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Une recherche de cohésion, entre scènes de pouvoirs et coulisses informelles

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Constitué de 15 contributions, cet ouvrage propose un regard transversal sur un enjeu invoqué dans les politiques publiques : la cohésion des territoires. L’ouvrage s’adresse à un public initié à la critique des politiques de décentralisation et à leur basculement dans les territoires. L’approche collective interroge les discours, annoncés comme une révolution sémantique, dans les scènes politiques et leurs influences à trois niveaux : échelles spatiales, institutionnelles et dans les pratiques entre acteurs. La cohésion serait associée à une dynamique de projet et de récit commun. Maniant à la fois des études de cas, récits d’opérations et recontextualisation historique, les auteurs nous dévoilent les coulisses de la fabrique des politiques publiques. Ils délivrent des regards concordants qui interrogent l’application des promesses politiques, notamment dans l’aménagement du territoire.

L’ouvrage rassemble plusieurs contributions issues de disciplines complémentaires, autour d’un enjeu problématisé : la cohésion des territoires. À l’issue d’une journée d’étude menée à Douai le 15 avril 2021 par le Centre Droit Éthique et Procédures, en pleine crise sanitaire, les auteurs illustrent un des domaines d’intérêts majeurs portés par l’université d’Artois dédié aux patrimoines, territoires et transculturalités. Le propos est structuré de parties égales, qui se veulent nécessairement transversales. Cette équité dans les domaines mentionnés permet un horizon du positionnement des disciplines (géographes, urbanistes, économistes, juristes…) autour d’une même question : quelles formes la cohésion des territoires prend-elle aujourd’hui ?

Au-delà de l’enjeu soulevé de réduire les inégalités territoriales (nous y reviendrons), la cohésion territoriale apparaît soudainement comme un nouvel objectif de politique publique pour l’État depuis 2017. Est-ce si récent ? Comment en sommes-nous arrivés à cette appétence démontrée ? Quel contexte socio-économique a priori dissonant a provoqué ce besoin de retrouver une solidarité territoriale ? En quoi le palimpseste des politiques publiques successives a entraîné le besoin de retrouver une cohésion ?

L’ouvrage s’insère également dans le contexte des crises récentes, notamment dans les débats autour des craintes que « l’autonomisation ne mute en repli »1. Tendre vers une cohésion des territoires, pour l’ensemble des auteurs, traduit un basculement de paradigme qui « implique de passer d’une conception monolithique [...] à une conception multiterritoriale des territoires interdépendants »2. Cinq parties thématisées proposent alors une lecture des relations, entre pouvoir étatique et acteurs institutionnels. Apport notable, une grande majorité des auteurs insiste sur le fait que la cohésion territoriale demeure « un concept peu appréhendé et mal délimité. […] Évoquée constamment mais définie nulle part, elle semble pourtant porter à elle seule la lutte contre les fractures territoriales »(op. cit. p. 91).

Trois idées majeures regroupent l’ensemble des contributions. Dans une première section, nous explicitons les positionnements des auteurs par rapport aux politiques publiques menées depuis les premières lois de décentralisation jusqu’à aujourd’hui. Dans une deuxième section, nous recensons les maux issus de ces choix politiques associés aux responsabilités des acteurs mentionnés, notamment l’État. Nous interrogeons enfin dans une troisième section les prospectives citées par les auteurs et les conditions nécessaires à leurs élaborations.

D’une quête d’attractivité à de nouveaux jeux d’acteurs, explicitation de la scène politique

La cohésion peut être comprise de prime abord sous un « angle économique et social »3. Les auteurs proposent de tendre à travers leurs contributions vers un objectif d’équité territoriale. Cet enjeu permettrait de donner des « chances équivalentes à tous les citoyens européens, quelque que soit l’endroit où ils habitent »4. Au-delà de ce terme de chance, l’ouvrage tente d’interroger les faits qui semblent générer des inégalités persistantes.

Une européanisation des politiques publiques de planification territoriale : associer contractualisation et décentralisation

L’enjeu de la cohésion territoriale est clairement établi à l’article 174 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Celui-ci explicite un enjeu commun aux États membres puisqu’« afin de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale »5. Les auteurs relèvent deux critères Européens qui influencent les réformes successives de cohésion : « une gestion partagée dans le cadre d’une gouvernance multiniveaux [...] un financement de la production de biens et services publics intégrés, censée rendre visible l’action de l’Union européenne auprès des citoyens dans leurs territoires de vie » (op. cit. p. 45).

Cette articulation entre fonctionnements étatiques et principes Européens « met en perspective un passage progressif d’une politique contracyclique d’orientation des investissements d’après-guerre vers des territoires en difficulté sur le plan socio-économique [...] à une logique d’attractivité […] et de renforcement des pouvoirs locaux, allant notamment vers une forme de régionalisation […] et de métropolisation » (op. cit. p. 85). Concrètement, les auteurs mentionnent la quête d’attractivité comme le nouveau paradigme de l’action publique.

Le retrait de l’État et l’affirmation de la mise en compétition des territoires : rendre responsables les collectivités territoriales de leur développement

Il est recontextualisé les crises économiques et financières qui ont amené à l’État à mettre en œuvre un « appel au développement territorial »6. Conséquence, les lois de décentralisation (1982 et 1983) ont enclenché un « tournant » dans les politiques publiques : « elles ont défini un cadre d’intervention au sein duquel les collectivités territoriales étaient des actrices majeures de leur […] avenir » (op. cit. p. 114). Plus concrètement, il est démontré l’idée que « les orientations poursuivies par l’État en matière de décentralisation s’inscrivent dans une volonté d’adapter le droit et les territoires à des exigences de maîtrise des dépenses et à un impératif d’efficacité des politiques publiques » (op. cit. p. 128.

Selon les auteurs, ce retrait de l’État a entraîné une priorisation de certaines parties du territoire. Pour preuves, les instruments financiers mobilisés avant 1980 ne « visaient pas à nouer des liens de solidarité entre les territoires destinés à promouvoir leur capacité à se développer » (op. cit. p. 114). Or, « à partir du milieu des années 2000, l’intervention financière de l’État au niveau local paraît en recul, dans un contexte de réduction de ses capacités budgétaires et de politiques privilégiant la compétitivité et les appels à projets […] s’apparentant à un ”gouvernement à distance” » (op. cit. p. 163).

Or, une grande majorité des auteurs s’appuient sur le Livre Vert portant sur la cohésion territoriale et publié en 2008. La cohésion territoriale devrait alors miser sur une approche intégrée (entre coordination horizontale et verticale) et sur la coopération au-delà des frontières administratives. Ces principes sont au cœur de la feuille de route du ministère de la Cohésion des territoires (créé en 2017), termes inédits dans les décrets d’attribution.

Sur ce point, la création d’un ministère spécialement dédié aux enjeux explicités précédemment est associée à la conception d’une nouvelle mission budgétaire intitulée « Cohésion des territoires » et l’institution de l’Agence Nationale de la Cohésion Territoriale (ANCT). Cette dernière affiche clairement comme objectif de « renforcer la cohésion en réduisant les fractures et donc les inégalités territoriales.[…] L’agence a donc pour mission première d’aider les collectivités territoriales et leurs groupements à concevoir, définir et mettre en œuvre leurs projets » (op. cit. p. 95).

De la compétitivité à la recherche d’une cohérence d’ensemble

Les auteurs reconnaissent la nouvelle gouvernance multiniveaux qui est nécessairement « tributaire de l’adhésion des acteurs locaux » (op. cit. p. 33). C’est cette mise en lumière des pouvoirs locaux, notamment lors de la conférence nationale des territoires en 2017, qui permet aux métropoles et (fait récent) aux intercommunalités de se positionner comme adjuvants à l’État dans sa quête de cohésion nationale. Les auteurs relatent les récits politiques qui misent sur les complémentarités, au bénéfice de l’ensemble et en parallèle « l’exigence de gouvernance ouverte et consensuelle »7.

Cette « affirmation des pouvoirs locaux » (op. cit. p. 85) est dans la continuité de « la thèse des métropoles d’équilibre qui fut remise en cause dans les années 1990, en raison de la mondialisation des marchés et de la tertiairisation des métropoles : les métropoles sont des foyers de croissance qui s’autonomisent » (op. cit. p. 166). Elles pourraient s’extirper de relations et de projets avec leurs territoires adjacents. Néanmoins, le rôle majeur de ces nouveaux acteurs, désormais reconnu, voit l’accentuation de politiques négociées. Pour exemple, il est rappelé la nouvelle attention portée aux villes moyennes « catégorisées comme des laissées-pour-compte, qui deviennent l’une des grandes priorités de la politique de la cohésion des territoires à la fin des années 2010 » (op. cit. p. 243).

Les maux issus de ces choix politiques

Les auteurs démontrent le glissement de la question de l’aménagement du territoire, à différentes échelles institutionnelles : depuis les années 1960 où l’État prenait majoritairement cette question en charge, puis aux années 1970 avec des incitations contractuelles en direction des pouvoirs locaux et enfin aux régions (années 1980) et par l’Union européenne à partir des années 1990. L’ouvrage tente de démontrer les conflits issus de ces mutations et ses répercussions sur la cohésion territoriale. En somme, le glissement d’un état unitaire décentralisé vers un relais aux institutions, qui interroge la place du projet d’ensemble, qui ne se peut se résumer à « un local ou un national fantasmé » (op. cit. p. 51).

Une quête de différenciation polémique et sans réelles assises

L’identification des spécificités territoriales entraîne-t-elle la fin de l’égalité républicaine ?

L’enjeu de la cohésion territoriale se traduit lors des premières lois de décentralisation comme une lutte « contre les méfaits d’une inégalité persistante » entre les territoires. Cette distinction vise à combattre les « inégalités de destin des citoyens selon qu’ils vivent à tel ou tel endroit du territoire » (op. cit. p. 101). Les « réalités locales » sont alors censées être prises en compte, afin de répondre aux « besoins locaux » (op. cit. p. 101).

Cette déclinaison en fonction des réalités locales permettrait de réaliser des projets davantage spécifiques. C’est pour cette raison que la différenciation est présentée comme la solution « pertinente » pour une organisation des compétences « efficace » (op. cit. p. 135). Nous pouvons observer un glissement vers d’autres disciplines attentives aux spécificités du cadre de vie, qui regroupe les critères « géographiques, économiques, démographiques voire culturels ou historiques » (op. cit. p. 136).

Néanmoins, « la différenciation territoriale paraît se défaire de la version égalitaire de la décentralisation. Elle porte plus une valorisation des particularismes locaux qu’un objectif de lutte contre les inégalités » (op. cit. p. 129). Cette démarche intégrée semble davantage renforcer la métropolisation qui a « pour effet de concentrer des pouvoirs, des activités à forte valeur ajoutée, des moyens et des institutions métropolitaines fortement intégrées sur les territoires les plus attractifs. Ce phénomène tendrait surtout à accentuer les inégalités territoriales avec un assèchement des territoires environnants en matière d’emplois et de richesses produites » (op. cit. p. 130).

Une incompatibilité entre les promesses politiques et les outils financiers ?

Cet enjeu d’une cohésion territoriale formulée officiellement à partir de 2017 (et instruite par un nouvel appareillage politique) se traduit également d’un point de vue budgétaire. Quels crédits sont alloués aux problématiques identifiées et (nécessairement) transversales ? Or, « rassemblant pour la première fois l’ensemble des crédits destinés à financer la cohésion territoriale, la mission « Cohésion des territoires » rend donc possible une lecture budgétaire de cette politique » (op. cit. p. 91). La lecture qui nous est proposée par Marie-Anne Vanneaux compare les programmes dédiés à cette mission, en soulevant le caractère « abscons ». À l’aide d’un argumentaire sourcé et illustré, la conclusion est sans appel : « le décalage existant entre les objectifs qui sont assignés à la cohésion territoriale et les moyens budgétaires qui lui sont consacrés est important et en accentue d’autant plus la déformation que l’évaluation de ces derniers demeure compliquée […]. Ses crédits ne représentent qu’une faible part du budget de l’État et cette politique est largement financée par des supports budgétaires diversifiés et non spécifiques ainsi que par des dépenses fiscales difficilement évaluables » (op. cit. p. 101).

En parallèle, Vincent Sempastous nous alerte sur le fait qu’« au-delà d’établir un contexte favorable à la solidarité entre les territoires, la cohésion doit aussi garantir l’équité territoriale, c’est-à-dire la différence entre la valeur des services rendus et les impôts acquittés »8. L’auteur fait le choix de nous présenter trois outils de solidarité financière territoriale, nécessairement associés à un positionnement politique. L’argumentaire détaille (entre autres) : la compensation financière, les subventions et la péréquation financière. Cette dernière est comprise ici comme « un mécanisme financier redistributif dont l’objet est de répartir les richesses entre les différentes collectivités territoriales de l’État en fonction inverse de leurs ressources ». Son rôle est alors de « corriger les inégalités dynamiques » de situation afin qu’elles ne s’inscrivent pas dans la durée et qu’elles ne fragilisent pas la cohésion territoriale ». Cette « solidarité » permettrait alors une cohésion « entre » et « par » les territoires, en adéquation avec leurs besoins. Une relation vertueuse semble alors opérer, en lien avec la cohésion nationale. L’enjeu serait d’éviter « la création d’inégalités en matière d’offre de services publics qui seraient de nature à faire naître un sentiment de « désappartenance sociale » chez certains citoyens » (op. cit. p. 101).

Sur ce dernier point, l’ouvrage consacre un chapitre à la question du numérique. La crise sanitaire a effectivement « mis en exergue les inégalités territoriales […] pour ces territoires « oubliés » de la France, où le digital est quasiment inexistant » (op. cit. p. 227). Or, l’aménagement numérique semble, selon les auteurs, corrélé « aux enjeux liés à l’attractivité d’un territoire, à la compétitivité ou encore à l’égalité des territoires » (op. cit. p. 235). Il est explicitement démontré le rôle des collectivités territoriales dans « la recherche d’une cohérence régionale » (op. cit. p. 218). Néanmoins, si cet enjeu est peu ou prou maintenu, « le développement du numérique peut avoir un effet amplificateur des fractures sociales » (op. cit. p. 219). Ce chapitre illustre de manière générale le constat des « politiques successives de rétraction des services publics » (op. cit. p. 253).

La communication autour des territoires de projets : la quête de l’innovation perpétuelle ?

Un renouvellement de l’appareillage juridique associé à une gouvernance informelle

L’État endosse donc une nouvelle posture pour faciliter la mise en relation de l’ensemble des acteurs institutionnels. Point notable, les auteurs interrogent la valeur juridique des nouveaux outils issus de la décentralisation. En effet, « la forme contractuelle tend à devenir le mode de relation normale entre les personnes publiques » (op. cit. p. 141). De manière générale, il est observé « une forme de droit conventionnel souple »9, qui permet des coopérations et des solidarités, y compris dans des cadres de discontinuité territoriale » (op. cit. p. 142). Bien que « le terme contrat […] fasse davantage appel à la notion de convention, d’accord de partenariat, qu’à une forme juridique formelle »10, il n’en résulte pas moins que « la portée juridique est parfois quasi nulle » (op. cit. p. 37).

Pour illustrer cela, l’étude des labels culturels territoriaux s’avère pertinente. En effet, « la labellisation correspond également à un mode récent d’intervention publique, notamment de l’État, le conduisant à abandonner les instruments classiques de gestion de type command and control au profit d’une nouvelle instrumentation fondée sur l’incitation et l’émulation dans le cadre du renforcement de la décentralisation et de la compétitivité apparente des territoires » (op. cit. p. 146). L’évaluation des candidatures pour les différents labels s’appuie effectivement sur l’existence d’un projet territorial, qui doit démontrer en quoi la candidature de la collectivité au label permet un renforcement de « la solidarité territoriale et la stratégie de coopération territoriale » (op. cit. p. 151).

Or, « la labellisation consiste à distinguer les collectivités territoriales, leurs groupements ou les structures auxquelles ils participent, selon une démarche volontaire. Elle constitue donc, avant tout, un instrument volontaire d’identification, de distinction et de différenciation […] territoriales, éventuellement dans un contexte de compétitivité des territoires » (op. cit. p. 147). Nous retrouvons ici des enjeux a priori délétères narrés précédemment.

Une démarche présentée comme collaborative et de coconstruction, mais avec quelle ingénierie ?

Toutefois, « cette mise en compétition via des appels à projets »11 ne viserait-elle pas à démontrer et recenser les villes faisant office de « centralité » (op. cit. p. 262) ? Avec un objectif innovant, puisqu’il permet un recensement des pratiques vertueuses dans les « territoires modèles »12. Ces territoires seraient de « véritables laboratoires d’analyses des pratiques où la mise en réseau et le croisement des cultures d’aménagement permettent de stimuler, d’encourager, voire de partager l’innovation territoriale » (op. cit. p. 72). Pour exemple, les auteurs citent « les contrats de réciprocité qui encouragent le dialogue, les coopérations et les partenariats autour de projets liés à des thématiques comme l’environnement et la transition énergétique, le développement économique et l’accueil d’entreprises ou la revitalisation des commerces de centres-bourgs. Cette forme de contractualisation permet à des EPCI de nouer des liens dans une logique de réciprocité » (op. cit. p. 72).

Néanmoins, « le concept (de cohésion territoriale) comme son contenu ne sont pas pour autant clairement définis » (op. cit. p. 90). Ce constat est rendu d’autant plus lisible dans les réactions des acteurs locaux, qualifiés de « méfiants » (op. cit. p. 97) face aux nouveaux Contrats de Relance et de Transition Écologique (CRTE). De plus, les auteurs nous alertent sur la multiplicité et la complexité des dispositifs contractuels qui sont d’ailleurs telles que certaines collectivités se « trouvent exclues de toute contractualisation, faute d’information suffisante sur leur éventuelle éligibilité aux différents dispositifs et surtout sur les démarches à effectuer »13.

Les territoires de projets, nouveaux garants de la cohésion : le récit comme liant et processus pour générer des projets de territoires solidaires

Cette gouvernance multi-niveaux pourrait être vertueuse si les principes fondamentaux du droit de l’aménagement du territoire étaient respectés, à savoir « la concertation, la contractualisation et la codécision » (op. cit. p. 34). L’État créerait donc les conditions pour « l’empowerment des territoires » (op. cit. p. 35), autour de nouveaux jeux d’acteurs qui se manifestent, dans un contexte de multi-crises. Or, ce n’est pas la reconnaissance des interdépendances entre ces mêmes acteurs que des dynamiques solidaires pourraient émerger.

Les apports en ingénierie territoriale pour l’émergence de récits plus individuels

Les reproches observés par certains auteurs à cette nouvelle mise en récit de l’action publique sont la place prépondérante du « manque de partage d’informations […] informels, récurrents et mutuels » (op. cit. p. 250). Après l’ère du guichet, en sommes-nous arrivés à la négociation informelle entre acteurs institutionnels ? La littérature associée aux critiques du lobbying territorial y trouvera aisément son compte ici. Néanmoins, nous proposons d’interroger ici les capacités « d’ingénierie des territoires » (op. cit. p. 202). Cette dernière devrait permettre l’émergence de « nouveaux récits collectifs : des visions communes de nos passés nationaux à la fois communs et différents, et de notre avenir commun » (op. cit. p. 55). Il est mentionné pour exemple les apports de programmes nationaux tels qu’Action Cœur de Ville. Ce dernier permet aux communes de bénéficier d’ingénierie et de financements au nom de leur stratégie de « revitalisation » de leurs centres-villes. L’outil opérationnel associé est l’ORT (Opération de Revitalisation de Territoire). Enfin, il est recontextualisé également que les élus locaux ont pu, depuis les politiques des métropoles d’équilibre jusqu’aux contrats de pays, apprendre « l’apprentissage de la coopération intercommunale »14. Ces acteurs seraient donc légitimes à se positionner en tant que narrateurs du devenir des territoires dont ils ont la charge.

De l’interritorialité à la solidarité entre les territoires

L’ouvrage démontre que « partenariat, concertation, coopération, confiance et contractualisation deviennent les nouveaux maîtres mots de cette nouvelle forme d’action publique locale menée par un État désormais plus facilitateur qu’interventionniste » (op. cit. p. 89). Au regard de l’enjeu d’une cohésion territoriale, l’interritorialité est mobilisée par nombre d’auteurs comme processus fédérateur. Selon le géographe Vanier, l’interritorialité est « la recherche de l’efficacité de l’action publique territoriale par l’articulation, l’assemblage des territoires, tels qu’ils sont »15. Cette hiérarchie horizontale mise sur la reconnaissance des interdépendances entre les territoires. Ces relations peuvent s’appuyer alors sur des problématiques collectives, qui nécessairement justifient « la coopération […] pour mettre en commun des projets et des compétences stratégiques » (op. cit. p. 140).

Un exemple de ce nouveau paradigme est parfaitement illustré par l’analyse du SRADDET de la région Hauts-de-France. L’argumentaire démontre avec aisance comment les territoires construisent une « prospective permanente », en se basant sur les complémentarités identifiées et par un traitement différencié. Deux conditions sine qua non sont cependant mises en lumière : « une volonté politique partagée et un outillage technique » (op. cit. p. 205). Il est également mis en avant la nécessaire « convergence entre l’État, les différentes collectivités territoriales et les opérateurs » (op. cit. p. 206). Il est enfin mentionné la « responsabilité commune au regard de certains enjeux (transitions climatiques, environnementales, etc.) » (op. cit. p. 207).

L’article 2 de la loi du 4 février 1995 prescrit que l’État a l’obligation à travers ses actions de « concourir à la cohésion des territoires ». L’enjeu doit se traduire concrètement à la « cohérence des aides budgétaires et fiscales qui concourent aux politiques de cohésion territoriale » et qu’il « contribue à la définition, à la mise en œuvre et au suivi des politiques nationales et européennes de cohésion économique, sociale et territoriale »16. Nous pouvons observer comment cette intention initiale se traduit dans les dynamiques territoriales. Ces dynamiques sont encore influencées par une mise en compétition âpre, initiée par le palimpseste des politiques publiques successives. Cette tension entraîne l’affirmation de spécificités, tant dans les pratiques entre acteurs que dans les récits construits. Pourtant, cette mise en mots ouvre potentiellement un espace narratif poreux, autour de nouvelles solidarités et la reconnaissance des interdépendances. Une citation semble signifier ce pas de côté : « la cohésion territoriale ne se décrète pas, elle s’expérimente, elle se construit, elle se tisse » (op. cit. p. 198). Bien que la place donnée aux habitants dans cette nouvelle forme « hybride de gouvernance »17 ne soit pas explicitement formulée, l’ouvrage propose un réel apport, notamment dans les sciences narratologiques et aux disciplines liées à l’aménagement, du territoire à la parcelle.

Maxime Pailler

La cohésion des territoires. De nouveaux mots pour panser les maux, sous la direction de Patricia Demaye-Simoni, Berger-Levrault, coll. “Au fil du débat”, janvier 2022, 284 p

1 P. Demaye-Simoni (dir.), La cohésion des territoires. De nouveaux mots pour panser les maux, Berger-Levrault, coll. “Au fil du débat”, janvier 2022, p.207 (par soucis de lecture, l’expression latine op. cit., (Opus citatum) permet de recenser dans les notes suivantes les pages mentionnées dans l’ouvrage)

2 Labaronne D. et a., Ruralités : une ambition à partager. 200 propositions pour un Agenda rural, rapport, juill. 2019, p. 33

3 Drevet J.-F., Histoire de la politique régionale de l’Union européenne, 2008, Belin.

4 DATAR, La cohésion territoriale en Europe, 2010, La Documentation française

5 TFUE, art. 174 : JOUE C 326/127, 26 oct. 2012

6 Maurey H. et Nicolaÿ J.-L., Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité, rapp. Inf. Sénat n°565, 31 mai 2017, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, p. 25.

7 Chevallier J., La gouvernance, un nouveau paradigme étatique ?, RFAP 2003/1 nos 105-106, p. 203

8 Guengant A. et Josselin J.-M., Réforme constitutionnelle des finances locales : quels sens donner au principe d’égalité ? , Revue d’économie générale & urbaine 2006, n°5, p.672

9 Devillers H., Les contrats de revitalisation du territoire, Dr. Adm. oct. 2020

10 Contrat de réciprocité conclu entre Brest Métropole et le Pays du Centre Ouest Bretagne, 2016.

11 Desjardins X. et Estèbe P., Les trois âges de la planification territoriale, in Moatti S., La planification, une idée d’avenir, L’économie politique, 01/2021, n°89

12 Espein R., Les trophées de la gouvernance urbaine, art. cit.

13 Vigier J.-P., avis AN n°2292, 8 oct. 2019, op.cit., p. 13

14 Perrin D. et Malet J., Les politiques de développement rural, Rapport de l’instance d’évaluation présidée par D. Perrin, Conseil national de l’évaluation, Commissariat général du plan, 2003, La Documentation française

15 Vanier M., Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité, 2008, Economia

16 D. n°2009-1549, 14 déc. 2009, créant la DATAR, art. 1Er : JO, 15 déc 2009 ; D. n°2014-394, 31 mars 2014, portant création du CGET, art 2 : JO, 2 avr. 2014

17 Romain Pasquier, Vincent Simoulin et Julien Weisbein (dir.), La gouvernance territoriale, pratiques, discours et théories , LGDJ, Paris, 2007, 235 p.