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Entretien avec M. Jean-Pierre Raffarin, Ancien Premier ministre

« Le défaut d’articulation entre le local et le national représente un vrai danger. »

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Pouvoirs Locaux : Vous avez présidé la région Poitou-Charentes de 1988 à 2002. Vous avez participé à la montée en puissance de l’action publique territoriale en particulier en initiant et impulsant des politiques économiques locales. Quel est votre regard sur cette période d’une décentralisation qui se déploie ?

Jean-Pierre Raffarin : J'ai vécu la décentralisation heureuse, opérationnelle. Il faut se souvenir que les lois de 1982-1983 ont entraîné une véritable révolution dans la gestion publique. Souvenons-nous des préfets qui cèdent leur bureau au président du conseil général. Pour des profils comme le mien, provinciaux de culture et d’histoire familiale qui sont venus à Paris pour poursuivre leurs études, cette étape des lois Defferre a été importante. Elle a représenté une grande victoire faisant suite à une décennie de montée en puissance de la culture régionale, provinciale, territoriale. Aujourd’hui, les mots sont différents mais signifient la même chose : des gens estiment encore que trop de choses se passent à Paris et pas suffisamment dans les territoires. Cette décentralisation a été heureuse parce que ce fut un moment où l'audace a régné. Tout ce qui n'était pas interdit, était autorisé. Il existait une grande liberté de créativité, de partenariat et d'action assez extraordinaire. Il y a eu une phase où les territoires ont pris confiance — ce fut l'ère des projets comme le Futuroscope qui a vu le jour en 1987 — où l'audace a été au pouvoir, ce qui a même révélé des personnalités comme Pierre Mauroy, Gaston Defferre, Jean-François Deniau, René Monory, Jean Lecanuet. Des personnages assez exceptionnels vont occuper la scène politique et dont la source d'inspiration est le territoire. Jean Lecanuet sans Rouen, ce n'était pas Jean Lecanuet, pareil pour René Monory et le département de la Vienne. Nous évoquerons sans doute le cumul des mandats mais rappelons que ces élus-là n'étaient pas les plus mauvais parlementaires. Non seulement il y avait de l'audace, mais il y avait aussi du talent. À cette période, ce qui m'a passionné, c’étaient les contrats de plan et la programmation, accompagnés par la DATAR qui rendait les élus intelligents au sens où elle leur mettait à disposition des connaissances comme — je me souviens — des études démographiques sur l'avenir de la médecine libérale en milieu rural, sur la démographie estudiantine. Nous avions donc des ressources financières et une ingénierie territoriale puissante, placée au bon niveau, comme l'avait voulu Olivier Guichard, c’est-à-dire à Matignon, et donc en capacité d’être transversale.

Pouvoirs Locaux : Comment décririez-vous alors les relations entre l’État et les collectivités locales, notamment via la Datar ?

Jean-Pierre Raffarin : La Datar était une organisation qui apportait de la connaissance sans exercer de tutelle en tant que telle. C'était vraiment un partenariat respectueux. Je me souviens du jeune président de région que j’étais en 1988, où il m'arrivait d'annuler des rendez-vous pour convenance locale auprès d'un secrétaire d'État, mais jamais je n'aurais annulé un rendez-vous à la DATAR parce que c'était un lieu de partenariat très important. Cette capacité de programmation signifiait que l'immédiat ne dévore pas tout, qu'il faut penser à trois ans, cinq ans, voire à quinze ans. C'était une grande époque où l’on initiait des projets de long terme. Je me souviens de Pierre Mauroy qui voulait bâtir son grand district européen ou de Jean-François Poncet très attaché à la création de son institut agroalimentaire et son université. Je pourrais citer aussi le grand équipement scientifique porté par Michel d'Ornano à Caen. Chacun avait des projets puissants et pour les réaliser, il fallait y associer nombre d’acteurs dans un esprit partenarial via les contrats de plan notamment. À l'époque, l'État avait un plan, un programme, qui a évolué avec le temps, mais c'était une logique d'avenir qui obligeait les régions à avoir leur propre projet. L'État et les régions pouvaient discuter de projets à projets. On y passait beaucoup de temps mais, au final, un débat régional sur un projet à cinq ans entraînait tout le monde à y travailler. J'étais très favorable aux contrats de plan — à l’instar de Michel Rocard et un peu moins de Michel Charasse qui était contre — qui plaçaient vraiment le préfet dans la bonne position, celle où il écoutait le territoire.

Pouvoirs Locaux : « Le Préfet était dans la bonne position ». Que voulez-vous dire ?

Jean-Pierre Raffarin : Le préfet ne décidait pas pour le territoire. La décision était du côté des ministères et particulièrement du ministre chargé des contrats de plan mais le préfet articulait le système territorial, ce qui permettait de régler les difficultés que l’on pouvait rencontrer. Je me souviens, sur un contrat de plan, avoir réalisé, avec le préfet de région de l'époque Pierre Steinmetz, une réunion par arrondissement dans toute la région sur les objectifs à cinq ans. On discutait avec l’ensemble des élus, toutes familles politiques confondues. Le système était efficace. Les moyens financiers étaient au rendez-vous. L'endettement des uns et des autres était beaucoup plus faible. Cette période pouvait vous rendre girondin à vie. Ensuite, les choses se sont un peu complexifiées en raison de procédures de plus en plus lourdes et de l’apparition aussi de rivalités d'échelons. Nous étions parvenus, en 2002, à convaincre à nouveau Jacques Chirac, qui n'était pas un girondin de naissance et qui en tant que maire de Paris développait une approche assez centralisée. Lors de son discours à Rouen, pendant la campagne électorale de 2002, nous avons perçu qu’il nous avait écoutés et qu’il faisait de la décentralisation l’un de ses objectifs. Malgré tout, les difficultés financières se sont présentées et en écho une forte demande de clarification des compétences.

Pouvoirs Locaux : La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui se fixait à l’origine un objectif de renforcement des compétences du niveau régional, débouchera surtout, à la faveur de la discussion parlementaire, sur le renforcement du rôle et des compétences dévolues aux départements, en particulier dans le domaine social. Que retenez-vous de cette loi et de cette période ?

Jean-Pierre Raffarin : Effectivement, je me souviens de la sensibilité régionale de ce texte de loi — qui deviendra la loi sur les responsabilités locales adoptée en 2004. Lorsqu’il est revenu du Sénat, il était très départementaliste. Dans cette époque-là, on a vu quand même se mettre en place une grande clarification : le social au département et l'économie à la région. Je pense que ce fut une bonne orientation. J’ai aussi renforcé à cette époque ma conviction que pour décongestionner l'État, il faut décentraliser. Je ne comprends pas toujours pourquoi l'État s'entête à mener des politiques nationales pour lesquelles il n'est pas le mieux adapté. Je pense à la politique de l'emploi. Il y a longtemps que Pôle emploi — France Travail aujourd'hui — aurait dû être décentralisé. Nous avons donné aux régions les moyens d'aider les entreprises ainsi que différentes possibilités d'intervention et l'emploi qui est une conséquence de ces compétences, la région ne s'en occupe pas. La question de la décentralisation est une question de responsabilité. Ce n’est pas une question de partenariat, c'est une question de responsabilité. J'entends parfois des banalités du type : « Ah oui, le dialogue maires préfets, c'est très important ». Encore heureux qu'il y ait un dialogue, mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c'est que chacun ait son pouvoir et qu'on négocie avec son pouvoir. Pour l'État, la décentralisation consiste à associer les territoires. Non, ce n’est pas associer les territoires, c'est abandonner certaines responsabilités aux territoires. Aujourd'hui, la vraie tragédie de la décentralisation, c'est qu'il n'y a plus de responsabilité fiscale pour les élus locaux. C'est la responsabilité fiscale qui est la source de la dignité. C'est parce que je lève l'impôt que je suis obligé d'être sérieux. Et si l’on n'est pas content de mon action, on a le droit de me contester et y compris de ne pas me réélire. La dignité de l'élu, c'est d'être viré si ses choix sont mauvais. Mais à partir du moment où ce ne sont pas ses choix, il n'y a plus cette responsabilité qui est le cœur même de la dignité d'un élu. Je trouve que la décentralisation a été très fragilisée à partir du moment où on a supprimé la DATAR, ce qui a impacté la programmation financière et les contrats de plan.

Pouvoirs Locaux : À propos de la fiscalité, la suppression de la taxe d’habitation n’a-t-elle pas définitivement coupé le lien entre le contribuable local et la responsabilité des élus ?

Jean-Pierre Raffarin : Dans la vie politique, il y a des décisions assez surprenantes et celle-ci en est une. Pas un seul élu de terrain n’aurait voté la suppression de la taxe d'habitation. À partir du moment où on a commencé à toucher aux ressources fiscales — et y compris à la taxe professionnelle — s’est engagée la déresponsabilisation des élus. Si vous ajoutez à cela, le non-cumul des mandats, il ne faut pas s'étonner que des territoires se construisent contre l'État. La dérive est inscrite dans l'équation. Dans 15 ou 20 ans, vous aurez des territoires hostiles à l'État.

Pouvoirs Locaux : Comment expliquez-vous cette déconstruction de la fiscalité locale, et par là même, une forme de recentralisation ?

Jean-Pierre Raffarin : Elle provient de l'idée de crise — et notamment celle de 2008. En période de crise, les chefs veulent que tous les pouvoirs viennent dans la cabine centrale de pilotage. En 2008, quand on fait un plan de relance nationale, les projets régionaux restent au fond des cartons ministériels. Or, un plan de relance bien fait devrait être un plan de relance de la somme des régions. Il fallait naturellement sauver les banques mais on n'a pas voulu organiser plusieurs postes de pilotage. Or, le monde moderne a besoin de plusieurs postes de pilotage. Les leaders d’aujourd'hui sont en difficulté à trop vouloir décider eux-mêmes, craignant que les autres acteurs — locaux notamment — n’aient pas la même analyse qu’eux. Avec la Covid-19, ce besoin de tout centraliser a été visible. On l'a vu aussi par exemple sur l'apprentissage. À partir du moment où l'État a fait du nombre d'apprentis un objectif politique, tout a été placé dans la cabine de pilotage. Quand le sommet est embourbé, cela conduit à la congestion cérébrale.

Pouvoirs Locaux : Promulguée le 28 mars 2003, la loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République a modifié l’article premier de la Constitution : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale » à laquelle on a rajouté « son organisation est décentralisée ». Auriez-vous préféré qu’il soit inscrit « La France est une république décentralisée » ?

Jean-Pierre Raffarin : Dans le projet de loi de réforme constitutionnelle, étaient inscrits le principe de la subsidiarité et celui de la République décentralisée. Effectivement, au terme des débats, nous en sommes arrivés à « son organisation est décentralisée ». Aujourd’hui, nous sommes même parvenus au contraire à une organisation recentralisée. D’ailleurs, si le Conseil constitutionnel effectuait complètement son travail, il pourrait ici sans doute « s'amuser ». Le Conseil d'État et aussi le Conseil constitutionnel ne sont toujours pas suffisamment sensibles aux questions de décentralisation. Ces sujets-là ne sont pas toujours vus d'un très bon œil par nos organismes centraux.

Pouvoirs Locaux : Vous regardez aussi la France depuis le monde, depuis l’international, notamment la Chine. Cette décentralisation inachevée est-elle source de freins pour la dynamique française dans son ensemble, comparée à d’autres pays ?

Jean-Pierre Raffarin : Il y a dans notre pays des richesses considérables. À cet égard, il suffit de regarder le niveau actuel d'épargne des Français. Globalement, notre pays a des ressources et le problème est davantage celui de leur utilisation. Certes, nous sommes en déclin sur certaines politiques publiques, mais le pays a encore des ressources très fortes pour peu qu'il veuille les utiliser. Prenons l’exemple de la crise du logement, pourquoi ne pas mieux flécher l'épargne sur le logement ? Et pour y parvenir, il faut des produits attractifs, il faut parler aux propriétaires, aux locataires, il faut que tout le monde ait confiance. Si tout le monde est suspect, si l'épargne est stockée dans les assurances vie, difficile alors de trouver des appuis pour traiter ces crises. Regardons bien la France comme elle est. Est-ce qu'on utilise vraiment tous nos moyens pour impulser du développement et retrouver confiance en l’avenir ?

Vous évoquiez précédemment la Chine, un pays dirigé par le Parti communiste. Mais n’omettons pas de souligner que les provinces chinoises ont beaucoup de pouvoirs. C'est un pays certes centralisé par un parti avec des provinces puissantes. Dans notre culture, le système fédéral ne rencontre pas notre conscience nationale. Je pense néanmoins que l’on a connu à une certaine période, notamment au moment des contrats État-Régions, une ambition exprimée par l'État qui permettait de concilier cohésion territoriale et ambition nationale.

Nous avons besoin à la fois de distance et de proximité, d'ambition et de cohésion. Nous sommes dans des systèmes nécessairement complexes et l'idéal serait d'avoir chacun des responsabilités bien identifiées et un équilibre état-collectivités, c’est-à-dire une programmation et une négociation entre les deux. Ce modèle français qui n'est pas ni girondin, ni jacobin, est un système mixte. Nous avons besoin de renforcer les territoires par la décentralisation et aussi par une certaine forme de déconcentration, parce qu'il faut redonner des pouvoirs aux préfets. Depuis une vingtaine d'années, la décentralisation a reculé, et ce faisant, notre modèle français s’est affaibli en perdant une part de son ambition.

Pouvoirs Locaux :  : Quelles initiatives préconiseriez-vous au Gouvernement actuel dans le sens d’un nouveau cadre de l’organisation territoriale de la République ? Un pouvoir normatif territorial ? Une séparation de l’exécutif et du délibératif au plan régional ? Une réforme du Sénat ?

Jean-Pierre Raffarin : Deux initiatives me semblent décisives et incontournables ? La première, c'est le retour du maire dans la fabrique de la loi. Le maire a une légitimité qui se reconstruit pratiquement tous les jours : tantôt il est confronté aux inondations, aux accidents de la route, aux victoires sportives, aux défaites aussi. Le propre du maire est d’être en vigilance, toujours mobilisé, connecté en permanence à la vie de ses concitoyens. Il est donc en capacité de légiférer en regard de son vécu, de ses analyses de l’action publique en train de se faire. Ne pas compter de maires parmi les députés est une véritable aberration.

Pouvoirs Locaux :  Ce retour au cumul des mandats pour les maires serait-il lié à un seuil en termes de taille des communes ?

Jean-Pierre Raffarin : Les maires d’une grande ville ne sont pas les plus mauvais parlementaires. L'absentéisme est lié à la paresse, pas à la sur-occupation. J’étais sénateur en même temps que Pierre Mauroy qui en avait des mandats. Je peux vous dire qu'au Sénat, il était là quand il fallait qu'il soit là. Quand Pierre Mauroy montait à la tribune, il s'exprimait avec autorité. Des personnalités comme Robert Badinter alors sénateur ou comme Charles Pasqua notamment animaient particulièrement les débats de la Haute Assemblée. Aujourd'hui, on a besoin de retrouver ces élites et pour cette raison, rien de tel qu'un maire qui sait ce que c'est que d'être élu. Il faut remettre de l'excellence humaine dans le système en partant de la mairie. D'une certaine manière, je dirais presque que la nouvelle ENA, devrait être la mairie.

Pouvoirs Locaux :  Le maire de retour à l’Assemblée, dîtes-vous. Quelle est la seconde priorité à traiter ?

Jean-Pierre Raffarin : Chaque niveau de collectivité doit pouvoir lever l'impôt. Il y a des idées qui tournent comment par exemple affecter une part de CSG au département. Le foncier resterait au bloc local et la région devrait pouvoir compter sur un impôt économique. Mais ce qui compte, de mon point de vue, c'est de voter un taux. Il faut que les contribuables sachent qui décide quoi.

Il faut en finir avec ce rôle d'assisté des collectivités via des dotations de l'État parce que l'assistance n'est pas la responsabilité. Si je reviens à la loi constitutionnelle de 2003, nous voulions donner davantage de responsabilités aux régions, mais finalement le Sénat, en renforçant le social au niveau département a certes légitimé le département, mais il l'a enfermé dans une assistance, une dépendance vis-à-vis de l'État. Le Sénat, d'une certaine manière, n'a pas contrecarré le texte. Il en a changé un peu la nature. Sur le fond, on a, d’une part, clarifié les compétences de la région et du département d'un côté, et d’autre part lié la gestion du social aux politiques d'État. Or, la décentralisation, ce n'est pas la gestion des politiques d'État. Payer le salaire des professeurs d'un CFA quand ce dernier résulte d’une négociation salariale nationale, ce n'est pas de la décentralisation, ce n'est pas de la responsabilité. Gérer les décisions de l'autre, c’est une responsabilité de bonne gestion. Mais sur le fond de l'affaire, ce n’est pas de la décentralisation.

Pouvoirs Locaux : Est-ce que la décentralisation se porterait mieux si les partis politiques se portaient eux-mêmes mieux ?

Jean-Pierre Raffarin : Les partis politiques tels que nous les avons connus, notamment le PS et l’UMP dans la période récente, étaient deux grands partis politiques assez centralisés même s’ils permettaient la promotion des élus de terrain. Il fallait faire attention parce que l'équipe autour du secrétaire national était souvent une équipe centralisée. Il n'empêche que vous aviez un bureau politique et des instances où les élus du territoire étaient très présents. Ce qui m'inquiète aujourd'hui, c'est qu'il n'y a plus ces médiations et cette articulation. Je trouve très dangereux aujourd'hui d’avoir une classe politique territoriale et une classe politique nationale qui prennent le risque de se construire un peu l'une contre l'autre. Pour preuve, j’entends l'État pointer du doigt la mauvaise gestion des collectivités territoriales et les collectivités locales dénoncer les dotations de l'État. Or, je pense qu'une société moderne est une société qui a des courroies de transmission de haut en bas. Ce peut être très dangereux que les élus locaux ne connaissent pas l'appareil d’État, tout aussi dangereux que l'État ne connaisse pas le territoire et ses élus. Si on veut vraiment avoir un système un peu mixte à la française, mi girondin, mi jacobin, il faut que les deux puissent se connaître.

On dit beaucoup en France et à raison que le sens de l'état, c'est quelque chose de très important. Quand vous exercez des responsabilités nationales, vous avez le sens de l'État. Moi-même, j'avais l'habitude de dire en Poitou-Charentes, que mon parti, c'était le « PC » (le Poitou-Charentes). Je me battais pour ma région mais je ne peux pas dire, à cette époque-là, à 40-45 ans, que j'avais vraiment la conscience de l'État.

Ma conscience de l'État est venue par ma formation politique, par les responsabilités que j'ai eues. À 40 ans, j'étais « PC », à 50 ans, j'étais « UMP » ; un parti de gouvernement dont le sujet était la France. J'ai appris l'État sans oublier ce qu'est une région, ce qu'est une ville. Ces entités politiques sont des entités différentes mais qui doivent être forcément articulées.

Pouvoirs Locaux : Partis politiques, syndicats, corps constitués, quel regard portez-vous sur l’affaiblissement des corps intermédiaires ?

Jean-Pierre Raffarin : Je regrette beaucoup que les assemblées consulaires soient affaiblies parce qu'il faut des articulations dans la société. Lorsque vous regardez votre bras, vous avez le coude et vous avez le poignet, deux articulations qui évitent qu'on se casse le bras. Une société qui n'a pas d'articulation, elle se raidit et elle se bloque. Les partis politiques étaient des écoles de formation incroyables. De ce point de vue, ce n'est pas Emmanuel Macron qui a détruit les partis, ce sont les primaires qui les ont détruits. On peut sans doute gagner une élection sans parti mais on ne peut pas gouverner sans parti, sans ressources humaines pour accompagner, relayer l’action politique. Sans compter que le terrain n'envoie plus ses élites à Paris parce que les canaux de distribution — comme les chambres consulaires par exemple — sont trop affaiblis. Le défaut d’articulation entre le local et le national représente un vrai danger. Notre logique est beaucoup trop verticale alors que le monde vit horizontalement.

Propos recueillis par
Jean-Pierre Balligand et Laurence Lemouzy