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Reconnaître la formation des élus locaux comme un droit : histoire d'une institutionnalisaion instable (1ère partie)

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La formation des élus locaux est un droit qui apparaît comme évident. De nos jours, sa fonction est double. Il doit faciliter l’exercice des mandats locaux et permettre la reconversion professionnelle des élus à l’issue de ces derniers. Pourtant, sa reconnaissance en tant que droit, tout comme les significations que nous lui conférons aujourd’hui, sont loin d’aller de soi. Un détour par l’histoire de son institutionnalisation, de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1990, permet de montrer, dans ce premier article, la diversité des pratiques qui ont pu exister ainsi et que les débats politiques qui ont amené la question à entrer sur l’agenda politique et devenir un droit attaché à l’exercice des mandats locaux dont la mise en œuvre posera de nombreuses problématiques.

Former les élus pour les contrôler : la lente départisanisation de la formation des élus locaux (1890-1960)

L’idée de former les élus locaux en France n’a pas toujours existé (Camus, 2021). Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, l’usage du suffrage universel masculin n’est pas stabilisé et les communes sont administrées par une classe notabiliaire qui exerce ses charges de manière occupationnelle et honorifique après désignation préfectorale (Worm 1966, Briquet, 2012). La commune n’est pas encore, à cette époque, une institution compétente dans la formulation et la conduction d’une action publique autonome ; elle se place bien plus comme un relais territorialisé du pouvoir central.

C’est avec la promulgation et la stabilisation de la IIIe République que les conditions sociales propices à une formation des élus se construisent peu à peu. En mettant fin au principe de désignation préfectorale des maires en 1882 et en unifiant le régime juridique des communes en 1884, le système républicain ouvre la conquête des hôtels-de-villes à un ensemble d’acteurs traditionnellement écartés des responsabilités locales. C’est le cas du Parti Ouvrier Français (POF) qui entreprend, dès le début des années 1890, de faire de l’administration des villes un nouveau terrain de lutte contre les élites traditionnelles et patronales.

De conception guesdiste1, le socialisme municipal qui se déploie dans les premières communes2 conquises par le POF à la suite des élections municipales de 1892 ne reconnaît aucune personnification du mandat. L’élu ouvrier, désigné comme membre d’une classe, ne doit être que le relais fonctionnel du Parti et des décisions qu’il adopte. C’est dans cette volonté de supervision qu’une « Fédération Nationale des élus du Parti Ouvrier Français » est créée en 1896. Son objectif consiste à encadrer les élus locaux au sein d’une instance commune et diffuser les dispositions du « Programme de Lyon » adopté en 1891. En plus de la création d’un « centre de ressources », le « Programme de Lyon » se décline également au sein de la Fédération en séries de formations dispensées aux militants élus par les cadres du parti sur les sujets phares du programme ouvriériste tels que l’assistance sociale, la politique culturelle ou encore la gestion socialiste du budget des communes3.

Ainsi, et contrairement à l’idée que l’on s’en fait aujourd’hui, la formation des élus locaux naît moins comme un outil d’apprentissage au service des élus que comme un dispositif de contrôle. Mais cet usage va vite connaître des évolutions. Le tournant du XXe siècle marque en effet le début d’une déroute électorale du POF qui perd la majorité des villes précédemment conquises. En cause, les critiques adressées par les élites traditionnelles aux manières d’être et de faire des élus d’origines populaires qui se révéleraient incapables d’assurer la gestion des affaires courantes et d’incarner une figure acceptable de l’édile (Lefebvre, 2001).

C’est à un procès en illégitimité de ses élus que le mouvement socialiste doit répondre. Recomposé depuis 1905 au sein de la jeune Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), le socialisme municipal se reconfigure autour d’une nouvelle génération d’élus qui tire des échecs passés le constat que « l’éducation municipale » doit avoir un rôle majeur pour combattre l’illégitimité ouvrière des militants envoyés en mandat. C’est le cas d’Albert Thomas ou d’Henri Sellier qui créent successivement au sein de la SFIO un « bureau d’information permanent » puis une « société d’études et de documentation municipale des villes » dont l’action consiste à « aider dans leur tâche les camarades administrateurs » (Bellanger, 2004, 2017).

Malgré le fait que ces deux organes ne survivront pas à l’exclusion de leur créateur, la formation des élus va trouver un terrain plus propice pour se développer à partir des années 1925-2030 au sein du Parti Communiste Français. Après avoir vu la majorité de ses cadres préférer la seconde à la troisième internationale, le Parti Communiste Français se « bolchevise » en adoptant une stratégie de recrutement et de promotion privilégiant les militants conformes à une norme sociale « prolétaire » (Siblot, 2002).

En reprenant à son compte les initiatives mises en place par H. Sellier durant sa courte adhésion, le PCF se dote en complément de son réseau d’écoles pour militant, d’un organe de formation pour ses élus. La volonté est de doter les élus communistes d’un capital culturel « contrôlé », leur permettant conjointement de contrecarrer les processus d’illégitimation culturelle et sociale dont ils font l’objet tout en créant chez eux un fort sentiment de loyauté pour décourager les tentatives de notabilisation (Pudal, 1989) et les dérives de « crétinisme municipal » (Bellanger, 2002).

La forme partisane de la formation semble ainsi rester l’apanage des partis de la gauche révolutionnaire jusque dans les années 1960, moment de l’entrée discrète de nouveaux élus municipaux provenant de patronages catholiques qui vont participer à redéfinir les fonctions et finalités de cette formation. Réunis au sein de « l’Union de la Gauche Socialiste » (UGS), ces militants chrétiens déconfessionnalisés entrent en fonction lors des élections municipales de 1959 par le biais de la politique « de la main tendue »4 du PCF. Éparpillés et en faible nombre, leur éloignement et leur méconnaissance de l’institution communale les incitent à créer une association d’entraide nommée « Association Démocratique des Élus Locaux et Sociaux » (ADELS).

Pensée au départ pour être une plate-forme de liaison pour répondre aux demandes et d’information et de formation des élus de l’UGS, l’ADELS va rapidement devenir une association d’association (Prévot, 2012), un lieu de rencontre entre divers mouvements de pensés et d’actions citoyennes5. Finalement, sa vocation d’instance formatrice va se confondre pendant un temps avec sa place d’organisation satellite de la « nouvelle gauche » en participant à l’émergence du Parti Socialiste Unifié (PSU) et en devenant son organe de formation officieux.

Cependant, ces liens vont se distendre en 1963 lorsque le PSU entend passer d’une entreprise « d’unification des courants socialistes » à celle d’une « refondation idéologique du socialisme » (Kernalegenn and all, 2009). Sans renoncer à sa vision démocratique de la vie locale, l’ADELS renonce à son statut d’organisme para-politique pour se tourner vers des missions d’éducations populaires. Le changement n’est pas fortuit. Perdant la plupart de ses financements issus de l’univers politique, la requalification de ses activités lui permet de prétendre à l’agrément des ministères de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse et des Sports.

Indépendante politiquement, l’ADELS ne renonce pas à former les élus locaux qu’elle continue d’impliquer dans les différents temps de formation qu’elle organise. Néanmoins, elle renonce définitivement à les considérer comme une population privilégiée de son action ainsi qu’à l’idée d’une formation partisane de ces derniers. La figure mise en avant est dès lors celle de « l’animateur local », « cadre naturel » des territoires qui, par la formation, peut devenir une force militante capable d’incarner un idéal de renouvellement démocratique et faire advenir les conditions d’une décentralisation effective des pouvoirs.

Ainsi, si elle naît dans une logique de contrôle partisan et de légitimation des élus de catégories populaires au tournant du XXe siècle, la formation des élus se décline parallèlement à partir des années 1960 comme une action d’éducation populaire menée par les milieux démocrates-chrétiens au service d’un renouvellement de la vie politique locale. Malgré quelques autres actions au niveau local, comme celle entreprise dans la petite commune de Crolles6, la formation des élus reste une activité plutôt marginale qui concerne principalement les élus locaux de la périphérie parisienne, membres des partis de gauche.

Essor et structuration d’un marché informel (1970-1990)

Les années 1970 représentent une période charnière pour la structuration de la formation des élus locaux. De pratique marginale et localisée, la formation va se populariser auprès d’un nombre croissant d’acteurs et d’institutions. Dans un contexte de démocratisation de la formation tout au long de la vie pour les salariés7 et les agents territoriaux8, plusieurs périodiques édilitaires9 relaient le sentiment de certaines associations d’élus locaux d’être les grandes oubliées des réformes. Elles problématisent le sujet en invoquant le décrochage supposé des élus locaux face à une administration toujours plus professionnalisée et une complexification de l’action publique.

De plus, face au ralentissement de l’économie mondiale et d’une remise en cause de l’échelon étatique dans la production des politiques publiques (Rosanvallon, 1981), les collectivités sont perçues comme une solution permettant à l’État de déléguer certaines de ses responsabilités d’ordre microéconomiques pour se recentrer sur des missions plus régaliennes. Ces réflexions, qui se formalisent au niveau gouvernemental autour de projets de réformes comme celui du rapport d’Olivier Guichard « Vivre Ensemble » (Guichard, 1976), laissent présager chez les acteurs locaux d’une évolution probable des responsabilités locales et les incitent alors à militer pour le développement des outils leur permettant d’assurer activement leurs futures compétences. En devenant un objet de revendication grandissant chez les élus locaux et leurs associations représentatives, l’intérêt pour la formation va émerger pour trois types de structures distinctes ; les associations d’élus, les associations d’éducation permanente et les universités, qui vont chacune proposer des visions singulières de formation.

Structures les plus importantes numériquement à s’emparer de la question, les associations d’élus vont se diviser en trois sous-ensembles ; d’un côté les associations d’élus « généralistes »10 proposent une formation en direction de l’ensemble des élus locaux sur des sujets d’ordre généraux et plutôt techniques. Les associations d’élus « thématiques »11 n’organisent, quant à elles, des sessions que pour certains élus sur des thèmes précis ; la ruralité, les femmes élues, le littoral, la montagne, etc. Enfin, les associations d’élus « partisanes »12, rattachées à un parti, n’ouvrent leurs stages qu’aux élus membres d’un même courant politique.

Relativement moins présentes que les premières, les associations d’éducation permanentes vont se distinguer des associations d’élus par une ouverture plus large de leurs stages qui ne se limitent pas aux seuls élus. Ces associations se divisent en deux sous-ensembles ; les associations d’éducation « populaires »13 qui entretiennent par la pratique de la formation des élus des objectifs militants de démocratisation de la vie locale, et les associations de formation « professionnelles »14 qui ne considèrent les élus que comme une catégorie singulière de professionnels qui exprime des besoins de formation.

Enfin, et de manière plus sporadique, les universités15 imaginent des sessions de formation pour les élus en prenant appui sur leurs capacités et expériences pédagogiques. Cependant, en répétant les modèles qu’elles proposent à leurs étudiants, la formation est souvent théorique et tournée vers des finalités qualifiantes que recherchent peu les élus.

Le début des années 1970 est donc une période où la pratique de la formation se développe. Le marché se forme en dehors de tout cadre législatif et de financement de manière éparpillée. Cet émiettement de l’offre et des acteurs va toutefois connaître un ralentissement au tournant des années 1980. En 1978, poussés par la nature des débats parlementaires16, le ministère de l’intérieur prend conscience du retard qu’il a pris sur le sujet comparativement à d’autres administrations d’État17. Alors qu’elle se considère comme l’interlocuteur le plus légitime en la matière, la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) décide de reprendre la main sur une question qu’elle estime être de son ressort exclusif.

Premièrement, à l’aide du Centre de Recherche en Urbanisme (CRU)18, elle convoque le 16 février 1979 les principaux acteurs de formation qu’elle a réussi à identifier pour instaurer les prémices d’une coordination nationale. Deuxièmement, le 14 mars de la même année, le ministère de l’intérieur organise et prend la présidence d’un groupe de travail interministériel pour recenser les moyens de formation des différentes administrations d’État en direction des élus19. Dans les deux cas, le ministère de l’intérieur essaie de faire prévaloir une vision plus « informative » que formatrice. L’objectif défendu étant qu’il serait préférable que les élus « sachent appliquer » plutôt qu’ils puissent « faire par eux-mêmes ». Si cette vision est adoptée par les ministères de l’Éducation Nationale, des Universités, et de l’Équipement, les organismes de formation, qui souhaitent dispenser de véritables enseignements aux élus, la refuse et rompent les relations.

Face à cet échec, le CRU se dissout et les structures de formation s’émancipent de la tutelle ministérielle en organisant par eux-mêmes deux rencontres de « coordinations nationales »20. Ces dernières débouchent en 1981 sur la création de l’Association pour l’information et la formation des élus locaux (AIFEL) qui changera de nom en 1990 pour devenir la Fédération Nationale pour la formation des élus locaux (FNFEL). L’objectif de ces structures qui se succèdent n’est pas d’organiser par elles-mêmes des stages de formation, mais de promouvoir et de diffuser la formation pour les élus en tant que structure d’appui technique aux organismes et associations qui la composent. En soi, elles deviennent des groupes d’entraides et de lobby pour faire reconnaître non pas « le droit » de formation pour les élus mais bien plus « un droit » singulier de formation qui serait tourné vers l’ensemble des élus locaux dans une logique d’apprentissage des compétences techniques nécessaires à l’exercice des mandats locaux. Scellant l’alliance d’une vision générale et professionnelle21 de la formation, ces deux structures prétendent successivement harmoniser une offre de formation au niveau national en délaissant les visions plus militantes des organismes partisans ou d’éducation populaire.

De leur côté, même si elles essaient de copier l’idée d’une fédération nationale en créant en mars 1982 l’éphémère « Centre Interuniversitaire de formation des élus locaux » (CIFDEL), les universités françaises ne semblent pas réussir rendre leurs formations spécialement attractives, critiquées par les élus pour leur aspect trop théorique et éloigné des besoins concrets des apprenants (Maisl, Pouyet, 1984)22.

Une mise en législation incomplète de la formation des élus (1970-1992)

Parallèlement à l’essor et la structuration du marché, se forme au sein du champ politique un consensus entre les parlementaires pour reconnaître la formation des élus comme un droit. Unanimes sur le constat, ils se retrouvent également pour en circonscrire le périmètre. Il ne s’agit en aucun cas pour eux d’encourager une professionnalisation, c’est-à-dire de participer à la consécration d’une « classe politique » éloignée des citoyens et administrativement omnipotente, ou encore d’appeler à une « fonctionnarisation » de ces derniers les faisant agents d’État. Il s’agit plus modestement d’aider les élus à s’ajuster aux évolutions des charges locales et jouer leur rôle de « décideurs éclairés ». Dans cet esprit, la formation ne peut ni être similaire à celles que suivent les agents au sein du CFPC, ni relever de la compétence exclusive de l’État.

Ces différentes réflexions trouvent un écho chez un nombre de plus en plus important d’hommes politiques et de hauts fonctionnaires convertis à la critique de l’hypertrophie de l’État central qui imaginent, bien avant les lois de 1982-1983, des scénarios de décentralisation et de réformes des conditions d’exercice des mandats. Dans ce contexte, la question des indemnités, du droit d’absence et de congé, de la responsabilité pénale ou de la formation deviennent des sujets réguliers de discussions et de débats parlementaires.

Cependant, face aux diverses problématiques avec lesquelles elle est associée, la formation des élus apparaît comme une préoccupation secondaire. Le rapport Boileau23 de 1978, synthétisant les différents débats et projets de lois sur le sujet, objective cette relégation en ne la faisant apparaître que dans les « dispositions complémentaires ». Les débats et polémiques portant davantage sur la question des indemnités et de la gratuité, réelle ou supposée, des fonctions locales. Également, le projet de loi no 187 relatif au « développement des responsabilités des collectivités locales », qui voit le jour à la fin de l’année 1978, prévoit de ne statuer qu’a minima sur la question ; seul un article est mis aux voix24.

Si ce projet de loi ne survit pas à l’alternance politique de 1981, certains principes structurants le droit actuel de la formation des élus sont pourtant déjà énoncés ; l’idée d’un financement public assuré par les collectivités locales, la présence d’un agrément dispensé par une « autorité compétente », ou encore l’existence d’une diversité dans l’offre de formation. Autant d’éléments qui seront temporairement délaissés par les lois de décentralisation des années 1982-1983 qui renvoient à la promulgation de lois futures l’élaboration d’un statut de l’élu local adapté à la hausse des responsabilités concédées aux collectivités. Abandon assez paradoxal puisque la réforme des conditions d’exercice des mandats locaux faisait partie des priorités du nouveau gouvernement socialiste (Camus, 2022).

En effet, dès la fin de l’année 1981, le sénateur Marcel Debarge est chargé de la présidence d’une commission dont la mission est de formuler des propositions pour les faire significativement évoluer. Rendues le 22 Janvier 1982, les conclusions du rapport donnent pour la première fois à la formation un caractère primordial, avant même la question des indemnités. Premier dispositif précisé, la commission imagine un droit équivalent à 35 heures par élu et par année, soit un total possible de 210 heures tout au long d’un mandat. Ces heures sont conçues comme facultatives et totalement gratuites pour les élus qui pourraient profiter d’un système faisant contribuer à la fois les employeurs et les collectivités. D’un côté, les employeurs se verraient obligés de maintenir le salaire de leurs employés élus désirant s’absenter pour se former et de l’autre, les collectivités seraient en charge de rembourser intégralement les frais inhérents à toutes formations (déplacement, hébergement, restauration, formation) par le truchement d’une cotisation obligatoire à une caisse nationale de redistribution placée sous le contrôle de la Cour des comptes. Ainsi, et contrairement aux rapports et projets de lois qui lui sont antérieurs, l’une des principales caractéristiques du rapport Debarge est son aspect ambitieux. C’est également ce qui préside à son abandon car jugé trop onéreux25.

C’est seulement à la réélection de F. Mitterrand en 1988 que la commission est exhumée pour reprendre son projet initial et en présenter une version « plus réaliste ». Sans déclencher de véritables débats chez les parlementaires, le droit à la formation qui s’institutionnalise par la loi no 92-108 du 3 février 1992 ne représente alors plus que 6 jours26 par élus et par mandat. Outre le renoncement horaire, les principales dispositions sont sauvegardées ; la formation devient un droit attaché au mandat local, financée par les collectivités à hauteur de 20 % du total des indemnités de fonction des élus et mobilisable librement. Aussi, l’idée d’une instance de régulation se concrétise au travers de la création du Conseil National de la Formation des élus locaux (CNFEL) qui prend ses fonctions le 22 décembre 1993 autour de deux missions. Premièrement, donner une « orientation générale à la formation des élus locaux », autrement dit de participer à circonscrire et objectiver l’ensemble des besoins de formation des élus locaux et les formes pédagogiques les plus appropriées à ce public singulier. Deuxièmement, définir une politique de régulation du marché, c’est-à-dire d’arrêter l’ensemble des attentes et critères préalables permettant d’examiner uniformément les dossiers de première demande ou de renouvellement déposés par les organismes.

Pour autant, le CNFEL ne réussit pas à remplir ces deux missions consubstantielles l’une à l’autre. Incapables de se baser ou de produire un cadre clair et univoque, les propriétés de la régulation opérée par le CNFEL se construisent « en acte » et évoluent dans le temps de manière non anticipée. Cette difficulté de régulation encouragera les dérives et sera au principe de la réforme du droit portée par la loi n° 2021-771 du 17 juin 202127 qui transforme profondément la logique de fonctionnement du marché et des capacités des élus à se former en cours de mandat ou pour se reconvertir à l’issue de ce dernier.

Suite au prochain numéro !

Pierre Camus

Indications bibliographiques

BELLANGER E., « Spécificité, continuité et uniformisation de la gestion communiste dans les mairies de la Seine » », in Girault Jacques (dir), « Des communistes en France (années 1920-années 1960) », Paris, publication de la Sorbonne, 2002, pp. 306-310.

BELLANGER E., « Un siècle de vie municipale en terre socialiste », Histoire du Pré-Saint-Gervais, Paris, Créaphis, 2004, p. 182.

BELLANGER E., « Ivry, Banlieue Rouge. Une histoire politique dans la France Urbaine du 20e Siècle », Paris, Créaphis, 2017, pp. 127-128.

BRIQUET J-L., « Notable et processus de notabilisation aux XIXe et XXe siècles ». 2012.

CAMUS P., La formation des élus locaux en France (1880-2020). Les conditions d’une institutionnalisation instable. Thèse de sociologie. Sous la direction de Remy le Saout. Nantes, 2021.

CAMUS P., « La formation des élus locaux : une occasion manquée ». Droit et Gestion des collectivités territoriales, éditions Le Moniteur, oct 2022, 2022, pp. 173-178

GUICHARD O., « Vivre ensemble », rapport de la Commission Guichard, La Documentation française, Paris, 1976

KERNALEGENN T., PRIGENT F., RICHARD G., SAINCLIVIER J., « Le PSU vu d’en bas », Réseaux sociaux, mouvement politique, laboratoire d’idée (années 1950-années 1980), Rennes, PUR, 2009.

LEFEBVRE R., « « Le conseil des buveurs de bière » de Roubaix (1892-1902). Subversion et apprentissage des règles du jeu institutionnel », Politix, vol.14, no 53, 2001, pp. 87-115.

MAISL H., POUYET B., « La formation des responsables locaux », in Annuaire des collectivités locales, Tome 4, 1984, pp. 503-513.

PRÉVOT M., « Les militants d’origine chrétienne dans la fabrique de la ville des années 1960 à nos jours : un objet pertinent ? », L’information géographique, 2012/1, Vol. 76, pp. 11-27.

ROSANVALLON P., « La crise de l’État providence », Paris, Seuil, 1981.

PUDAL B., « Prendre Parti. Pour une sociologie historique du PCF », Paris, Presses de sciences Po, 1989.

SIBLOT Y., « Ouvriérisme et posture scolaire au PCF. La constitution des écoles élémentaires (1925-1936) », In Politix, Vol 15, no 58, 2002 pp. 167-188.

WORM J-P., « Le préfet et ses notables » In : Sociologie du travail, 8e année no 3, Juillet-septembre 1966. pp. 249-275.

1 Doctrine du socialisme français nommé d’après Jules Guesde qui théorise une préparation méthodique de la révolution par la lutte des classes.

2 Par exemple ; Lyon, Brest, Saint-Etienne, Bordeaux, Marseille, Toulon ou encore Roubaix.

3 Bulletins mensuels de la Fédération Nationale des élus du Parti Ouvrier Français, n°1-12, 1899-1900. Archives Nationales.

4 Position prise par Maurice Thorez, secrétaire du PCF, en Avril 1936. La « politique de la main tendue » rompt avec la logique de « lutte de classes » prônée depuis le congrès de tour de 1920 et sera retenue comme le début de l’ouverture du PCF vers les forces politiques non communistes progressistes tels les mouvements de chrétiens de gauche.

5 Telles que « Vie Nouvelle », « Citoyen 60 » ou « Peuple et Culture », des syndicats et chercheurs, ainsi que des journalistes, avocats ou urbanistes etc.

6 Muller Claude, « Paul Jargot, Le Précurseur du Grésivaudan » repéré à l’url : http://claudemuller.blog.lemonde.fr/2014/11/18/paul-jargot-le-precurseur-du-gresivaudan et Muller Claude (2012) repéré à l’url : http://www.lecrollois.fr/archive/2012/04/05/paul-jargot-le-precurseur.html.

7 Loi no 71-575 du 16 juillet 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente, dite loi Delors, entrée en vigueur le 1er janvier 1972.

8 Loi n° 72-658 du 13 juillet 1972 portant modification du code de l’administration communale et relative à la formation et à la carrière du personnel communal et applications.

9 Journaux édilitaires tels que « Vie Publique, le journal des élus », « Le Quotidien du Maire », « Pouvoirs Locaux » etc.

10 Comme l’Association Régionale d’information des collectivités territoriale (ARIC) ou l’Association départementale d’information des communes de Loire-Atlantique (ADICLA) etc.

11 Comme L’Association National des Maires du Littoral (ANEL), l’Association des Conseillères Municipales de l’Isère (ACMI), le Centre d’Information des Communes Rurales (CICOR) etc.

12 L’Association National des élus communistes et républicains (ANECR) pour les élus communistes, l’Association national des élus locaux radicaux et socialistes (ANERS) pour les élus de centre-gauche, Le Centre de Formation des élus locaux (CEFEL) pour les élus de la droite et du RPR etc.

13 Telles « La Fédération Léo-Lagrange », « l’ADELS » ou les « Groupes d’actions municipales » (GAM).

14 L’Office Régional d’Information et de Coordination de formation permanente (ORICEP), le Comité d’action pour l’éducation permanente (CAPEP de Valencienne-sud), L’institut d’éducation permanente (IEP d’Auchel-Bruay), L’institut Lillois d’éducation permanente (ILEP), L’institut Roubaisien d’Education permanente (IREP) ou encore le Groupement d’éducation permanente et d’Animation de Grande-Synthe (GEPAG).

15 Comme l’Université Paris I Sorbonne, Grenoble II, Lyon III, Dijon, ou encore Strasbourgs III etc.

16 Projet de loi n°187 « pour le développement des responsabilités des collectivités locales ». 20 Décembre 1978.

17 Certains ministères organisent en effet des sessions de formation pour les élus au travers d’organismes à qui ils délèguent certaines actions comme, par exemple, le Ministère de l’Education Nationale avec l’Association pour la formation, l’information et la documentation des élus locaux (AFIDEL).

18 Créé en 1962 par le Ministère de la Construction et le Ministère de l’Education Nationale, le Centre de Recherche en Urbanisme (C.R.U) passe rapidement sous la tutelle du Ministère de l’environnement et du cadre de Vie qui en fait un outil de recherche au service de l’administration centrale de l’équipement. Il sera mandaté par le ministère de l’intérieur à partir des années 1978-79 pour assurer par défaut une structuration nationale de la formation des élus jusqu’en 1980.

19 Note à l’intention de Monsieur le Directeur Générale des Collectivités locales, Réunion du groupe de travail pour effectuer le recensement des moyens de formation existants pouvant assurer les formations des élus locaux. Archives Nationales.

20 Extrait du calendrier des actions de l’ORICEP visible dans : Beghin Jean-Luc, Filippi Antoine, « Action expérimentale de sensibilisation des élus à l’information et à la formation », Office régional d’information et de coordination d’éducation permanente, Octobre 1980, Lilles. Annexes.

21 Dans la mesure où elles sont composées d’associations d’élus généralistes et d’associations de formation professionnelle.

22 Cette difficulté des universités avec la formation des élus locaux est visible dans le document : « Formation et perfectionnement des personnels communaux et des élus locaux / Réunion des responsables universitaires de formation et perfectionnement des agents des collectivités locales et des élus locaux », Aix-en-Provence, 27 Avril 1974, Aix-en-Provence, Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-Marseille III, 1974.

23 Rapport No 391, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’Administration générale, par Roger Boileau, 1er Juin 1978, Sénat.

24 Article L. 123-21 modifié du projet de loi no 187 du 20 Décembre 1978 pour le développement des responsabilités des collectivités locales, adopté le 22 Avril 1980. Ce dernier autorise « les communes à allouer sur leur budget, aux membres du conseil municipal, des indemnités pour rembourser les frais qu’ils ont exposés, le cas échéant, pour suivre des stages dans des centres de formation agréés par l’autorité compétente et créés soit par des organismes publics de formation, soit par des associations d’élus locaux ayant au moins le département pour cadre de leur recrutement ». 

25 Le Ministère estime notamment que la seule formation des élus coutera plus de 700 millions de francs par année. Archives Nationales.

26 6 jours qui correspondent au droit d’absence mobilisable par les élus salariés. Il est a noté que la notion de « jour » ne recouvre pas la durée horaire de « 24 h » mais plus le concept « d’heure ouvrée » soit 5 à 6 heures par jour.

27 Ratifiant les ordonnances no 2021-45 du 20 janvier 2021 et no 2021-71 du 27 janvier 2021 portant réforme de la formation des élus locaux.