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Les collectivités territoriales face aux enjeux climatiques : quelles voies citoyennes de mobilisation ?

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En France, l’année 2021 a également étémarquée par le procès dit de «L’affaire du siècle»qui a conduit le tribunal administratif de Paris à enjoindre à l’État de réparer les conséquencesde sa carence en matière de lutte contre le changement climatique. Pour autant, le recours audroit s’épuise-t-il dans ce type de contentieux? L’État est-il le seul acteur public concernéparces évolutions sociales? Les collectivités territoriales n’ont-elles pas aussi un rôle à jouer en lamatière? Entre le citoyen et la collectivité décentralisée, quelle place est faite localement audroit pour prendre en compte les dérèglements climatiques? Appelé à participer, le citoyen nefait pour autant pas toujours preuve d’un grand enthousiasme. Alors que les outils juridiquesorganisent avec précision cette participation, celle-ci manque parfois d’élan ou même decandidats, générant de ce fait quelques désillusions ou insatisfactions.


 

Les collectivités territoriales et les citoyens peuvent-ils sauver la planète ? En ont-ils la volonté et les moyens ? Le droit local peut-il permettre de lutter contre les dérèglements climatiques désormais établis ou tout au moins de s’adapter à eux ? Si ce n’est pas en ces termes, le vice-président du Conseil d’État lui-même s’interrogeait à sa manière sur ce recours possible au droit au profit de la lutte contre le changement climatique. Celle-ci « se présente ce faisant comme un laboratoire dans lequel sont élaborés et testés de nouveaux moyens d’action juridiques, derrière lesquels se cache en réalité le modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre demain, et à travers lesquels sont définies les réponses à la question : quel monde allons-nous laisser aux générations qui nous succéderont ? ». Une observation attentive des chiffres semble confirmer cette analyse. Ainsi, en janvier 2021, le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) publiait son rapport annuel sur l’état des contentieux environnementaux dans le monde. Il apparaît que depuis 2017, le nombre de litiges a presque doublé, passant de près de 800 cas dans 24 pays à plus de 1 550 dans 38 pays différents. Un mouvement de fond s’amorce, en France comme dans nombre de pays. La défense des droits de l’homme intègre progressivement la vulnérabilité croissante de certaines populations provoquée par les effets du dérèglement climatique ; la pression se porte alors de plus en plus sur les États et les entreprises pour aboutir à une modification de leurs pratiques.

En France, l’année 2021 a également été marquée par le procès dit de « L’affaire du siècle »1. Par un jugement du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a, pour la première fois, enjoint à l’État de réparer les conséquences de sa carence en matière de lutte contre le changement climatique. À cette fin, le tribunal a ordonné que le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre fixé par premier budget carbone (2015-2018) soit compensé au 31 décembre 2022, au plus tard2. Les procédures engagées par plusieurs associations, ayant obtenu le soutien de quelques collectivités territoriales, accompagnées d’une pétition signée par plus de deux millions de citoyens et fortement médiatisées ont donc abouti à une décision considérée comme une première victoire pour l’instauration d’une justice climatique. Le citoyen, à titre individuel ou collectif, entend donc mobiliser le droit contre les défaillances des États en matière climatique. Aux Pays-Bas, en Colombie, au Brésil comme en France, les juges accueillent de plus en plus favorablement ces plaintes déposées par des citoyens et leur donnent satisfaction. Pour autant, le recours au droit s’épuise-t-il dans ces contentieux ? La norme ne peut-elle pas être mobilisée de manière positive, pour contraindre a priori plutôt que punir a posteriori ? Et l’État est-il le seul acteur public concerné par ces évolutions sociales ? Les collectivités territoriales n’ont-elles pas aussi un rôle à jouer, tant dans l’édiction, que l’application ou l’utilisation des règles au profit de la lutte contre les changements climatiques ? Entre le citoyen et la collectivité décentralisée, quelle place est faite localement au droit pour prendre en compte les dérèglements climatiques ?

L’intérêt d’une approche territorialisée de la question est double : cela permet d’abord de se décentrer par rapport à l’État, dont la fonction exécutive et législative (et la responsabilité qui en découle) occulte certains aspects de la question posée et pour lequel les procès précités apportent d’ores et déjà quelques éléments de réponse. Mais cela permet aussi d’interroger le lien entre les citoyens et leurs élus locaux, par rapport à l’application des règles de droit et à la prise en compte d’enjeux qui dépassent les territoires concernés. Le prisme local permet donc d’interroger tout autant les défis démocratiques et sociétaux que le rapport au droit, toujours plus pragmatique qu’au niveau national. Droit de la conciliation, le droit de l’environnement l’est assurément, davantage encore que d’autres branches du droit public qui revendiquent pourtant aussi cette caractéristique (tel le droit de l’urbanisme par exemple). Son histoire apparaît en effet comme favorable à la participation du public, encouragée en cela par un contexte européen et international davantage sensibilisé à ses enjeux, marqué notamment par la directive européenne du 27 juin 1985 sur la participation du public à l’élaboration des grands projets, la Déclaration de Rio du 10 juin 1992 sur l’environnement et le développement qui, dans son article 10, encourage les États à promouvoir l’accès du public aux informations relatives à l’environnement et sa participation au processus de décision ou encore la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998, que la France a ratifiée en 2002, une étape majeure dans le développement de la démocratie environnementale. Au-delà de la seule obligation d’information, l’idée de participation des citoyens s’impose en effet presque naturellement dans ce domaine, démontrant dans une certaine mesure la réussite de la Conférence de Rio. Le citoyen, qu’il le soit à titre individuel ou collectif (sous forme associative ou même d’une société commerciale) doit donc être associé d’une manière ou d’une autre tant les enjeux environnementaux le concernent directement. Certes, les esprits critiques souligneront que le sommet de Rio était surtout marqué par l’énonciation de beaux principes et souffrait incontestablement d’une faible traduction opérationnelle, mais cette affirmation d’un idéal démocratique majeur en matière environnementale était néanmoins nécessaire et s’est depuis lors imposée dans toutes les conventions, législations et réglementations ultérieures.

Si c’est une évidence d’affirmer que l’introduction de procédures de débat public dans la prise de décision répond à un impératif démocratique, il ne faut pas négliger l’intérêt en parallèle pour les décideurs publics, de légitimer ainsi leur action dans un contexte de remise en cause du système représentatif. Le débat permet aussi une meilleure acceptation de la décision publique lors de sa mise en œuvre concrète puisqu’il permet en amont aux citoyens d’exprimer leur avis, et même d’avoir une influence avant la prise de la décision. Or, ce type de procédure, né en matière d’aménagement du territoire3, a progressivement été étendu à d’autres secteurs d’intervention tels que la santé ou la protection de l’environnement. La concertation s’installe ainsi tout autant comme une exigence contemporaine de la démocratie qu’une condition de son efficacité. Il devient ainsi délicat, voire illusoire, de distinguer intérêt général et intérêts particuliers, tant l’expression publique des seconds peut contribuer à esquisser les contours du premier : « l’intérêt général néo-moderne […] n’est plus frontalement opposé aux intérêts privés »4 affirmait dès 2006 le professeur Guylain Clamour et les années qui ont suivi n’ont fait que confirmer ce constat. La participation contribue à cette évolution et aboutit ainsi à une reformulation de l’intérêt général5, qui localement apparaît sous la terminologie d’intérêt public local6.

Appelé à participer, le citoyen ne fait pour autant pas toujours preuve d’un grand enthousiasme. Alors que les outils juridiques organisent avec précision cette participation, celle-ci manque parfois d’élan ou même de candidats. À l’instar des mécanismes plus classiques de démocratie représentative, la participation directe en matière environnementale génère ainsi désillusions ou insatisfactions. Peut-être parce qu’elle repose sur une ambiguïté originelle, liée au fait que l’idée même de participation recouvre en réalité deux significations, sensiblement différentes : prendre part (I) et prendre parti (II).

Prendre part

Le premier niveau de participation relève d’un postulat préalable : celui de sa neutralité bienveillante. Dans cette acception, le citoyen accepte de prendre part au débat et à la prise de décision, sous une forme de devoir démocratique dépassionné dans lequel il exprime un point de vue parmi d’autres : celui de l’usager. Cela lui donne un droit fondamental – celui d’être informé – et lui ouvre accès à un autre droit tout aussi essentiel : celui d’être consulté.

En étant informé

Le droit européen impose depuis déjà plusieurs décennies aux autorités publiques (et même aux organismes qu’elles contrôlent ou auxquels elles ont délégué une mission d’intérêt général) de faciliter l’accès à l’information ou de diffuser les informations considérées comme nécessaires avant toute prise de décision. Cet encadrement juridique européen n’a pas empêché le droit français de préserver un certain nombre de limites au droit à l’information, tout en esquissant progressivement la reconnaissance d’un droit général à être informé et à avoir communication de tout document de nature administrative. Certes, le Code de l’environnement contient bien un titre spécifique consacré à l’environnement, transcrivant ainsi la réglementation européenne et renvoyant pour l’essentiel aux dispositions de la loi du 17 juillet 19787 : ce titre II du livre I dispose ainsi, dans ses articles art. L.121-1 à L.121-4, que toutes les autorités publiques ayant des responsabilités en matière d’environnement sont concernées par ce principe d’information. De même, la Charte de l’environnement, partie intégrante de la Constitution de la Cinquième République, affirme elle aussi de manière solennelle ce droit dans son article 7 : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

Pour autant, ces dispositions apparaissent en retrait du droit européen sur quelques points précis : les avis restent difficilement communicables, en tout cas tant que la décision administrative qui s’y réfère n’a pas été prise. De même, les documents préparatoires sont longtemps restés inaccessibles tant que le processus de décision n’était pas arrivé à son terme : il a fallu que la justice administrative s’en mêle pour étendre sensiblement le droit à information. Dès lors, l’accès du citoyen aux différents éléments qui fondent les décisions publiques est devenu plus simple mais rencontre toujours quelques obstacles qui compliquent sensiblement l’obtention des informations. Cette persistance d’une relative méfiance à l’égard des citoyens non reconnus comme des experts, si elle est perceptible dès le stade de la demande d’information, est encore plus prégnante lorsqu’il s’agit de les consulter pour recueillir leur avis.

En étant consulté

Dans une démocratie, la loi – et plus largement la règle de droit – est l’expression de la volonté générale et résulte de ce fait d’une mise en débat public. Cette évidence, valable dans le champ environnemental comme dans bien d’autres législations, a néanmoins donné lieu à un encadrement juridique relativement strict afin d’accompagner mais aussi de limiter l’implication citoyenne. La loi Barnier du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement créant la Commission nationale du débat public complétée par la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 a ainsi posé les jalons d’une organisation minutieuse de la confrontation entre discours public et parole privée ou, dit autrement, entre intérêt général et intérêts particuliers. La commission précitée a alors été qualifiée d’autorité administrative indépendante, afin de renforcer sa légitimité et d’affirmer son indépendance, tout en rendant obligatoire sa saisine par les maîtres d’ouvrage pour les grands projets d’infrastructure. De plus, cette loi a également étendu le champ de la procédure du débat public aux projets portés par des personnes privées (afin de prendre davantage en compte le caractère concurrentiel de ces secteurs) ainsi qu’à des projets présentant un caractère d’intérêt national mais de moindre envergure dès lors qu’ils sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’environnement8. Le législateur a enfin réaffirmé à cette occasion le droit de chacun à accéder aux informations relatives à l’environnement. La loi dite « Grenelle II » du 10 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a par la suite étendu l’intervention de la Commission nationale du débat public aux plans et aux programmes ayant une influence en matière d’environnement et d’aménagement du territoire. Si la commission est nationale, elle se penche régulièrement sur des dossiers environnementaux locaux.

Pour autant, si le débat public constitue un progrès démocratique, il n’est pas exempt de tout reproche et fait régulièrement l’objet de remises en cause de la part des différentes parties en présence. C’est vrai en ce qui concerne les maîtres d’ouvrage qui n’y voient qu’un moyen pour les citoyens de s’opposer à leur action. Mais c’est vrai également pour les citoyens, généralement des riverains du projet, qui dénoncent souvent une procédure dont les conséquences sont limitées et qui ne s’apparenterait finalement qu’à une modalité d’enregistrement de décisions d’ores et déjà entérinées. Les autorités publiques se plient quant à elles à l’exercice, tout en l’assimilant parfois à une perte de temps ou plus rarement à une remise en cause de leur propre légitimité politico-administrative. Cécile Blatrix résume ainsi l’institutionnalisation du débat public comme « une formidable machine – un peu risquée certes, mais au rendement exceptionnel – à fabriquer de la légitimité »9. Conformément à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les participants au débat public ont ainsi l’impression de demander des comptes aux agents publics de leur administration, en les contraignant a minima à construire et étayer leurs arguments.

S’inscrivant localement dans le cadre de la démocratie de proximité, le débat public contribue à une prise de conscience par l’opinion des modalités et des enjeux de la prise de décision publique. Organisé autour des principes de transparence, d’argumentation et d’équivalence de traitement, le débat peut s’organiser sous de multiples formes et se déroule sous le contrôle vigilant de la Commission nationale du débat public. Ainsi, celle-ci ne se prononce pas sur le fond des dossiers, ne bénéficie d’aucun pouvoir de décision, d’injonction ou de sanction. Cette position, en surplomb, garantit certes son autorité et son indépendance mais elle limite aussi son rôle, qui n’est que consultatif : ni la Commission, ni les citoyens n’ont de pouvoir de contrôle sur la décision retenue et les élus demeurent les seuls décideurs de l’avenir du projet. La logique demeure donc prioritairement celle de l’information et très peu celle de la codécision, comme l’a bien montré Serge Vallemont10.

À l’échelon local, de très nombreux organismes interviennent également : commissions consultatives de l’environnement (article R. 571-70 et suivants du code de l’environnement), consultées relativement aux nuisances provoquées par les aéroports ; commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (article L. 112-1-1 du code rural), consultées sur les questions relatives à la réduction des surfaces naturelles, forestières et agricoles ainsi que sur certaines procédures ou autorisations d’urbanisme ; commissions consultatives des services publics locaux (article L. 1413-1 du CGCT) ; conseils de quartier (articles L. 2143-1 et L. 2122-2-1 du CGCT), pouvant être consultés par le maire sur toute question concernant le quartier ou la ville ; comités consultatifs sur tout problème d’intérêt communal (article L. 2143-2 du CGCT), qui peuvent être consultés par le maire sur toute question ou projet intéressant les services publics et équipements de proximité et entrant dans le domaine d’activité des associations membres du comité… pour n’en citer que quelques-uns.

En créant un organisme consultatif, l’autorité locale affiche publiquement sa volonté de prendre en compte l’opinion des personnes concernées. Et leur création est relativement aisée, d’autant plus que la jurisprudence administrative a reconnu que toute autorité disposant d’un pouvoir décisionnel peut instaurer une procédure d’avis préalablement à sa prise de décision11. L’instauration d’une telle procédure ne se conçoit cependant que lorsque l’autorité compétente dispose d’un pouvoir d’appréciation pour prendre sa décision, ce qui n’est pas si fréquemment le cas en matière environnementale.

L’information et la consultation des citoyens semblent donc être juridiquement considérées comme des droits désormais bien établis au niveau local. Pourtant, ce « prendre part » à la décision publique peut ponctuellement être mal vécu par les autorités et leurs représentants, dès lors qu’il se double progressivement d’un « prendre parti » encore mal accepté en matière environnementale.

Prendre parti

Cette seconde acception de la participation citoyenne est plus exigeante que la précédente et interroge en profondeur les procédures classiques de démocratie représentative et les sources traditionnelles d’expertise. Le citoyen devient ici acteur à part entière, pouvant véritablement s’impliquer dans la décision en faisant entendre son point de vue et en espérant même, in fine, être écouté.

En étant entendu

Les opinions citoyennes sont classiquement considérées comme prises en compte tous les six ans au niveau local lors d’un moment particulier, censé cristalliser les débats politiques et aboutir à définir de grandes options : les élections. Cette vision, centrée sur une conception représentative de la démocratie, demeure ancrée dans les consciences tant parmi les élus locaux qu’au sein de la population dans son ensemble, même si elle est évidemment largement remise en cause de nos jours. Il est en effet communément admis que le meilleur moyen de se faire entendre pour un citoyen reste encore l’usage du droit de vote et son corollaire : la possibilité de se présenter comme candidat.

Considérées comme de véritables élections politiques et non administratives12, les élections locales suffisent-elles pour autant à parler de démocratie dans le champ environnemental ? La réponse est évidemment négative et il faut se réjouir que ce droit de vote et d’éligibilité s’accompagne de celui de participer à une série de dispositifs participatifs très variés au niveau local. Sans nécessairement les assimiler à des droits politiques, ces dispositifs permettent de nourrir un climat favorable à la discussion collective des problèmes communs, démontrant par là même leur caractère démocratique. Ainsi, dans toutes les collectivités territoriales, les électeurs peuvent être consultés (CGCT, art. L1112-15 et s.), parfois de leur propre initiative (CGCT, art. L1112-16 et s.) même si le résultat de cette consultation n’est pas juridiquement contraignant pour l’autorité territoriale qui en est à l’origine. L’article 72-1 de la Constitution, dans son alinéa 1er, prévoit en outre un droit de pétition permettant aux électeurs de chaque collectivité de « demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sa compétence ». Or, les questions environnementales entrent largement dans ce cadre des compétences des collectivités territoriales.

De plus, la loi a prévu une autre série de dispositifs qui, bien que consultatifs, permettent une forme de participation citoyenne où chacun peut espérer être entendu. Nombreuses sont en effet les commissions locales qui peuvent associer des personnes pourtant non électrices, en raison de leur simple qualité d’habitants ; de membres d’associations ou d’une expertise particulière. Au niveau communal, c’est ainsi le cas des commissions consultatives des services publics locaux (CGCT, art. L1413-1), des conseils consultatifs (CGCT, art. L2143-2), des conseils de quartier (CGCT, art. L2143-1), des conseils citoyens ou même, au niveau régional, du conseil économique, social et environnemental (CGCT, art. L4134-2). La participation citoyenne ne se limite pas de surcroît à ces formes d’institutionnalisation. Il peut s’agir parfois de simples procédures de consultation dont le strict respect garantit la légalité de la décision qui sera prise in fine dans le champ de l’environnement ou de l’urbanisme principalement. Qu’il s’agisse d’une enquête publique ou d’un débat public, ces procédures peuvent paraîtres strictes et poussiéreuses, elles sont néanmoins très ouvertes puisqu’elles permettent de recueillir l’avis de « toute personne » (art. 7 de la Charte de l’environnement) ou du « public » sans précision complémentaire. Reste que ce public est généralement peu fourni ou se réduit souvent aux seules personnes directement intéressées par la décision en préparation…

Enfin, comme le souligne Camille Morio, les collectivités territoriales ne manquent pas d’idées pour « expérimenter des processus originaux (exemple des budgets participatifs), soit en adaptant les procédés existants (utilisation des nouvelles technologies, diagnostics en marchant, gardes d’enfant pendant les réunions publiques,…), n’hésitant pas à adapter ces démarches dans le temps en fonction des besoins. Élément crucial pour un débat politique, l’accès à l’information n’est pas délaissé par les collectivités. Si la loi oblige les collectivités territoriales à donner accès à leurs documents administratifs et à permettre la réutilisation de leurs informations par des dispositions générales (…), les collectivités territoriales n’ont pas attendu d’y être obligées par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 dite loi NotRe, qui insère l’article L1112-23 au CGCT, pour créer des plateformes dédiées à la mise à disposition de données publiques (aussi appelées plateformes open data) »13.

Mais être entendu ne suffit pas, tant la lassitude peut l’emporter et affaiblir durablement la démocratie locale. Au-delà d’une parole privée qu’il souhaite rendre publique, au-delà d’une expertise d’usage qu’il voudrait voir reconnue et valorisée, le citoyen aspire à être véritablement écouté.

En étant écouté

Les citoyens disposent a priori de plusieurs voies pour que l’on prenne en compte réellement leur point de vue. Des moyens pacifiques – manifestations, « marche climat », etc. – ainsi que des méthodes parfois plus violentes visant à faire réagir rapidement les autorités publiques. Mais il existe aussi des voies juridiquement organisées pour faciliter cette écoute et procéder ainsi à une vraie participation équilibrée. Le droit de pétition et le référendum en constituent deux illustrations.

Une première forme d’implication pour les citoyens peut résider dans l’initiative. Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l'article 72-1 de la Constitution reconnaît ainsi un droit de pétition aux électeurs des collectivités territoriales. Selon cette disposition constitutionnelle, « la loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence ». Loin d’un projet de loi initial qui envisageait un véritable droit d’obtenir l’inscription à l’ordre du jour d’une assemblée délibérante de toute question relevant de son champ d’intervention, la disposition finale apparaît donc relativement timorée mais a le mérite de mettre en place une nouvelle modalité de participation des citoyens par la mise en œuvre d'une initiative populaire.

Limité dès l’origine, le droit de pétition pâtit de surcroît de l’absence d’intervention du législateur pour en préciser les modalités pratiques (nombre de signatures pour qu'une pétition soit recevable, délai de dépôt, etc.). Les dispositions constitutionnelles invitaient pourtant explicitement le législateur à intervenir pour permettre leur mise en œuvre mais le texte se fait pour l’instant encore attendre : en dépit de cette habilitation constitutionnelle et en raison du silence de la loi, les citoyens demeurent donc malheureusement sans recours contre cette abstention, sauf à penser possible un parallèle avec le dispositif prévu à L.1112-16 du Code général des collectivités territoriales (issu de la loi du 13 août 2004). Foncièrement décevant, le droit de pétition peut toutefois s’apparenter à une mesure venant combler l’absence de possibilité d’initiative populaire dans le cadre de la procédure de référendum décisionnel local.

Au-delà de ce dispositif à l’usage des plus restreints, c’est évidemment le recours à un référendum décisionnel local qui reste le meilleur moyen d’écouter fidèlement la population.

Toutes les collectivités territoriales peuvent en effet recourir au référendum local, prévu à l’article 72-1 al. 2 de la Constitution, intégré par la révision du 28 mars 2003, et régi par les articles LO1112-1 et suivants du CGCT. Le référendum local permet ainsi aux électeurs de la collectivité de décider, sous certaines conditions, de la mise en œuvre ou non d’un projet qui relève de la compétence de la collectivité ou de son exécutif (par exemple, l’implantation d’éoliennes). Mais les conditions posées par le législateur organique ne doivent pas être négligées tant elles limitent la capacité d’action – et donc de décision – des citoyens. Le projet soumis à référendum local est adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin et s’il réunit la majorité des suffrages exprimés. Si cette dernière condition est remplie, le référendum vaut décision que la collectivité locale organisatrice doit juridiquement suivre. Dans le cas contraire, le référendum n’a alors que la portée d’un avis consultatif. Cette dernière condition est particulièrement sévère, d’autant plus qu’elle n’a pas d’équivalent lors des scrutins électoraux classiques, laissant penser que le recours à la démocratie représentative serait moins exigeant – ou moins risqué ? – que l’exercice de la démocratie directe. Quoi qu’il en soit, les référendums locaux en matière environnementale restent rares. Sans doute en raison de l’impossibilité pour un établissement public de coopération intercommunale d’organiser un référendum décisionnel (seules les collectivités territoriales disposent de ce droit). Mais aussi parce que quelques expériences malheureuses ont quelque peu hypothéqué ce dispositif : l’échec de l’implantation d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-Des-Landes en Loire-Atlantique, en dépit d’une consultation locale ad hoc organisée par l’État au niveau régional, a en effet durablement marqué les esprits14 alors même que la procédure utilisée ne relève pas des mécanismes référendaires précédemment exposés.

« Les dispositions [de l’article 7 de la Charte de l’environnement qui consacre le principe de participation du public] comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, et à l’instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont une valeur constitutionnelle ; elles s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs » énonce le Conseil d’État en 200815 : ce n’est que rappeler une des caractéristiques majeures du droit de l’environnement tant au niveau national qu’à l’échelon local. La diversité des ressources juridiques dont dispose le citoyen pour accéder aux informations, exprimer son point de vue, donner son avis, voire décider par lui-même de ce qui est bon pour sa collectivité par voie référendaire n’a d’égale que la timidité avec laquelle ces outils sont utilisés. Au carrefour d’intérêts parfois divergents, si ce n’est contradictoires, les élus locaux éprouvent en effet encore quelques réticences à se saisir pleinement des enjeux climatiques et à admettre que d’autres formes démocratiques que la seule représentation sont tout aussi légitimes pour s’emparer de ces questions.

N.K

Notes de bas de page

  • 1 En mars 2019, les associations de défense de l’environnement Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme et Greenpeace France avaient introduit quatre requêtes devant le tribunal administratif de Paris afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer non seulement leur préjudice moral mais également le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations.

  • 2 Par un premier jugement du 3 février 2021, le tribunal avait considéré que l’Etat devait réparer le préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il a également ordonné un supplément d’instruction avant de statuer sur l’évaluation et les modalités de réparation concrètes de ce préjudice. Par son jugement rendu le 14 octobre 2021, le tribunal indique tout d’abord qu’il lui revient de vérifier si le préjudice né du dépassement du premier budget carbone perdure et s’il a déjà fait l’objet de mesures de réparation à la date du jugement. En revanche, il ne lui appartient pas de se prononcer, ainsi que le demandaient les associations, sur le caractère suffisant de l’ensemble des mesures susceptibles de permettre d’atteindre l’objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990, cette question ayant été examinée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe.

  • 3 Dont la déclaration d’utilité publique dans le cadre de l’expropriation constitue sans nul doute la démonstration la plus aboutie.

  • 4 Clamour Guylain. – Intérêt général et concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, Paris, Dalloz, nouvelle bibliothèque de thèses, 2006, 1043 p.

  • 5 Chevallier, Jacques. – Réflexions sur l’idéologie de l’intérêt général in : « Variations autour de l’intérêt général », CURAPP, Paris, PUF, vol.1, p.11 à 45.

  • 6 Kada, Nicolas. – L’intérêt public local, regards croisés sur une notion juridique incertaine, Grenoble, PUG, 2009, 224 p.

  • 7 La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, codifiée au livre III du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), a institué le principe de la liberté d'accès aux documents administratifs. Ainsi, toute personne qui en fait la demande a le droit d'obtenir la communication de documents administratifs.

  • 8 A l’exception toutefois des documents d’urbanisme et des opérations d’aménagements prévues à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme.

  • 9 Blatrix, Cécile ; Blondiaux, Loïc ; Fourniau, Jean-Michel ; Lefèvre, Rémi et Revelet Martine (ss la dir.) – Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2007, 416p.

  • 10 Vallemont, Serge (ss. la dir.) – Le débat public : une réforme dans l’État, L.G.D.J., Paris, coll. « Systèmes », 2001, 208 p.

  • 11 CE, Sect., 26 févr. 2005, Syndicat de la magistrature, n° 265482, Lebon.

  • 12 C’est ce qu’a explicitement reconnu le Conseil constitutionnel concernant les élections municipales (Cons. const., 18 novembre 1982, décision dite « Quotas par sexe », n° 82-146).

  • 13 Morio, Camille – « Citoyenneté locale » in : Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation (sous la direction de Nicolas Kada, Romain Pasquier, Claire Courtecuisse et Vincent Aubelle), Paris, Berger-Levrault, 2017, 1096 p.

  • 14 Lire à ce propos : Lormeteau, Blanche et Van Lang, Agathe. - L'abandon du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Rennes, PUR, 2021, 340 p.

  • 15 CE, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, n°297931, Lebon.