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Sur-fréquentation touristique : quelle régulation ?

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Avec près de 90 millions de touristes internationaux ayant foulé son territoire en 2019, la France est la première destination touristique mondiale. Du fait de son patrimoine culturel et naturel presque inégalable à l’échelle internationale, la France attire toujours touristes français et étrangers. Cette attractivité se traduit dans les chiffres économiques : sur les 175 milliards d’euros dépensés par la consommation touristique en 2022, 58 l’ont été par les touristes étrangers lors de leurs vacances dans l’hexagone, un chiffre en hausse de 1,9 milliard par rapport à 2019. Cette dynamique économique vigoureuse ne va pas sans son lot d’externalités négatives : inflation de l’immobilier, augmentation du coût de la vie, sentiment de dépossession des habitants… Les sujets de crispation sont nombreux. L’Alliance France Tourisme, constituée d’entreprises publiques et privées en lien avec le secteur touristique, a publié une étude d’envergure s’appuyant sur une approche comparative et internationale sur les problèmes structurels et conjoncturels causés par le « surtourisme ». Lorsque 80 % de l'activité touristique reste concentrée sur 20 % du territoire, nombreuses sont les pistes pour repenser les flux touristiques : quotas, désaisonnalisation, « démarketing »…

Aperçu du surtourisme en France

Le retard français dans l’appréhension du phénomène

La France, par rapport à ses voisins européens, notamment Néerlandais, Espagnols et Italiens, a pris du retard dans la régulation de la sur-fréquentation touristique. En réalité, aucune doctrine officielle n’a été édictée dans la lutte contre ce phénomène. Seul le Réseau des Grands Sites de France, association reconnue d’intérêt général, met en place des politiques visant à restreindre ce surtourisme, qui provoque des dégâts environnementaux, patrimoniaux, sociaux et humains sur les territoires les plus fréquentés. Même si la France ne connaît pas encore de franche manifestation de « tourismophobie », comme ce fut le cas à Barcelone, Venise ou Amsterdam, une grogne commence à s’entendre, comme en témoignent les premières réglementations anti-Airbnb et la multiplication des éditoriaux — dans la presse nationale notamment — pointant le tourisme de masse. Cette absence de réflexion se retrouve dans les différentes études internationales de ces phénomènes. Au sein des deux premiers volumes de l’étude Overtourism ? publiés par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) en 2018 et en 2019, sur les vingt-trois destinations étudiées, aucune n’est française. Cette absence est symptomatique de la perte d’influence française sur les questions de pointe concernant le tourisme et, par extension, la régulation du sur-tourisme. À titre d’exemple, contrairement à ses concurrents espagnols, la France ne fait pas partie du Conseil Mondial du tourisme durable.

Surtourisme : quels impacts sur la vie quotidienne ?

La densification touristique est un phénomène mondial. Selon l’OMT, 95 % du tourisme mondial se concentre sur 5 % des terres émergées. La France n’est pas épargnée, puisque 80 % de son activité touristique se concentre sur 20 % de son territoire. Ainsi, sur les 90 millions de touristes étrangers ayant foulé le sol français au cours de l’année 2019, 38 millions se sont rendus à Paris et dans le Grand Paris. Sur ce périmètre, les différents points de concentrations touristiques se situent globalement dans la même zone géographique : sur les bords de la Seine.

Cette concentration provoque des externalités négatives pour les habitants. D’un point de vue social tout d’abord, un sentiment de dépossession se développe chez les locaux. La « disneylandisation » de certains quartiers par la perte de leur authenticité, la pollution sonore et visuelle, la surcharge des espaces publics ou encore le comportement parfois inapproprié des touristes sont autant de symptômes de cette dépossession. Mais ces phénomènes peuvent également impacter le tourisme en lui-même, avec une dégradation de l’expérience de visite : les trois heures de queue en haute saison pour monter les marches de la Tour Eiffel peuvent en effet entacher les souvenirs d’un visiteur de passage à Paris.

Ces impacts peuvent aussi être d’ordre économique. Les touristes étrangers disposant d’un fort pouvoir d’achat, le coût de la vie augmente dans les lieux touristiques, tout comme l’immobilier sous le poids d’une forte demande, aux dépens des locaux. En outre, une trop forte dépendance au secteur touristique peut, en cas de crise économique d’ampleur, mettre en péril la santé économique d’un territoire. Enfin, des impacts culturels et environnementaux peuvent être relevés. Des dégradations sur des lieux historiques qui ne sont pas adaptés à une forte densité de population se produisent. On peut penser ici à l’exemple récent du Mont-Saint-Michel. La surpopulation est également problématique dans certains espaces naturels, — comme les Calanques de Cassis — , en remettant en question la protection du patrimoine naturel français par l’érosion des sols, la surconsommation des ressources naturelles ou simplement par la pollution engendrée par les déchets et les mobilités.

Désengorger, oui, mais comment ?

Marketing dissuasif et communication renouvelée

L’étude d’Alliance France Tourisme préconise que la déconcentration des flux doive être l’objet de la communication institutionnelle des territoires. La mise en avant de lieux moins réputés peut être une solution, comme l’a fait l’Islande avec les sources chaudes d’Akureyri, bien moins connues que le Blue Lagoon très touristique. Cette volonté de mettre en avant des lieux moins identifiés par les touristes doit se coupler à des stratégies de marketing dissuasif, visant à décourager les visiteurs à se rendre sur les lieux les plus prisés pour les orienter vers d’autres. Par exemple, à l’été 2021, le site internet du Parc national des Calanques de Marseille avait publié des images de plages et de falaises bondées, afin de décourager les possibles visiteurs. La communication doit également se pencher sur le tourisme itinérant et propre. La société Evaneos, spécialiste du tourisme en ligne, propose ainsi une offre « Hors des sentiers battus » afin de permettre à ses clients de découvrir des lieux moins connus, loin des sites touristiques habituels. Enfin, autre exemple de cette déconcentration des flux promue par la communication : les fameux Guides du Routard ont intégré depuis 2021 des approches thématiques du cyclotourisme, permettant de désengorger les principaux sites touristiques.

Déconcentrer pour mieux répartir les flux

La restructuration des offres globales de service sur tout le territoire est l’un des leviers importants pour lutter contre le surtourisme. En tourisme, comme dans d’autres domaines, la macrocéphalie parisienne est omniprésente. Une déconcentration du tourisme passerait par une diversification des services en région. Là encore, l’exemple islandais peut servir d’inspiration : le Fonds islandais de protection des sites touristiques a pour objectif de créer de nouvelles expériences afin de répartir sur l’ensemble du pays l’afflux de touristes étrangers. Cette déconcentration peut s’appuyer sur le patrimoine préexistant, en témoigne la Cité des Vins de Bordeaux ou la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin à Dijon, des sites récents qui attirent un grand nombre de touristes en usant du patrimoine territorial, répartissant ainsi les flux touristiques du territoire. Il est aussi possible de citer la mise en avant de parcours diversifiés, comme les routes du vin ou les spots d’escalades, qui permettent de disséminer les touristes sur un territoire élargi. Cette diversification des activités sur l’ensemble du territoire français permettrait, non seulement, une meilleure répartition du tourisme, mais également un développement des services dont pourraient profiter les locaux. Le réaménagement de la Plaza de Espana à Madrid a ainsi permis, par une piétonnisation du centre-ville, de faire face aux rues bondées en rendant à la fois la vie des Madrilènes et le séjour des touristes plus agréables.

Le sujet du tourisme d’affaires4, qui comporte les congrès, les voyages d’affaires ou encore les séminaires, est également à mettre sur la table. Ce secteur bien particulier compte pour 25 % dans les dépenses touristiques globales, avec une dépense de 32 milliards d’euros en 2019. Ce pourcentage dépasse de près de 5 points la moyenne internationale et européenne. La durabilité de cette forme de tourisme pose question. En effet, plus polluant que le tourisme classique, du fait de la multiplication de trajets et de la durée limitée des séjours, le tourisme d’affaires est une problématique majeure dans la gestion du surtourisme, notamment dans les Régions Bretagne, Île-de-France et Nouvelle Aquitaine.

Des politiques publiques touristiques à réinventer

Des infrastructures de transports plus écologiques

La réflexion autour du tourisme en France doit obligatoirement s’attarder sur les offres de transport. Que ce soit pour venir, s’y déplacer ou quitter le pays, les transports doivent permettre aux touristes d’organiser leur séjour sans encombre. La planification est donc primordiale, ne serait qu’au regard des problématiques du changement climatique. À nouveau, la politique de transports en faveur du développement touristique, aura des effets concrets et positifs envers les populations locales. Pour les auteurs de l’étude d’Alliance France Tourisme, la mise en place de plateformes numériques de billetterie multimodale permettrait une simplification des voyages. Imaginons un touriste étranger souhaitant se rendre dans le Sud-Ouest. Tout d’abord un billet doit être pris pour l’avion, puis pour le train, enfin pour le bus ou le métropolitain et pourquoi pas même pour la location d’une voiture. À l’échelle nationale, il pourrait être intéressant de s’inspirer du travail de la ville de Tignes et de son site GoTignes, permettant de réserver avions, trains et bus sur une seule plateforme tout en promouvant les mobilités vertes. De même, l’investissement dans les grands projets de transports, tels que la LGV Paris-Bordeaux-Toulouse ou le CDG Express entre la Gare de l’Est et l’aéroport Charles-de-Gaulle, permettrait à la fois de déconcentrer les flux des transports en commun déjà existants, mais aussi de libérer la pression sur les autoroutes, notamment l’A1 et l’A3 en région parisienne qui concentrent de nombreux problèmes de circulation. Un dernier aspect de la question serait la prise en compte des mobilités vertes dans les métropoles les plus touristiques, et leur promotion auprès des touristes, avec le développement d’itinéraires cyclables, de locations de vélo ou encore la réduction des Tourbus.

Ces différentes pistes de réflexions permettraient à la fois un séjour plus simple pour les touristes et un désengorgement des différents transports. Elles créeraient également une plus grande acceptation des habitants tout en leur permettant de profiter eux aussi de ces investissements.

Des décisions concertées

Pour une meilleure lutte contre le surtourisme, il semble de bon aloi d’intégrer dans le processus décisionnel les premières victimes de ce phénomène, c’est-à-dire les habitants. La ville de Paris pourrait s’inspirer de Barcelone, bien connue pour le rejet du surtourisme de la part des Catalans. La ville de Barcelone a créé un Conseil de la ville et du tourisme afin d’accompagner l’équipe municipale sur les sujets de tourisme. Des conseils d’habitants font entendre la voix des premiers concernés tout en gardant les leviers d’actions dans les mains de l’administration. Les politiques publiques touristiques devraient être faire l’objet de démarches de co-construction entre habitants, entreprises publiques, privées et administrations afin de permettre à tous ces acteurs de se sentir concernés par le développement touristique, et de faire fructifier les fruits du tourisme pour tous. En outre, les entreprises du secteur touristique ont bien compris que le surtourisme était à long terme destructeur pour leur activité. Elles doivent donc travailler main dans la main avec les pouvoirs publics pour permettre à leur secteur de se pérenniser. Les pouvoirs publics, quant à eux, sont dans l’obligation d’accompagner les entreprises dans leurs innovations, investissements et prises de risques.

Notons enfin que les pouvoirs publics pourraient rendre plus attractifs et stables les métiers du tourisme, souvent éreintants pour les professionnels du secteur, et notamment dans la restauration. Ces avancées sociales seraient bénéfiques dans la lutte contre le surtourisme, en permettant un meilleur accueil des touristes mais aussi en transformant les méthodes de travail actuelles, qui peuvent être négatives pour les habitants et l’environnement. Les actions menées pourraient prévoir par exemple la localisation de logements destinés aux saisonniers plus proche de leur lieu de travail, la mise en avant des leviers de la responsabilité sociale des entreprises ou encore la promotion des poly-compétences et des boucles de saison.

La France dispose d’un patrimoine exceptionnel qui attire de très nombreux touristes chaque année. Par impréparation et parfois par démesure, les pouvoirs publics n’ont pas toujours voulu prendre en compte le problème du surtourisme. En conséquence, le pays a accumulé du retard sur ce sujet par rapport à ses concurrents directs. Cependant, des solutions existent et la France a les atouts nécessaires pour permettre une meilleure évolution d’un secteur économique clé pour des millions de Français.

Pierre Censier

1 Le Monde, La France a engrangé 58 milliards d’euros en 2022 grâce au tourisme international, un record – 28/02/2023

2 L’étude a été pilotée par un groupe de réflexion réunissant des groupes du secteur tels qu’Accor, Belambra, SNCF Connect ou encore la Compagnie des Alpes.

3 « Destination France : quelle régulation face à la surfréquentation touristique », Alliance France Tourisme, Juin 2023

4 Voir à ce sujet le rapport du Ceser Bretagne, Le tourisme d’affaires en Bretagne, Destination territoire durable, Avril 2023.