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« Une seule santé » (One Health), un cadre nouveau pour l’action territoriale en santé publique

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Depuis de nombreuses années, l’accroissement significatif de la circulation des agents infectieux et des risques de pandémies, comme récemment la Covid-19, ont mis sur le devant de la scène le concept de One Health, « Une seule santé ». Promu par des organisations internationales « One Health » se définit par une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale aux échelles locale, nationale et planétaire. Le concept reconnaît l’interdépendance des santés humaine, animale et de l’environnement et plaide en faveur d’une approche pluridisciplinaire et systémique des enjeux en termes de maladies infectieuses émergentes, de risques liés aux produits chimiques, d’antibiorésistance, de sécurité alimentaire etc. Le concept prône une approche en termes de prévention et non plus uniquement de réaction aux crises. Maladies infectieuses émergentes ou antibiorésistance… des sujets qui peuvent paraître éloignés des sujets d’intérêt des collectivités locales et pourtant « l’échelle locale » est appelée à agir et nombreux sont ceux qui pensent que les solutions émergeront des territoires. « La bonne échelle d’appréhension des enjeux « Une seule santé », et surtout des actions et politiques à mener en pratique, de manière pertinente et ciblée, se situe dans les territoires ». Si l’offre de santé et la santé publique sont la prérogative de l’État, les collectivités locales agissent, dans leur domaine de compétences, sur de nombreux déterminants de la santé. La crise sanitaire et de récents débats ont démontré leur volontarisme en matière de santé publique. Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine s’est fortement saisi du sujet. Il promeut l’approche « Une seule santé » dans toutes ses politiques mais comment cela se traduit-il sur le plan opérationnel ?

De la santé publique… aux trois santés : quelle place pour la Région ?

Santé publique : définitions, compétences et moyens dédiés

Définitions. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [et] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». La santé est ainsi prise en compte dans sa globalité, elle ne peut se limiter à la seule dimension des soins. La santé publique est, elle, définie comme « la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé physique et mentale à un niveau individuel et collectif ». Ces définitions fondent la nécessité d’une intervention sur les déterminants de santé, c’est-à-dire sur les « facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent l’état de santé des individus ou des populations ». La santé d’une population est donc multifactorielle. Elle ne dépend qu’à environ 20 % des soins et à 80 % de ses conditions de vie. En santé, l’action publique ne se limite donc pas à soigner, elle inclut les actions de prévention et de promotion de la santé.

La santé publique est une compétence de l’État, mais pas exclusivement. D’après le Code de la santé publique (article L. 1411-1), « la politique de santé publique relève de la responsabilité de l’État » mais le Code général des collectivités territoriales (art L. 1111-2) reconnaît que les collectivités « concourent avec l’État … à la promotion de la santé ». Parfois qualifiée de compétence « résiduelle » pour les collectivités locales, la santé est une compétence transversale et, bien que les collectivités n’aient pas un « bloc de compétences » attribué dans ce domaine, les leviers d’actions sont partagés entre chaque échelon de collectivités puisqu’elles peuvent agir sur les déterminants de santé (notamment sociaux, économiques ou environnementaux). Loin d’être « résiduel », le rôle des collectivités locales devient alors primordial et leur proximité avec la population est une force.

Des moyens limités pour la prévention. En termes de moyens, force est de constater que la prévention n’est pas une politique prioritaire. En 2021, hors dépenses liées à la lutte contre l’épidémie de Covid-19, les dépenses de prévention en France s’élèvent à 5,8 milliards d’euros, soit moins de 2 % des dépenses de santé. Ces dépenses, réalisées par l’Assurance maladie, l’État, les collectivités territoriales, les entreprises et les ménages regroupent des programmes d’information, d’éducation et de conseil, de vaccination, de détection précoce des maladies, de surveillance de l’état de santé. Ce chiffre témoigne d’une approche de la santé d’abord basée sur le soin plutôt que sur la prévention et le contexte budgétaire actuel, très contraint, n’offre pas de perspectives de hausse du budget.

Vers une nouvelle approche. Le changement climatique et la détérioration des écosystèmes par les activités humaines (déforestation, urbanisation, élevage intensif, mondialisation des échanges, surexploitation des ressources, etc.) perturbent les équilibres naturels, fragilisent la préservation des formes de vie et concourent à rassembler les conditions favorables à l’émergence de maladies infectieuses. Cela implique d’inventer de nouvelles logiques et de nouvelles méthodes de travail. En cela, le concept One Health, en prônant l’intersectorialité, offre un nouveau cadre pour penser l’action en santé publique. La mise en œuvre de ce concept sur les territoires n’est pas qu’une affaire de compétences ou de moyens, c’est aussi une question de posture et de priorités. Les collectivités ont un rôle à jouer et l’approche « Une seule santé » devient alors une véritable opportunité de porter une politique de santé non uniquement centrée sur le soin mais bien sûr les déterminants de la santé.

Faire de l’approche « Une seule santé » une opportunité

One Health promeut une approche décloisonnée de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement. La Région, en tant que collectivité, dispose de nombreux leviers d’action pour agir et favoriser les approches décloisonnées : aménagement du territoire, formation, développement économique, recherche, innovation, logement, éducation, environnement, jeunesse. Sans être exhaustif, citons quelques exemples de politiques régionales où l’approche « Une seule santé » prend tout son sens.

En matière de développement économique, la Région élabore le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) qui définit les orientations en matière d’aides aux entreprises, de soutien à l’internationalisation, d’aides à l’investissement immobilier et à l’innovation des entreprises. Rarement cité comme étant une compétence clé pour créer un environnement favorable à la santé, le développement économique est pourtant un levier d’action puissant.
À travers les SRDEII, la Région peut inciter les acteurs à s’engager dans les transitions (bâtiments responsables, démarches d’économie d’énergie, promotion de la biodiversité), encourager les innovations vers des produits durables, accompagner les acteurs économiques sur la qualité de vie au travail, favoriser les circuits courts, l’économie circulaire et les pratiques d’achats responsables, développer la responsabilité sociétale, environnementale et territoriale des entreprises, former les chefs d’entreprise etc. Cette compétence est d’autant plus importante que certains ont tendance à l’opposer aux enjeux sociaux ou environnementaux. Promouvoir une approche globale de la santé implique donc de trouver un équilibre et une cohérence avec les priorités économiques d’un territoire.

Les Régions sont compétentes en matière d’agriculture et de développement rural. Soutien aux pratiques agroécologiques, aide à la conversion vers le bio, actions en faveur du bien-être animal sont aussi des exemples de leviers d’action.

Sur le volet aménagement du territoire, les Régions élaborent un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le ­SRADDET. Sur plusieurs aspects, ce schéma impacte considérablement l’environnement dans lequel on vit et donc notre santé. Il fixe les objectifs en matière d’équilibre et d’égalité des territoires, d’implantation des différentes infrastructures d’intérêt régional, de désenclavement des territoires ruraux, d’habitat, de gestion économe de l’espace, d’intermodalité et de développement des transports, de maîtrise et de valorisation de l’énergie, de lutte contre le changement climatique, de lutte contre la pollution de l’air et de promotion de la biodiversité. Il a une valeur prescriptive et s’impose aux documents d’urbanisme des communes et des intercommunalités.

Concernant l’enseignement secondaire et supérieur, les récentes lois MAPTAM et NOTRe ont renforcé le rôle des Régions comme chefs de file de l’intervention des collectivités territoriales en matière d’innovation, de recherche et d’enseignement supérieur. Elles établissent pour cela les SRESRI, stratégies régionales pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation.
À travers cette stratégie, les Régions orientent leur soutien aux acteurs de la recherche, c’est donc l’un des outils les plus adaptés pour favoriser le décloisonnement entre les trois santés.

Depuis 2004, les Régions sont également chargées des formations sanitaires et sociales (infirmier, aide-soignant, ambulancier, sage-femme, masseur-kinésithérapeute, assistant social, éducateur spécialisé, etc.). À travers le schéma des FSS, elles assument la charge du fonctionnement des organismes de formation, elles autorisent et agréent les organismes de formation.

Concernant la préservation de l’environnement, les Régions sont également mobilisées à travers plusieurs leviers. Depuis 2016 et la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les Régions sont chefs de file de la compétence en matière de biodiversité sur leur territoire. Elles définissent et mettent en œuvre une stratégie régionale pour la biodiversité (SRB) en étroite concertation avec les différents acteurs. La SRB n’a pas de portée réglementaire mais s’inscrit en complémentarité des documents de planification régionale. Les Régions volontaires peuvent aussi se voir attribuer tout ou partie des missions d’animation et de concertation dans le domaine de la gestion de l’eau et des milieux aquatiques lorsque l’état des eaux de surface ou des eaux souterraines présente des enjeux sanitaires et environnementaux justifiant une gestion coordonnée des différents sous-bassins hydrographiques de la région (code de l’environnement, art L. 211-7). Enfin, dans ce domaine, les Régions engagent le classement des parcs naturels régionaux ou son renouvellement. D’après le code de l’environnement, les parcs naturels régionaux « ont vocation à être des territoires d’expérimentation locale pour l’innovation au service du développement durable des territoires ruraux ». Les PNR peuvent être mobilisés pour expérimenter et promouvoir une approche « Une seule santé ».

Dernière illustration des compétences mobilisables, les plans régionaux santé environnement (PRSE) déclinent de manière opérationnelle les actions du plan national santé environnement, tout en veillant à prendre en compte les problématiques locales et à promouvoir des actions propres aux territoires. Ces plans sont copilotés par l’État, l’agence régionale de santé et les conseils régionaux s’ils le souhaitent. Les PRSE ne sont pas opposables, ils ne fixent pas de normes ou de règles mais complètent les dispositifs de surveillance, d’alerte, de gestion, de contrôle, d’interdiction par des actions de prévention et de promotion de la santé environnementale. Adopté en 2021, le 4e PNSE inclut une dimension One Health qui doit, à son tour, être intégrée aux plans régionaux en cours d’élaboration.

Des compétences en termes de développement économique, d’agriculture, d’aménagement du territoire, de recherche et d’innovation, de formation, d’environnement… loin du concept hors sol, on voit alors se dessiner pour les Régions une réelle opportunité de porter une approche innovante des enjeux de santé, en lien avec les spécificités de leur territoire.

Comment mettre en œuvre « Une seule santé » ?

La Nouvelle-Aquitaine porte ce sujet à l’échelle de son territoire mais « Une seule santé » (One Health) reste un concept difficile à rendre opérationnel, notamment du fait de la transversalité qu’il nécessite. Il faut donc, d’abord, convaincre de l’intérêt de cette approche globale, intégrée et systémique des trois santés. Pour cela, s’interroger sur les spécificités de son territoire au regard des liens entre environnement, santé humaine et santé animale est une étape préalable à la mise en place d’un plan d’action.

L’intérêt pour la Nouvelle-Aquitaine : quelles spécificités ?

L’environnement. La Nouvelle-Aquitaine s’étend sur 84 000 km². Elle est habitée par près de 6 millions de personnes. Première région agricole de France, elle est composée de milieux très variés : 1 tiers du territoire régional est boisé, elle compte 720 km de côtes, 74 000 km de cours d’eau, des plaines agricoles, des coteaux viticoles, des prairies et haies bocagères, deux massifs montagneux etc. Le territoire est majoritairement façonné par les activités humaines, près de 10 % du territoire est artificialisé. La région est particulièrement impactée par le changement climatique avec plus 1 à 2 degrés d’ici 2050, la fonte des glaciers et le relèvement du niveau de la mer et un effondrement de la biodiversité. Ces modifications de l’environnement auront des impacts sanitaires qui doivent être anticipés.

Des risques infectieux spécifiques. 75 % des maladies infectieuses émergentes sont des zoonoses4. Au-delà du lien homme-animal, l’environnement joue également un rôle essentiel dans la transmission qu’il convient de comprendre pour concevoir des stratégies de prévention. En Nouvelle-Aquitaine, l’exemple de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) l’illustre très bien. Cette zoonose fait régulièrement la Une de la presse locale et nationale, principalement pour ses conséquences économiques puisqu’elle implique l’abattage préventif des volailles entraînant de lourdes pertes pour les exploitants concernés et des mesures de prévention très contraignantes. Côté santé humaine, le risque de transmission à l’homme, par contact rapproché avec un animal malade, est jugé important même si aucune transmission interhumaine n’a à ce jour été observée. Le lien avec l’environnement est évident. La contamination est liée à un contact entre faune sauvage et animal d’élevage. Aujourd’hui, la Nouvelle-Aquitaine, qui compte un nombre important d’élevages avicoles de plein air, est particulièrement concernée du fait de ses caractéristiques naturelles (nombreuses zones humides, couloirs migratoires). Enfin, les risques sont accentués par le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité qui modifient les trajectoires des oiseaux sauvages et leur résistance au virus faisant craindre l’émergence de nouveaux foyers. Il est donc nécessaire d’adopter aujourd’hui une vision intégrée pour prévenir la maladie.

Augmentation des risques infectieux émergents. Le changement climatique a un impact direct sur la santé des populations (épisodes de canicules, sécheresses, incendies) et il fait aussi craindre l’apparition de nouvelles maladies, connues pour être présentes dans les pays des Sud. En effet, l’augmentation des températures favorise l’implantation de nouveaux vecteurs de maladies. Par exemple, le moustique tigre, vecteur de la dengue, du chikugunya et du zika, s’est progressivement implanté sur toute la région. L’été 2022 a également été marqué par de premiers cas du Virus du Nil Occidental en Gironde chez des chevaux. Or cette arbovirose peut également être transmise par des moustiques à l’homme et provoquer des atteintes neurologiques. Les tiques sont un autre exemple de vecteur préoccupant. En effet, la borreliose de Lyme, maladie transmise par morsure de tique, est déjà surreprésentée en Limousin et le réchauffement climatique fait craindre l’implantation de la tique Hyalomma, déjà présente en Espagne et dans le sud de la France, qui peut, elle, transmettre le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Pour lutter contre ces maladies à transmission vectorielle, il n’existe pas de vaccin ou de traitement spécifique. La lutte contre les vecteurs qui les véhiculent reste le principal levier d’action.

Au-delà des maladies infectieuses, l’exposition à des produits chimiques est désormais reconnue comme un facteur de certaines pathologies aigues et chroniques. Des polluants peuvent se retrouver indirectement dans les ressources en eau, dans l’air ou dans les denrées alimentaires. Nous y sommes donc exposés au quotidien. Les indicateurs relatifs à l’état de santé de la population en Nouvelle-Aquitaine ne font pas ressortir de spécificités régionales et les principaux enjeux de santé y sont assez similaires à ceux observés en France : 22 % des Néo-aquitains sont atteints de maladies chroniques (maladies cardio-neurovasculaires, maladies mentales, diabète et cancers). Mais, il ne faut pas sous-estimer les risques spécifiques sur ce territoire, du fait notamment de l’importance de l’agriculture. Première région agricole et agroalimentaire de France, le secteur participe au dynamisme de la région, dont elle est la première économie avec 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais elle est aussi consommatrice de produits chimiques. Sur ce sujet, les attentes des néo-aquitains sont fortes et des réponses doivent être apportées, notamment sur la question des pesticides.

Vers un programme opérationnel

Pour la Nouvelle-Aquitaine, l’enjeu est de mettre en œuvre un programme « Une seule santé » qui réponde aux spécificités du territoire régional, qui s’appuie sur ses compétences et qui soit opérationnel. Il s’agit de valoriser les actions déjà menées par la Région et d’en accompagner de nouvelles.

La nécessité d’un portage institutionnel fort. La Région ambitionne de convaincre de la nécessité d’une approche globale, intégrée et systémique des trois santés en s’appuyant sur la science. Pour cela, le portage politique est un élément clé. Après les élections de 2021, une vice-présidente en charge de la santé, des formations sanitaires et sociales et de la silver économie et un élu délégué sur le sujet « Une seule santé » ont été désignés. Ils portent le pilotage de cette politique à la Région, avec l’ensemble des vice-présidents concernés. La Région a également fait le choix de se doter d’un comité d’orientation stratégique, rassemblant experts et personnalités pouvant contribuer et aider à orienter la thématique.

En interne, au sein de la collectivité, travailler à l’intersection des trois santés a positionné d’emblée la thématique comme particulièrement transversale. Le pilotage opérationnel a été confié au service santé et silver économie, au sein du pôle développement économique et environnemental, en lien avec les agents des directions les plus concernées. Pour porter le sujet, un premier travail d’acculturation est mené en interne sur cette thématique (conférences) mais la question de la formation (des agents et des élus) se pose. Notons que, depuis quelques années, le CNFPT5 a développé des formations en santé environnement mais que le sujet reste assez confidentiel et ne s’adresse qu’aux spécialistes là où il faudrait former massivement. En ce qui concerne la thématique « Une seule santé », au niveau national, des évolutions se font sentir. Un diplôme d’établissement « One Health en pratiques » a été créé à VetAgro Sup et ouvert aux professionnels de l’environnement, de la santé animale, de la santé humaine, des collectivités locales.

Développer les transversalités et inscrire « Une seule santé » dans les stratégies régionales. Déployer un programme « Une seule santé » pour la Région passe d’abord par l’inscription du concept dans les documents stratégiques de la Région. En effet, l’approche nécessite de l’intersectorialité et de la transversalité. Aussi le sujet ne peut-il pas être limité à un seul plan et doit être traité plus largement pour rester lisible et cohérent. En Nouvelle Aquitaine, la thématique est désormais intégrée et portée au sein de plusieurs stratégies.

La Région s’est déjà fortement mobilisée sur les transitions. Adoptée en 2019, la feuille de route Néo Terra vise à accompagner l’effort de transition en termes énergétique, écologique, agricole, industriel, numérique à l’horizon 2030. La Région contribue ainsi à la santé des populations en protégeant et en préservant les ressources, en promouvant les changements de pratiques vers l’agroécologie et une économie plus durable, responsable et décarbonée, en éduquant et en formant les nouvelles générations sur les transitions à effectuer, en développant des mobilités plus durables, en œuvrant pour une alimentation saine et de qualité accessible à tous, en réduisant les déchets, etc. Une évolution de cette stratégie, proposée au vote des élus à l’automne 2023, intégrera une ambition autour de « Une seule santé ». De par son caractère stratégique, ambitieux et transversal, cette feuille de route garantira une forte visibilité du sujet tant en interne à la Région, avec la mise en place d’un réseau d’ambassadeurs, qu’au niveau des partenaires et des bénéficiaires des aides régionales.

Pour la Région, l’accompagnement des acteurs économiques est un sujet majeur et un moyen d’action. Le SRDEII de Nouvelle Aquitaine, adopté en séance plénière des 20 et 21 juin 2022, s’articule autour de trois grandes priorités : accélérer les transitions au service de la compétitivité économique et de l’emploi, renforcer la souveraineté par l’innovation responsable, placer l’humain et l’équilibre des territoires au cœur du développement. Il intègre désormais le concept « Une seule santé » avec un objectif dédié : « intégrer l’approche One Health dans les stratégies de filières et en faire un facteur de diversification ». À titre d’exemple, dans le secteur de la santé, considérant qu’il représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES)6, dont plus de la moitié est liée aux médicaments et aux dispositifs médicaux, la Région s’est engagée avec ses partenaires7 dans un programme de transition vers des produits de santé plus durables (LOOP Santé). Il s’adresse à tous les acteurs régionaux de la filière santé (entreprises, acteurs R&D, établissements de santé, clusters) autour de plusieurs sujets : éco-conception d’un produit de santé, réduction de l’impact environnemental des matériaux utilisés, réflexion sur l’usage unique. Il s’agit de proposer aux plus de 130 participants des actions d’information, de sensibilisation ou de formation, des temps d’échange de bonnes pratiques et la possibilité de participer à des projets collaboratifs. Cet exemple illustre la capacité d’une Région à mobiliser l’ensemble de la chaîne de valeur autour d’une problématique.

La feuille de route santé 2023-2028 fait de « Une seule santé », la « boussole des politiques régionales ». La Région a l’ambition de placer la santé au cœur de toutes ses politiques et notamment au cœur de la transition écologique régionale (voir ci-dessus). Elle souhaite également agir sur les politiques régionales à l’aune de leurs effets sur la santé et l’environnement. Deux outils sont envisagés : la mise en place d’éco-socio conditionnalités des aides de la Région et les évaluations d’impact sur la santé.

Concrètement, la Région porte l’élaboration d’un programme dédié, s’appuyant sur plusieurs piliers : le développement des connaissances (recherche), la sensibilisation et la formation, la préservation de l’environnement et du vivant, l’accompagnement de nouvelles méthodes de diagnostic et de prévention, l’accès aux soins et aux soignants et l’anticipation. Quelques exemples d’actions en cours sont décrits en suivant, le travail de construction du programme est en cours.

Dans un contexte d’urgence climatique et pour faire face aux risques, la Région a fait le choix de positionner sa politique scientifique au service du ressourcement des politiques publiques régionales. Pour ce faire, la Région, en complément de ses dispositifs de soutien à l’enseignement supérieur, le transfert de technologie et la diffusion de la culture scientifique a lancé en 2022 des programmes scientifiques de grande ambition régionale (PSGAR). Ces programmes doivent permettre de répondre aux enjeux spécifiques du territoire néo-aquitain et de mobiliser les communautés scientifiques et technologiques, les acteurs socio-économiques. L’un des premiers axes retenus est « Agir pour Une seule santé et la santé de tous ». Il doit permettre de valoriser la transdisciplinarité, de renforcer les interactions et de créer une dynamique scientifique intégrée et systémique des trois santés. Les priorités scientifiques sont de comprendre et garantir la santé des socio-écosystèmes, préserver leur qualité et leur équilibre et celles des interactions milieux/animaux/humains ; développer la connaissance des agents pathogènes et de leurs vecteurs/réservoirs potentiels ; améliorer les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et préventives.

Dans le champ de l’agriculture, la Nouvelle-Aquitaine ambitionne d’être pilote en matière de développement du biocontrôle et des bio-solutions8, donc de réduction des pesticides. Adoptée lors de la séance plénière de février 2022, une feuille de route spécifique prévoit de travailler de façon intégrée entre les filières agricoles végétales et animales dans une approche « Une seule santé » et d’accélérer la transition agroécologique.

Sur le volet environnemental, la Région veille à inscrire « Une seule santé » comme une finalité de ses politiques et poursuivra ses efforts pour préserver le vivant. Par exemple, la stratégie régionale biodiversité adoptée en 2023 fait de « Une seule santé » l’un des trois défis sociétaux auxquels elle doit répondre.

Quant à l’axe sensibilisation, l’acculturation du plus grand nombre est essentielle. Le PRSE, pour lequel la Région est fortement mobilisée, offre un cadre pertinent. Il intégrera une dimension « Une seule santé ». La Région souhaite notamment porter des actions de sensibilisation auprès des jeunes (lycéens, apprentis, étudiants, demandeurs d’emploi) et mobiliser le Conseil Régional des jeunes. Il offre également un cadre pour accompagner des projets sur les territoires. Le sujet doit être largement partagé avec les partenaires, les collectivités locales, les acteurs économiques et les citoyens.

En termes de formation, la Région Nouvelle-Aquitaine porte le projet de création d’une cinquième école nationale vétérinaire publique à Limoges. La question de la formation des vétérinaires est un point clé, le territoire subissant de plein fouet la déprise vétérinaire en milieu rural. Le pourcentage de vétérinaires en exercice auprès des animaux de production a chuté de 18,5 % en cinq ans avec de lourdes conséquences (délais d’intervention allongés, impact sur la situation sanitaire animale, pertes économiques importantes). La Région ne pourra pas porter une politique « Une seule santé » si elle ne compte pas suffisamment de vétérinaires sur son territoire.

Enfin, quant à l’accompagnement des entreprises, la Région en compte de nombreuses déjà impliquées pour mettre au point de nouvelles méthodes diagnostiques, préventives et thérapeutiques (CEVA, en santé animale, par exemple). La Région souhaite structurer une filière industrielle de lutte contre les maladies infectieuses émergentes et renforcer la dynamique collective.

En conclusion, le concept « Une seule santé » emporte aujourd’hui l’adhésion de nombre d’acteurs. Sujet à la mode, cette approche est une opportunité pour les collectivités, et les Régions en particulier, de se saisir d’une politique de santé publique de façon globale. La Région, chef de file en termes d’aménagement et développement économique a la capacité de mobiliser les acteurs et à les inviter à dépasser les logiques de silos. Pourtant, dans le déploiement d’une telle approche à l’échelle d’une Région, des limites sont également à souligner. Il convient de prendre garde à la tentation de limiter les questions de santé aux seuls risques de maladies infectieuses ou d’exposition aux produits chimiques et, plus généralement, aux liens entre santé humaine, santé animale et environnement. Si la Région doit prendre ses responsabilités face à ces risques, elle doit aussi répondre aux préoccupations actuelles de sa population.

Anne Laure Avizou

1 OMS, PNUE, OMSA et FAO

2 L’antibiorésistance est le phénomène qui consiste, pour une bactérie, à devenir résistante aux antibiotiques. Ce phénomène peut conduire à la difficulté, voir l’impossibilité de traiter certaines infections tant chez l’homme que chez l’animal.

3 Revue Humanité et Biodiversité – N°7 – 2021 – p147

4 Une zoonose est une maladie infectieuse qui peut se transmettre de l’animal à l’homme.

5 Centre national de la fonction publique territoriale

6 Gaz à effet de serre

7 Agence de développement et d’innovation de Nouvelle-Aquitaine, ADEME, ALLIS N-A, ARS

8 Le biocontrôle est un ensemble de méthodes de protection des plantes utilisant des mécanismes naturels qui repose sur une gestion des populations de ravageurs (insectes provoquant des dégâts sur les cultures et limitant les rendements) plutôt que sur leur éradication. Les biosolutions englobent les produits de biocontrôle ainsi que les biostimulants, les biofertilisants et bioadjuvants, destinés au monde végétal, mais également les produits nutritionnels destinés à l’élevage, afin d’améliorer la santé des animaux et réduire l’utilisation des antibiotiques.

9 Une zoonose est une maladie infectieuse qui peut se transmettre de l’animal à l’homme.

Références

Revue d’humanité et biodiversité – N7 – 2021 Actes de la conférence du 17 mars 2021 « Une seule santé : en pratique ?

BRUGUIÈRE MT, Rapport d’information n600 (2010-2011), fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, Santé et territoires : à la recherche de l’équilibre, juin 2011

ARNAUD F.LEFEBVRE G.MIKOU M.DREES, Les dépenses de santé en 2021, édition 2022

LEPROUX S.DR FERLEY J.P.DA SILVA O., Observatoire Régional de Santé (ORS) du Limousin, Etat des lieux Santé environnement Aquitaine, Limousin, Poitou Charentes, septembre 2016

BRETAGNOLLE V. (coordination), Rapport d’évaluation sur le rôle de la biodiversité dans les socio-écosystèmes de Nouvelle-Aquitaine, mai 2020

LE TREUT H. (dir). AcclimaTerra, Anticiper les changements climatiques en Nouvelle-Aquitaine. Pour agir dans les territoires. Éditions Région Nouvelle-Aquitaine, 2018
Contribution du Conseil scientifique COVID-19 – 8 février 2022 « One health – Une seule santé – Santé humaine, animale, environnement : les leçons de la crise »

Avis du COVARS sur le risque sanitaire de grippe aviaire lié à l’influenza aviaire hautement pathogène – 8 juin 2023

Indications bibliographiques

GARDON S.GAUTIER A.LE NAOUR G. et MORAND S., Sortir des crises – One Health en pratiques

MORAND S., GUEGAN JF., LAURANS Y., De One Health à Ecohealth, cartographie du chantier inachevé de l’intégration des santés humaine, animale et environnementale, Décryptage-Iddri, n° 4, 2020-05

SCHELLING E.WALTNER-TOEWS D., ZINSSTAG J. (et al.), One health, une seule santé. Théorie et pratique des approches intégrées à la santé, Editions Quae, 2020

INRAE, Dossier de presse, One health, une seule santé pour la terre, les animaux et l’homme, 2020-08

HUMBOLDT-DACHROEDEN S., Translating One Health knowledge across different institutional and political contexts in Europe, 2023

HUMBOLDT-DACHROEDEN S., A governance and coordination perspective - Sweden’s and Italy’s approaches to implementing One Health, 2022