitaires qui lui est spécifique en fonction de son histoire, de ses routines et de son expertise. Concevoir, dans ce cadre, une intervention intersectorielle implique de composer avec des agents publics, des élus locaux et des professionnels de divers champs ayant eu une formation initiale et des modes de socialisation professionnelle très éloignés de ce que recouvrent les enjeux — possiblement très larges — de santé publique / bien-être d’une part, de promotion de l’activité sportive de l’autre.

En effet, parce que la santé demeure encore définie selon son acception biomédicale (l’absence de maladie), elle se révèle rarement identifiée comme préalable de l’action, qui plus est, intersectorielle, par des élus locaux et des agents administratifs qui sont peu nombreux à savoir qu’ils agissent, à travers leurs prérogatives respectives sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé. S’agissant du sport, les représentations des professionnels de santé, tout particulièrement, consistant à l’appréhender comme une pratique dangereuse exposant à des risques de blessures voire de déviances, sont là aussi nombreuses. Ces professionnels en viennent ainsi à questionner encore les bienfaits de l’activité physique et font preuve de méfiance à l’égard des multiples organisations qui la promeuvent. Aussi, les besoins de connaissance et de reconnaissance réciproque peuvent-ils être importants sur les territoires.

La diversification des prestataires positionnés sur le « marché du sport-santé-bien-être » a effectivement introduit une forte incertitude informationnelle. La promotion du bien-être par l’activité physique suscite des comportements opportunistes de la part d’organismes marchands et non marchands aboutissant à une multiplication des statuts de travailleurs qui interviennent dans ce champ. La même activité peut, dans certaines communes, être dispensée par un animateur municipal, un salarié associatif ou un intervenant bénévole, un professionnel de santé, etc.

Or, et s’agissant de ce type de services, la confiance des usagers comme celle des professionnels de santé invités à prescrire l’activité physique à des fins thérapeutiques ou pas, se révèle primordiale. Dans ce contexte, si la non-lucrativité est souvent considérée comme le critère décisif pour susciter la confiance des parties prenantes et diminuer l’occurrence de tels comportements (Laville, 2013), elle ne saurait suffire ici à constituer un indicateur de la qualité et de la sécurité. Face à ces risques patents d’invisibilisation du travail dans ce champ, la rencontre de l’offre et de la demande peut s’en révéler impossible ce qui amplifie la crainte de l’inconnu pour les collectivités territoriales et les EPCI. En effet, si les diverses administrations et agences étatiques partent de l’idée que cette demande d’activité physique à des fins curative et préventive est bien là, les acteurs locaux expriment plutôt le caractère très hypothétique de la captation puis de l’adhésion de ces cibles. Devant ces incertitudes appelant un intense travail pédagogique d’informations des publics (réunions, brochures, campagnes d’affichage, actions de sensibilisation), les élus locaux peuvent juger coûteuse la démarche de mise en santé de leur politique sportive territoriale.

Outre l’existence de ces représentations tenaces qui compliquent la participation et l’intégration de nouveaux acteurs comme l’action transversale, c’est la conceptualisation même de l’objet « sport-santé-bien-être » qui reste largement sous déterminée. Cette signification, parce qu’elle est flottante, appelle un travail de spécification à l’échelle locale (Borraz, Loncle-Moriceau, 2000). À titre d’illustration, si le dispositif de prescription d’activité physique consiste à envisager l’adaptation de celle-ci à la pathologie, aux capacités physiques et au risque médical de la personne dont les besoins spécifiques empêchent de pratiquer dans des conditions ordinaires, il donne lieu à des traductions locales variées en termes de publics visés, de formes d’engagement de la part des collectivités territoriales et des EPCI, de modalité d’encadrement, de durées de prise en charge ou de suivi à l’issue du programme proposé (Knobé, 2019).

Ainsi, le flou des catégories mobilisées et la difficulté d’évaluer préalablement « les bons des mauvais prestataires » (et potentiels partenaires pour les collectivités territoriales), érigent effectivement « le sport-santé-bien-être » au titre de « produit incertain » (Goulet, Le Velly, 2013). La « mise en discutabilité » des représentations et possibles interprétations apparaît alors comme l’une des conditions - chronophage - permettant l’acculturation et la mobilisation d’acteurs collectifs et individuels passifs voire méfiants mais aussi de délimiter les pratiques professionnelles et la division du travail.

Les résultats de la dernière étude menée par l’Association nationale des élus en charge du sport (ANDES, 2022) le confirment. L’organisation, mobilisant elle-même deux catégories – « sport-santé sur ordonnance » ; « sport-santé sans ordonnance », souligne, s’agissant tout particulièrement du dispositif de prescription de l’activité physique, qu’une large majorité d’élus locaux affirme leur méconnaissance du sujet, certains d’entre eux percevant « le sport santé comme une jungle où les élus sont sans boussole ». Évoquant le « besoin de comprendre et de se former » tout en craignant « la complexité du dispositif », ils expriment une attente forte sur la communication et l’information de la part de l’État et des Agences régionales de santé (ARS).

Le partage des savoirs et des informations constitue ainsi un ressort important de l’accompagnement attendu des collectivités territoriales et des EPCI en ce domaine. D’autres ressources, issues notamment des partenariats qu’ils auront pu ou su construire, influent sur leurs possibilités d’engagement durable.

« Jouer collectif », les capacités en question

Inégalement dotés en capacités, collectivités territoriales et EPCI composent d’abord avec le tissu, plus ou moins dense, d’acteurs associatifs se voyant déléguer tout ou partie de l’organisation de projets et d’activités pédagogiques et promotionnelles. Cibles des mêmes dispositifs d’activation étatiques, les associations sportives sont elles aussi invitées à diversifier leurs prestations, dynamique amplifiant, parfois, la concurrence à l’échelle locale, pour capter les ressources affectées à leur mise en œuvre. Si plusieurs résistent, d’autres trouvent dans la promotion d’un projet alternatif à la compétition l’occasion d’équilibrer leur budget voire de stabiliser l’emploi des salariés recrutés. Cette participation favorise l’alignement de leurs pratiques sur celles des administrations publiques nationales et/ou locales mais autorise aussi leur repérage lorsque les professionnels de santé envisagent d’orienter leurs patients vers des structures pour des séances d’activité physique adaptée. En ce sens également, s’entourer de compétences professionnelles complémentaires est considéré comme un gage de crédibilité en plus de répondre à des obligations réglementaires10. Collectivités territoriales et EPCI peuvent alors mandater des professionnels en Activité physique adaptée11. Ces intervenants comme les professionnels de santé (médecins généralistes, kinésithérapeutes) représentent, pour beaucoup d’élus locaux et d’agents publics en charge des affaires sportives, de nouveaux acteurs dont la mise en réseau se révèle essentielle pour opérationnaliser, notamment, les dispositifs de prescription médicale et de labellisation des réseaux « sport-santé ». Aussi, cette entreprise, parce qu’elle repose sur un travail d’organisation (dont des délégations et mandatements envisagés) et de coordination engendre des coûts pouvant être, là encore, vécus comme rédhibitoires.

Plusieurs collectivités sollicitent également l’accompagnement des agences d’urbanisme ayant une expertise reconnue pour penser des environnements favorables à la santé et à la qualité de vie et ainsi prendre en compte la santé dans les plans de développement urbain, l’aménagement du territoire, la signalétique piétonne et les transports. La construction de guides participe, sur certains sites, de l’information et de l’acculturation des acteurs en présence. Les représentants des instances régionales d’Éducation et de Promotion de la Santé (IREPS) promeuvent également leur expertise en matière d’ingénierie de projet et en font profiter les acteurs locaux pour assurer la mise en œuvre de programmes en la matière.

Des partenariats avec des mutuelles ou des Fondations sont également construits et considérés comme précieux mais l’engagement de ces organisations reste très disparate.

Outre ces ressources, des outils de financement et des marqueurs symboliques conçus comme des labels de qualité constituent, dans ce champ également, des technologies de gouvernement de type marchand que mobilise l’État pour susciter l’engagement des acteurs locaux. C’est ainsi que constituent des voies possibles de cofinancements les appels à projets ou à manifestation d’intérêt lancés par les instances nationales et territoriales (agences régionales de santé - ARS - et Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports - DRAJES -) des ministères de la Santé et des Sports ; les actions déployées et soutenues au titre des axes stratégiques structurant les Contrats Locaux de Santé (CLS) liant ARS et collectivités territoriales et leurs groupements ; les participations de caisses primaires d’Assurance Maladie (CPAM). Mais ces aides, qualifiées dans le cadre des appels à projet de dotations « d’amorçage » ou de « démarrage », varient d’un territoire à l’autre en fonction des modalités adoptées et négociées de territorialisation des plans et dispositifs nationaux. En ce sens, si ces crédits sont considérés par les élus locaux comme des opportunités à saisir, ils ne sont, en aucun cas, appréhendés comme un filet de sécurité (Honta et Illivi, 2019).

D’autres ressources, symboliques, existent également. Citons ici la signature de la charte « ville active » du PNNS ; l’obtention de labels pouvant être délivrés par le ministère des Sports, l’Union Sport et Cycles et l’Association Nationale Des Élus en charge du Sport (« Ville active et sportive ») ; la labellisation de réseaux locaux à travers la « marque » Maisons Sport-Santé ou encore le label « Terre de Jeux 2024 » déjà évoqué. De tels « instruments méritocratiques » (Epstein, 2015), typiques d’un gouvernement à distance des acteurs locaux, sont destinés à récompenser les collectivités territoriales et leurs groupements qui proposent une offre d’activités physiques et sportives innovante, de proximité et accessible au plus grand nombre pour contribuer à l’animation et l’attractivité de leur territoire et, surtout, au bien-être des citoyens.

Pour de nombreuses institutions locales, la captation de ces « trophées » entérine plus qu’elle initie une dynamique d’engagement déjà présente en faveur du sport et de la santé (Honta, Haschar-Noé, Sallé, 2011). S’il s’agit alors de la rendre plus visible auprès, notamment, de la population tout en donnant à voir les « bonnes pratiques » que consacre cette reconnaissance institutionnelle, la portée de ces instruments reste relative lorsque l’on observe, notamment, les initiatives actuellement adoptées pour relancer la faible adhésion des collectivités territoriales et des EPCI au label « Terre de Jeux 2024 »12.

Le tournant sanitaire voire curatif des politiques sportives territoriales dépend ainsi de la mobilisation puis de la mise en réseau d’un grand nombre de protagonistes aux initiatives, intérêts et valeurs très hétérogènes. La conduite requise d’un travail d’interprétation, de mobilisation et de coordination ouvre potentiellement un espace d’affrontements et de frictions, au sein d’une collectivité ou d’un EPCI, entre ceux qui souhaitent la promouvoir et ceux qui refusent, contestent, contournent ou neutralisent les reconfigurations de l’action publique sportive qu’elle induit immanquablement en raison de substantiels coûts cognitifs, organisationnels et institutionnels que les acteurs en présence ne sont pas toujours prêts à assumer. Dans ce contexte, si les mises en santé des politiques sportives territoriales s’opèrent, en effet, à « petits pas » (ANDES, 2022), elles donnent aussi à voir un État qui cherche à orienter, dans le sens de ses valeurs et finalités, le contenu de ces politiques. Les conditions figurant dans les cahiers des charges adossés aux dispositifs à travers lesquels il cofinance ou labellise certains projets locaux (catégorisation des publics et des territoires prioritaires à cibler, contrôle de la qualification des intervenants, définition exigée de projets aux dimensions partenariales et intersectorielles permettant de disposer de garanties pour impulser, notamment, la construction de parcours coordonnés et de dispositifs « passerelle » entre structures médicales et sportives), renforcent ou objectivent des inégalités de dotation : les différences de potentialités des acteurs locaux ainsi consacrées représentent, possiblement, un effet contreproductif dès lors qu’il s’agit de lutter (aussi) contre les inégalités sociales de santé au moyen de ces politiques sportives territoriales (Honta et Illivi, 2019).

Marina Honta

Indications bibliographiques

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BORRAZ O., LONCLE-MORICEAU P. (2000), « Permanences et recompositions du secteur sanitaire, les politiques locales de lutte contre le sida », Revue Française de Sociologie, vol. 41, no 1, p. 61-78.

CALLÈDE J-P. (2000), « Les politiques sportives en France », Paris, Economica.

CROUTTE P., MÜLLER J., DIETSCH B. (2019), « La santé et le bien-être, premiers ressorts des pratiques sportives », INJEP Analyses et synthèses, no 20, 4 pages.

DEGUILHEM P., JUANICO R. (2016), « Promouvoir l’activité physique et sportive pour tous et tout au long de la vie. Des enjeux partagés dans et hors de l’école ». Rapport au Premier ministre Manuel Valls, septembre, 196 pages.

EPSTEIN R. (2015), « La gouvernance territoriale : une affaire d’État. La dimension verticale de la construction de l’action collective dans les territoires », L’année sociologique, vol. 2, no 65, p. 457-482.

HONTA M., HASCHAR-NOÉ N., SALLÉ L. (2011), « La fabrique des territoires de santé publique en France. Une analyse comparée de la mise en œuvre du Programme National Nutrition Santé en Aquitaine, Midi-Pyrénées et Nord-Pas-De-Calais », Cahiers de géographie du Québec, vol. 55, no 156, p. 379-397.

HONTA M., HASCHAR-NOÉ N. (2018), « Vers un tournant sanitaire des politiques sportives ? », in Charrier D. et Lapeyronie B. (dir.), Le service public du sport. Changements, contraintes et innovations, Paris, Éditions de Bionnay, p. 153-164.

HONTA M., ILLIVI F. (2019), « Le prix de l’innovation. Capacité des opérateurs et réception des programmes de lutte contre la sédentarité », Innovations, vol.3, no 60, p. 201-222.

KNOBE S. (2019), « La prescription médicale d’activité physique et perspectives socio-écologiques », Santé publique, vol.31, n°6, p. 827-836.

LASCOUMES P., LE GALÈS P. (2004), « Gouverner par les instruments », Paris, Presses de Sciences Po.

LAVILLE J-L. (2013), « Services aux personnes : le rôle des associations », in Steiner P. et al. (dir.), Traité de sociologie économique, Paris, Presses Universitaires de France, p. 439-478.

1 Loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

2 Constats induits notamment par le fait que le niveau d’activité physique des Français est mesuré, par les instances sanitaires, à l’aune des recommandations d’activité physique de l’Organisation Mondiale de la Santé.

3 La mise en rapports de la saturation, de l’obsolescence et du manque d’installations sportives en France est fréquente ces dernières années comme le sont, dans ce contexte, les revendications des élus locaux appelant l’Etat à engager un « plan Marshall » en ce domaine. Voir notamment le rapport « Quels équipements pour une nation sportive ? » remis par le député de la Moselle Belkhir Belhaddad à Roxana Maracineanu, alors ministre déléguée chargée des Sports, le 4 mars 2022.

4 Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

5 Instruction n°DS/DSB2/SG/DGS/DS/DGCS/2012/434 du 24 décembre 2012 relative à la mise en œuvre opérationnelle des mesures visant à promouvoir et développer la pratique des activités physiques et sportives comme facteur de santé publique, annoncées en conseil des ministres du 10 octobre 2012.

6 La loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France élargit les cibles du dispositif et les intervenants autorisés à adapter ou renouveler la prescription médicale.

7 Présentation de la Stratégie nationale Sport-Santé (2019-2024), https://www.sports.gouv.fr/strategie-nationale-sport-sante-2019-2024-85, consulté le 21 décembre 2022.

8 Loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

9 Dossier de presse du Gouvernement Le réseau des Maisons Sport-Santé poursuit son déploiement, 14 janvier 2022.

10 Décret n°2016-1990 du 30 décembre 2016 relatif aux conditions de dispensation de l’activité physique adaptée prescrite par le médecin traitant à des patients atteints d’une affection de longue durée.

11 Agissant au croisement des « mondes » sanitaire et sportif, ces travailleurs, titulaires de diplômes (Licence ou Master) délivrés au sein de la spécialisation « activité physique adaptée – santé » de la filière universitaire des Sciences et techniques des activités physiques et sportives, peuvent également être recrutés par les acteurs sportifs, sanitaires et médico-sociaux ou avoir développé leur propre réseau local de structures prestataires de services en ce domaine.

12 Un guide des initiatives locales Terre de Jeux 2024 a été réalisé par l’Association nationale des élus en charge du Sport en partenariat avec Paris 2024 et présenté le 23 novembre 2022 au Salon des maires, à Paris.