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L'action sanitaire et sociale, une alliance à construire

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Les domaines sanitaire et social se caractérisent par une organisation obéissant à une histoire et des contraintes propres et par une territorialisation essentiellement fonctionnelle, dont l’essence même se situe dans le souhait de garantir la continuité des parcours et une meilleure prise en charge possible. Si l’on voit apparaître des outils innovants, ces derniers ne sont pas toujours lisibles pour les utilisateurs et manquent d’un véritable ancrage territorial.

La notion d’alliance des territoires est un concept heuristique mis en avant par France urbaine afin de réfuter le clivage urbain, rural et promouvoir des formes de gouvernance basées sur la coopération et les solidarités. Ce concept vise également à souligner la nécessité de dépasser les cadres établis et d‘aller vers des formes de co-gestion ou de co-gouvernement. Concernant l’action sanitaire et sociale, la période récente montre à la fois la difficulté, toujours aujourd’hui, de penser ces deux éléments de façon combinée mais aussi combien la gouvernance actuelle de ces deux secteurs peine à apporter une réponse satisfaisante pour les territoires1. Les deux domaines ont vu apparaître une multitude d’outils, bien souvent innovants, qui s’apparentent à une sorte de couteau suisse, sans que l’on sache de l’extérieur au final lequel doit être activé.

Les débats sur la santé et le social ne peuvent être déconnectés de la question des territoires2. Pour autant, le territoire en santé obéit avant tout à une logique fonctionnelle, alors même que la compétence en matière d’action sociale des collectivités territoriales est mieux définie. On assiste ainsi à une juxtaposition de solutions (I) qui peinent à faire système (II).

Les formes d’alliances innovantes

Les difficultés de répondre aux besoins de la population et la nécessité de mettre en place des dispositifs opérants ont amené dans ces secteurs à la mise en avant de nouveaux paradigmes et à la recherche de logiques bien souvent fonctionnelles pour apporter des solutions aux territoires.

Nouveaux paradigmes : les notions de parcours et d’exercice coordonné

La nécessité de lutter contre les déserts médicaux et d’apporter une solution aux publics concernés, a amené à des évolutions assez remarquables.

Cela s’est traduit par l’apparition de nouveaux concepts, comme celui de responsabilité populationnelle en santé (art. L. 1434-10 CSP) et l’idée de continuum et de parcours de soins ou de prises en charge. Ces éléments ont suscité le développement de nouvelles formes de coopération, essentiellement fonctionnelles, que cela soit au travers des maisons de santé pluriprofessionnelles (art. L. 6323-3 CSP) ou des formes de regroupement autour d‘un projet de santé comme les communautés professionnelles territoriales de santé (art. L. 1434-12 CSP). Ces dernières issues de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 visent à porter un projet de santé et à regrouper les acteurs de santé autour de l’idée de la continuité des soins. Elles peuvent être amenées, par convention avec l’ARS et la CPAM, à assurer des missions de service public telles l’amélioration de l’accès aux soins, l’organisation de parcours de soins associant plusieurs professionnels de santé, le développement d’actions territoriales de prévention, le développement de la qualité et de la pertinence des soins, l’accompagnement des professionnels de santé sur leur territoire ou la participation à la réponse aux crises sanitaires.

La notion de responsabilité populationnelle en santé est un concept venu du Québec3, qui vise à partir d’une démarche populationnelle prenant en compte la situation donnée d’un territoire à associer l’ensemble des acteurs de ce dernier à des fins d’amélioration de l’état de santé de la population. À ce titre l’article L. 1434-10 du CSP souligne que « L’ensemble des acteurs de santé d’un territoire est responsable de l’amélioration de la santé de la population de ce territoire ainsi que de la prise en charge optimale des patients de ce territoire. »

On retrouve une même idée de regroupement d’acteurs dans le secteur social et médico-social au travers, par exemple, de groupements de coopération sociale et médico-sociale (art. 312-7 CASF), des communautés 3604 ou encore de la conférence des financeurs (art. L. 233-1 du CASF). L’enjeu est bien d’essayer par la concertation de trouver des solutions et de créer des communautés fonctionnelles autour d’un public cible ou d’un problème donné.

Un foisonnement d’outils

Historiquement le secteur sanitaire et l’action sociale et médico-sociale se sont construits de façon parallèle, mais sur un mode d’organisation différent. La santé est dominée par une présence de l’État forte confirmée par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Pour autant, si en vertu de l’article L. 1411-1 du code de la santé publique, la santé est une compétence de l’État, la politique de santé est territorialisée au travers des projets régionaux de santé, soumis à large concertation, et des formes de démocratie sanitaire qui visent à prendre en compte les spécificités des territoires. Les législations des années 1970 ont tendu à dissocier le domaine sanitaire de celui de l’action sociale et médico-sociale, alors même que les lois de décentralisation ont confié au département un rôle de chef de file en matière d’action sociale. Les deux secteurs se retrouvent aujourd’hui autour de la question notamment de l’autonomie, et de la réalité pratique qui fait qu’il est difficile de dissocier dans bien des situations la prise en charge sanitaire de celle sociale. Le regroupement récent5 des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) au sein des services autonomie à domicile (SAD -art. L. 312-1 CASF 6° et7°et L. 313-1-3 CASF) en constitue une illustration. Ainsi, même si la crise sanitaire a montré la nécessité, de plus en plus prégnante, de prévoir un mode combiné d’exercice, les deux domaines ont vu apparaître, ces dernières années, un foisonnement d‘outils permettant la mise en place de coopérations. Il est ainsi possible de noter côté sanitaire, les groupements hospitaliers de territoire, les groupements sanitaires, les maisons de santé, les communautés professionnelles territoriales en santé. Le domaine de l’action sociale et médico-sociale est tout aussi riche avec, par exemple, les centres locaux de coordination gérontologique, les MAIA, les communautés 360 ou la conférence des financeurs sus-évoquées. La période récente voit également le développement de formes de plateformes au service des professionnels afin d’apporter une aide et une coordination pour les professionnels ou les malades comme c’est le cas avec les plateformes territoriales d’appui créées en 20166 ou les dispositifs d’appui à la coordination (art. L. 6327-2 CSP). Si l’ensemble de ces outils de coopération visent à mieux répondre aux besoins, la question se pose cependant de la cohérence globale du système.

La recherche d’un optimum se heurtant aux réalités pratiques

Si les outils de coopération sont nombreux dans le secteur sanitaire et social, leur logique est avant tout fonctionnelle. On assiste ainsi à un foisonnement d‘initiatives qui peinent à faire sens. Le territoire devient un support à géométrie variable en fonction des initiatives et des besoins.

Une réalité territoriale fluctuante

La création des agences régionales de santé à compter du 1er janvier 20107, s’est traduite par une extension des missions par rapport aux agences régionales de l’hospitalisation, mais également par un souhait de recentrer l’ensemble du système décisionnel et d’appui aux territoires entre les mains de leur directeur. L’ARS (art. L. 1432-1 CSP) est ainsi à la fois garante de l’accès aux soins, de la continuité de ces derniers, des missions de prévention et du volet soins des structures relevant du médico-social (art. 1431-2 CSP). La concentration du pouvoir décisionnel entre les mains de son directeur s’accompagne de la mise en avant de formes de démocratie sanitaire visant à faire remonter les besoins du terrain et à apporter un regard territorialisé permettant de déployer les outils adéquats.

Les réalités territoriales sont pour autant fluctuantes, avec des territoires fortement mobilisés et d‘autres davantage en difficulté. Il est d’ailleurs intéressant de noter une forte implication des départements en tension sur ces questions afin de trouver des solutions et porter une offre. Il est possible, à ce titre, de citer, à titre d’illustration, l’exemple du département de Saône-et-Loire qui face au déficit de médecins et au vieillissement de ces derniers a mis en place un centre départemental de santé territorialisé autour de vingt-deux antennes, ce qui lui a permis de recruter soixante-quinze médecins, assistés d’autres professionnels et d‘internes afin de répondre aux besoins de la population. Il est également possible de citer le cas d’Orléans ayant mis en avant le concept de métropole par la santé8 afin de créer un écosystème favorable aboutissant à la création d’un CHU, la formation devant permettre de mieux répondre aux besoins et de faire face à la pénurie de professionnels.

La réalité des contrats locaux de santé9 est également diverse. Ces derniers matérialisent les besoins d’un territoire identifié dans le cadre d’un partenariat conventionnel entre un territoire et l’ARS. Malgré l’intérêt du dispositif, seulement 53 % du territoire national est aujourd’hui couvert avec des logiques qui varient entre communes et intercommunalités. Si l’on assiste sur ce point à une montée en puissance d’une vision et d‘une signature à une échelle intercommunale, cette évolution se fait de façon désordonnée et sans une véritable méthodologie d’action. Certes, le bassin d’emploi paraît un territoire pertinent de réflexion concernant la problématique de l’accès aux soins10, et dans une vision globale de la santé, telle qu’elle est promue par l’OMS11. Pour autant, la concertation avec les communes est variable12 et la signature d’un tel instrument à l’échelle intercommunale se fait parfois sans qu’un intérêt communautaire en matière sanitaire ne soit débattu et défini.

Des formes de gouvernance à définir

La crise sanitaire ainsi que les difficultés d’accès aux soins d’une grande partie de la population, combinées au vieillissement de cette dernière, amènent aujourd’hui à revisiter les formes d’action territoriales. Cette exigence s’est traduite tout d’abord par la nécessité d’associer plus largement les collectivités territoriales à la gouvernance sanitaire. La place des collectivités territoriales au sein des ARS a été confortée, le président de l’ARS (préfet de région) est ainsi désormais assorti de quatre vice-présidents dont trois relèvent des collectivités territoriales. Ces derniers présideront les commissions de la conférence régionale de la santé et de l’autonomie, plus précisément notamment la commission spécialisée pour les prises en charge et accompagnement médico-sociaux13.

Une meilleure cohérence d’action est recherchée avec un renforcement des délégations territoriales des ARS et un meilleur dialogue mais également un débat d’orientation sur les contrats locaux de santé qui doivent être renforcés dans les zones prioritaires. Par ailleurs, un état des lieux de la désertification médicale doit être régulièrement réalisé par le conseil d’administration des ARS en lien avec les délégations départementales et les élus locaux. Des propositions doivent être faites dans ce cadre. Dans le prolongement du Ségur de la santé, un conseil national de l’investissement en santé a été créé, qui s’appuie sur des conférences territoriales d’investissement en santé afin d’apprécier les besoins de santé en relation avec les collectivités territoriales. La nécessité d’un dialogue plus abouti avec les collectivités territoriales apparaît aujourd’hui nécessaire dans un objectif de régulation de l’offre, de mise en place de solutions pertinentes pour les territoires afin de garantir l’accès aux soins dans un contexte de raréfaction de l’offre.

Malgré la mise en avant d’outils d’organisation, pour lesquels les collectivités territoriales peuvent venir en appui, telles la mise en place de maisons pluriprofessionnelles de santé ou l’aide à l’installation ou à l’investissement, le domaine sanitaire souffre d’une certaine indétermination. Les modalités de participation des collectivités territoriales ne sont pas clairement définies. Ainsi, par exemple, alors même que beaucoup de collectivités et de groupements viennent en appui des communautés professionnelles territoriales de santé afin de construire un projet de santé cohérent, les textes ne leur donnent pas une place bien déterminée. De la même façon alors même qu’aujourd’hui l’on assiste à une montée en puissance de l’intercommunalité sanitaire, la santé n’est pas une compétence clairement affirmée dans les compétences supplémentaires des intercommunalités. Le législateur a tendance ici à reconnaître une compétence directe au groupement sans passer par la case commune, ce qui nuit à un véritable dialogue territorial gage d’une adhésion de l’ensemble des territoires.

L’impensé est encore plus flagrant en matière de médico-social. Concernant la prise en charge de personnes âgées le retour des hôpitaux de proximité répond en partie à des besoins lorsqu’une telle infrastructure existe. Sur les autres territoires l’organisation est beaucoup plus aléatoire répondant à des statuts et des modalités d’organisation qui dépendent à la fois de l’initiative publique ou privée et du caractère lucratif ou non lucratif de l’établissement. Tout cela ne facilite pas une réponse venant des territoires et répondant à des logiques d’acteurs du territoire, mais amène à une appréhension technique de la matière qui nuit à l’organisation territoriale. Le manque de professionnels de santé, réel dans les déserts médicaux mais également dans certaines zones urbaines ou périurbaines, complexifie d’autant plus les réponses à apporter.

En conclusion, si le secteur sanitaire et celui de l’action sociale et médico-sociale, sont des secteurs innovants dans lesquels apparaissent de nouveaux concepts ou structures afin de répondre au manque de professionnels de santé, l’impression donnée est celle d’une intervention au coup par coup sans véritablement qu’une appréhension globale autour d’un territoire administratif donné ne prenne sens. Les initiatives sont diverses, les responsabilités également, mais sans véritablement qu’une évaluation des dispositifs sous un angle efficacité/ efficience ne soit posée. Il sera ainsi utile à l’avenir que ce foisonnement s’accompagne d’un véritable travail d’analyse et de bilan concret.

Martine Long

1 Organisation des soins de proximité : garantir l’accès de tous à des soins de qualité, HCAMM, septembre 2022.

2 J.-M. Pontier, « La santé entre centralisation et décentralisation », RDSS 2019.669 ; O. Renaudie, « La santé : une politique nationale ou territoriale ? », RDSS 2022.29.

3 Turgeon J. et al., Turgeon, « Québec : cinquante ans d’évolution au prisme des réformes (1961-2010) », Les Tribunes de la santé, vol. 30, no. 1, 2011, pp. 57-85.

4 Les communautés 360 sont apparues en 2020 et visent en matière de handicap à rechercher des solutions concrètes au plus près des lieux de vie.

5 Art. 44 de la LFSS pour 2022.

6 Décret no 2016-919 du 4 juillet 2016.

7 Décret no 2010-336 du 31 mars 2010 portant création des agences régionales de santé.

8 La Métropole par la santé ? coopérations dans les territoires de l’orléanais, P. Allorant, S. Dornel, F. Eddazi, F. Guérit, POPSU, 2021. Communautés, métropoles et santé, Mare et Martin, à paraître.

9 Art. 1434-2 CSP.

10 Voir en ce sens, les propos du Chef de l’Etat dans son discours des vœux aux professionnels de santé le 6 janvier 2023.

11 La santé est définie par l’OMS comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Voir également en ce sens la Charte d’Ottawa de 1986.

12 La métropole de Bordeaux par exemple a mené une concertation très poussée avec ses 28 communes membres.

13 Les autres commissions sont : la commission spécialisée dans le domaine des droits des usagers du système de santé, la commission spécialisée de l’organisation des soins, la commission de prévention.