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La Collectivité européenne d'Alsace : une collectivité sui generis ?

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Le 1er janvier 2021, une nouvelle collectivité territoriale a vu le jour en droit positif : la Collectivité européenne d’Alsace. Cette entité devait être une réponse aux oppositions locales nées de l’intégration de l’Alsace dans le Grand Est. Le législateur a créé une collectivité d’apparence inédite par rapport aux autorités décentralisées existantes. Cette collectivité s’est retrouvée investie de compétences spécifiques et devient la « chef de file » de la coopération transfrontalière. Cependant, le statut et le régime juridique de cette collectivité s’avèrent relativement similaires à ceux des départements auxquels elle vient se substituer, si bien que cette collectivité ne semble avoir de singulier que le nom. Loin de venir satisfaire les inquiétudes des élus et de la société civile en Alsace, cette collectivité témoigne de la difficulté pour le législateur de créer des structures administratives adaptées aux problèmes locaux identifiés.


 

Le 15 février 2022, une consultation locale rassemblant plus de 140 000 votants a été organisée par la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) et une majorité de 92,4% s’est prononcée en faveur de la sortie de l’Alsace de la région Grand Est. Cette expression de la démocratie locale traduit l’opposition constante des Alsaciens à l’acte III de la décentralisation initiée par François Hollande. Ce « malaise alsacien » remonte au vote de la loi du 16 janvier 2015 qui crée la région Grand Est par la fusion des régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine. Le législateur a alors tenté de répondre aux préoccupations des élus et des citoyens alsaciens par la création d’une nouvelle collectivité territoriale : la CEA. Néanmoins, les récents résultats électoraux révèlent que cette collectivité a échoué à satisfaire les désidératas des administrateurs et administrés alsaciens.

Après avoir été une circonscription d’action régionale en 1960, un établissement public local à vocation spécialisée en 1972, une collectivité territoriale en 1982, l’Alsace intègre le 1er janvier 2016 le Grand Est. Cependant cette disparition administrative est très mal acceptée localement. L’installation de la nouvelle préfecture de région à Strasbourg ne suffit pas à enrayer les contestations. Elles ont été d’autant plus exacerbées par le fait que le Gouvernement Valls n’a pas organisé de référendums ou de consultations locales. Ces oppositions se sont cristallisées autour de deux axes. Le premier axe s’articulait autour d’un désir identitaire basé sur la culture, l’histoire et la langue alsacienne. La dilution de l’identité locale constituait une préoccupation majeure, toutes sensibilités politiques confondues. Le second axe s’est construit sur les contrastes économiques, sociaux, et environnementaux entre le territoire alsacien et les territoires lorrains et champenois auxquels il est désormais intégré. Ces oppositions ont été exprimées publiquement en février 2017 lorsque les conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont adopté une motion commune en faveur de la renaissance institutionnelle et politique de l’Alsace.

Lors de son élection, Emmanuel Macron a déclaré qu’il était hors de question de revenir sur le découpage régional réalisé par son prédécesseur. En revanche, le Gouvernement d’Édouard Philippe a donné son accord pour former, au sein du Grand Est, une entité alsacienne aux compétences élargies. Le Gouvernement avait le choix entre quatre propositions : renforcer la coopération entre les deux départements alsaciens par la mise en place d’une entente ou par la création d’une institution interdépartementale ; créer un syndicat mixte auquel d'autres collectivités pourraient adhérer ; fusionner les deux départements ; ou encore créer une collectivité à statut particulier en application de l'article 72 de la Constitution. La première et la seconde proposition ont été rapidement exclues. En effet, elles ne répondaient que de façon incomplète aux aspirations des élus du territoire. Le Gouvernement a également écarté la quatrième proposition. En effet, le 7 avril 2013, les Alsaciens avaient refusé par référendum local la création d’une collectivité unique alsacienne issue de la fusion du conseil régional d’Alsace et des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Le Gouvernement a finalement retenu la troisième proposition par la signature des accords de Matignon le 29 octobre 2018. Selon le Gouvernement, la disparition des deux départements alsaciens permettrait d'édifier au sein du Grand Est une nouvelle collectivité territoriale en harmonie avec le reste du territoire national. Le 4 février 2019, la fusion est approuvée par le vote des deux assemblées départementales réunies à Colmar et à Strasbourg. Ce projet ambitieux ouvre donc la voie à la création d'une collectivité à statut spécifique, au sein d’une région administrative, par le regroupement des départements et l'octroi de nouvelles compétences. La création de cette collectivité a été actée par la promulgation de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019. Les conseillers d’Alsace ont été élus le 27 juin 2021, et le 1er juillet 2021 l’Assemblée a élu Frédéric Bierry, Président de la CEA.

La CEA est un modèle inédit dans le droit des collectivités territoriales. Son nom fait référence à sa position au sein de l'Europe rhénane, à sa vocation transfrontalière ainsi qu'à la présence de nombreuses institutions européennes sur son territoire. À certains égards, il s’agit d’une collectivité unique en son genre. Sa dénomination originale suggère une soustraction à l’unité du territoire national. De plus, les élus alsaciens sont dénommés « conseillers d’Alsace », un nom qui n’est pas sans rappeler celui des élus des collectivités à statut particulier. Par ailleurs, la CEA possède certains traits de la région : étendue géographique, pouvoir de planification en matière de transport de coopération transfrontalière, conseil de développement évocateur du conseil économique social et environnemental régional (CESER)… Pour autant, cette nouvelle structure ressemble à plusieurs collectivités territoriales déjà existantes dans le droit commun des collectivités. La CEA demeure au sein de la catégorie juridique des départements. À bon escient, le Code général des collectivités territoriales (CGCT) lui dédie un titre III au sein du livre IV régissant les dispositions particulières à certains départements. Cette nouvelle collectivité a ainsi provoqué de fortes déceptions malgré l’engouement initial que sa création avait suscité.

Il conviendra alors de s’interroger sur la singularité réelle de la Collectivité européenne d’Alsace au sein du droit des collectivités territoriales et de l’organisation administrative territoriale française.

La collectivité alsacienne dispose d’un statut et d’une organisation institutionnelle très similaires à ceux qui s’observent parmi d’autres collectivités locales (I). Néanmoins, cette collectivité possède certaines fonctions et missions qui participent à sa singularité vis-à-vis des autres entités locales décentralisées (II).

L’assimilation institutionnelle de la Collectivité européenne d’Alsace aux collectivités territoriales à statut général

La CEA dispose d’un statut juridique étroitement similaire à celui des autres collectivités territoriales à statut général. En dépit de son appellation, l’organisation et le fonctionnement de cette collectivité ne révèlent aucune singularité d’ampleur qui permettrait de la catégoriser dans les collectivités à statut dérogatoire. La CEA pouvant être assimilée à une sorte de « super-département ».

L’appellation non départementale d’une entité départementalisée

L’appellation retenue par le législateur pour la collectivité alsacienne présente une certaine singularité dans le droit des collectivités territoriales qui, jusqu’alors, ignorait l’existence d’une « collectivité européenne ». En revanche, cette toponymie ne saurait lui conférer un statut atypique et distinct des départements.

Dans son avis rendu sur le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, le Conseil d’État a émis de vives réserves sur le nom dévolu à cette nouvelle autorité décentralisée. Les magistrats du Palais Royal ont rappelé que la CEA est un « nouveau département » et qu’à ce titre, le nom envisagé par le législateur était susceptible d’engendrer une « méprise sur la nature de la nouvelle collectivité »1. Cette dénomination pourrait laisser à penser que le législateur a créé une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution. Or, le Gouvernement a rappelé dans les motifs du projet de loi et à l’occasion des débats parlementaires que telle n’était pas son intention. Il est vrai que les collectivités à statut particulier ont opté pour une dénomination proche de celle retenue pour la CEA2. Lors de la discussion de ce texte, plusieurs parlementaires avaient d’ailleurs appelé de leurs vœux la création d’une collectivité à statut particulier, ne souhaitant pas créer une entité qui n’en aurait que le nom3 et qui risquerait de duper les espérances des Alsaciens. Le Gouvernement a maintenu sa position au grand dam des revendications de certains élus.

Le Conseil d’État s’est également montré très sceptique sur l’emploi de l’épithète « européenne ». En effet, sur le plan juridique, ce terme ne correspond à aucune catégorie ou régime particulier et semble évoquer à tort l’attribution d’un statut extraterritorial à ce nouveau département. Le Conseil a suggéré au législateur d’utiliser un terme plus proche de la réalité juridique de la CEA et a proposé l’appellation : « département d’Alsace ». La commission des lois du Sénat a opté pour la dénomination proposée par le Conseil d’État. Toutefois, cette appellation, jugée réductrice, n’a été retenue ni par le Gouvernement ni par les élus lors des débats en séance publique. Les parlementaires ont fait valoir que l’épithète « européenne » existait déjà pour les métropoles de Strasbourg et de Lille et que le juge n’a rien trouvé à y redire. Il est vrai que le territoire alsacien est adjacent à celui de l'Allemagne et de la Suisse. Sa dimension européenne est incontestée puisque la coopération transfrontalière y est innée, contrairement à plusieurs départements du Grand Est tels que l’Aube, la Marne, la Haute-Marne ou les Vosges. De plus, Strasbourg abrite le Parlement européen et la Cour européenne des droits de l’homme. Il va sans dire que le territoire alsacien constitue l’une des capitales de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Le législateur a donc fait le choix de retenir l’adjectif « européen » dans une logique purement géographique et dans le seul but de caractériser les politiques publiques locales que cette nouvelle collectivité administrera. En revanche, l’exécutif et le législatif n'ont pas entendu octroyer à la CEA un régime dérogatoire au droit commun des collectivités contrairement à ce que sa dénomination aurait légitimement pu laisser penser.

La dénomination « Collectivité européenne d’Alsace » n’est en cela qu’une appellation, un nom propre donné à une entité qui relève bien de la catégorie juridique des départements. Le législateur a ainsi fait le choix d’une appellation qui travestit la réalité juridique de cette nouvelle entité locale dont le statut, l’organisation et le fonctionnement relèvent du département, collectivité à statut général.

Une organisation et un fonctionnement départementalisés

Malgré la singularité de son appellation, la CEA dispose d’une organisation et d’un fonctionnement relevant du département. Un tel choix révèle, une fois encore, que le législateur n’a pas entendu accorder à cette entité un régime dérogatoire au droit commun des collectivités.

L’organisation et le fonctionnement de la CEA peuvent rappeler, à certains égards, ceux des collectivités à statut dérogatoire. Dans un premier temps, les élus de la CEA sont dénommés « conseillers d’Alsace ». Cette appellation s’avère très proche de celle que l’on trouve pour désigner les élus des collectivités d’outre-mer4. Ce terme est aussi employé pour les élus des collectivités à statut particulier régies par l’article 72 issues de la fusion du département et de la région5. Dans les collectivités relevant du statut général, les élus n’ont pas cette dénomination6. En supprimant les départements alsaciens pour les remplacer par une assemblée unique, le législateur a opté pour un qualificatif qui rapprocherait la CEA des collectivités à statut particulier, mais le statut juridique de la CEA dément une telle qualification. En conservant le mot « Alsace » alors que ce territoire n’est plus administrativement une région, le législateur a fait le choix d’une appellation complexe qui traduit faussement l’appartenance de la CEA à un autre statut que le département.

Dans un second temps, l’assemblée délibérante de la CEA a été dénommée « Assemblée d’Alsace ». Une telle appellation se retrouve dans les instances délibératives des collectivités à statut particulier régies par l’article 72, ainsi que dans certaines collectivités d’outre-mer7. Dans les collectivités relevant du statut général, les assemblées délibératives n’ont pas une telle dénomination8. Le terme d’« Assemblée d’Alsace » laisserait à penser que la CEA n’est pas une collectivité relevant du statut général. Cette appellation prête à confusion puisque la CEA relève du statut et du régime juridique des départements. De plus, l’Alsace s’est dotée d’une assemblée unique qui est venue se substituer aux conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin : une structure organisationnelle déjà mise en place dans les collectivités à statut particulier de Corse, de Martinique, de Guyane et de Mayotte. Toutefois, la création de la CEA possède deux différences notables avec les collectivités à statut particulier. La première est que la CEA ne se substitue pas à la région, puisque l’Alsace reste intégrée au Grand Est. La seconde est que la CEA demeure une collectivité relevant du département, contrairement à ce que le nom de son assemblée délibérative et de ses élus aurait pu laisser paraître.

 

La ressemblance entre le département et la CEA se confirme lorsqu’on examine leur structure administrative, car leurs organes et leurs services sont identiques. Les conseillers d’Alsace ont été désignés et ont pris leur fonction au sein de l’Assemblée en mars 2021. Ils ont été élus dans le cadre des cantons des deux anciens départements. Aucun nouveau découpage n’a été réalisé pour l’élection de ces nouveaux élus, de sorte que les élus ont conservé leur implantation territoriale de proximité. Le Bas-Rhin et le Haut-Rhin ne sont plus des circonscriptions décentralisées, mais ils abritent toujours les services déconcentrés de l’État. Si les deux départements ont fusionné au sein de la nouvelle collectivité, les circonscriptions administratives de l'État n’ont pas été modifiées. Les préfectures de Colmar (Haut-Rhin) et de Strasbourg (Bas-Rhin) sont conservées. Il en est de même des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). L’élection des quatre-vingts conseillers d’Alsace obéit au même régime électoral que les conseillers départementaux. Ils ont été élus pour un mandat de six ans, sous la forme d’un binôme femme-homme, dans chacun des quarante cantons d’Alsace. Le mode de scrutin, le mode de suffrage, les conditions d’éligibilité et de renouvellement sont identiques à celles des conseillers départementaux.

Depuis le 1er juillet 2021, la CEA dispose de son propre président élu par l’Assemblée d’Alsace. Les prérogatives du président de cette nouvelle collectivité sont sensiblement identiques à celles du président du conseil départemental : il est le chef de l’exécutif. À ce titre, il oriente et met en place les politiques de la CEA ; il préside et dirige les débats de l’Assemblée ; il prépare et exécute les délibérations votées en assemblée ; il élabore et gère le budget, ordonne les dépenses et prescrit l’exécution des recettes ; il dirige l’ensemble des services départementaux… Les séances de l’Assemblée sont préparées en amont par des commissions qui correspondent aux domaines d’intervention de la CEA.

L’Assemblée d’Alsace se réunit plusieurs fois dans l’année (en général quatre fois) en séance plénière pour examiner les dossiers préparés dans les différentes commissions (finances et budget, solidarité, jeunesse, transfrontalier…). Les décisions votées prennent la forme d’une délibération. Ces commissions examinent, analysent et donnent un avis sur les dossiers relevant de leurs compétences, avant le vote de l’Assemblée ou de la Commission Permanente, selon le cas.

Malgré une appellation et une structure interne qui tendent à rappeler l’appartenance de la CEA aux collectivités à statut dérogatoire, la CEA demeure une collectivité départementale. Le caractère sui generis de cette collectivité réside moins dans son statut que dans la dénomination retenue pour son organisation et son fonctionnement, ainsi que dans les fonctions octroyées par le législateur.

Une différenciation partielle dans les fonctions dévolues à la Collectivité européenne d’Alsace

Avec la CEA, le législateur a créé une instance dotée de compétences qui se substituent de plein droit à celles jusque-là détenues par les deux départements. En outre, cette structure a bénéficié de compétences qui, jusqu’alors, échappaient aux départements. Un tel transfert constitue la principale singularité de cette collectivité.

La substitution et l’exercice de plein droit des compétences départementales

Les compétences de la CEA se substituent de plein droit à celles naguère dévolues aux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. De manière faussement singulière, le législateur a créé une structure départementale en charge de la disposition et de l’exercice des départements préexistants.

Malgré la création de la CEA, le législateur a souhaité garantir la continuité juridique des deux anciens départements alsaciens. Cette continuité porte tout d'abord sur les biens publics départementaux (hôtel du département, centres de protection maternels et infantiles…). Le transfert de ces biens est réalisé au profit de la CEA à titre gratuit. Cette continuité est ensuite assurée concernant les droits et obligations du département (notamment le versement des allocations individuelles de solidarité) : la CEA les reprend à sa charge. Elle porte enfin sur l'ensemble des procédures administratives et juridictionnelles en cours à la date de la création de la CEA. Dans le même sens, le législateur a eu le souci de préserver la sécurité juridique concernant les actes antérieurement édictés par les départements alsaciens. Ainsi, la création de la CEA maintient l’ensemble des actes accomplis par les anciens conseils départementaux. De plus, les contrats antérieurement passés par les départements sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu'à leur échéance, sauf accord contraire des parties. Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la CEA n’emporte aucun effet sur la carte intercommunale. En effet, la CEA intègre les structures de coopération locale telles que les syndicats mixtes ou autres groupements de collectivités dont les départements alsaciens étaient membres. Depuis le 1er janvier 2021, l’administration territoriale et l’ensemble du personnel (environ 6000 agents) des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin relèvent de plein droit de la CEA. Par la création de la CEA, le législateur a donc créé une structure départementale agissant en lieu et place des précédents départements en vue d’exercer les fonctions qu’ils possédaient antérieurement.

En outre, directement ou en partenariat avec les autres collectivités ou l'État, la CEA intervient dans la totalité des domaines qui relevaient anciennement des deux départements. Plusieurs de ces matières portent sur la vie quotidienne des Alsaciens. La CEA intervient dans cinq domaines spécifiques.

Le premier domaine est celui de l’action sanitaire et sociale. La CEA intervient prioritairement en faveur des personnes âgées, des personnes handicapées, de l'enfance et de la famille ainsi que des personnes en difficulté. Ces dépenses représentent plus de la moitié du budget de fonctionnement de la collectivité. Véritable « chef de file » en matière d’action sociale, la CEA prend à sa charge l'ensemble des prestations d'aide sociale et la gestion des allocations individuelles de solidarité (RSA, PCH, APA). La collectivité assure également la gestion et le financement des services de sécurité incendie et de secours9.

Le second domaine est celui de l’éducation. La CEA est chargée de la construction, de l'entretien et du fonctionnement des collèges publics. La collectivité assure également la gestion de l'accueil, de la restauration, de l'hébergement ainsi que l'entretien général et technique dans ces collèges. À ces missions s’ajoute la gestion des agents techniques des collèges.

Le troisième domaine concerne l’aménagement du territoire. La CEA assure la construction et l'entretien des routes départementales10 et des autoroutes. Elle est également en charge de l'équipement et de l’aménagement des zones rurales.

Le quatrième domaine fait l’objet d’une gestion conjointe avec l’État. Il s’agit de la culture, et notamment de la lecture publique (bibliothèques de prêt) et de la gestion des musées départementaux et des archives départementales.

Le cinquième et dernier domaine est l’environnement. La CEA assure la protection de l'environnement et du patrimoine naturel. Elle a notamment la charge de la politique de protection et de préservation des Espaces Naturels Sensibles et des zones Natura 2000. Elle intervient aussi dans de nombreux sujets tels que la préservation de la biodiversité, la préservation des ressources en eaux, la gestion des déchets…

La CEA est une collectivité territoriale qui succède aux départements alsaciens dans leurs compétences. À l’instar des collectivités à statut particulier régies par l’article 72, l’Alsace est dotée d’une assemblée unique et cette nouvelle collectivité se substitue aux départements. Toutefois, cette instance délibérative n’exerce, sur son territoire, que les compétences dévolues au département et non celles de la région. La CEA n’exerce aucune compétence régionale, puisqu’elle reste rattachée administrativement au Grand Est. Pour autant, la CEA dispose de compétences relativement atypiques qui participent à sa singularité dans le droit des collectivités territoriales.

La dévolution législative de compétences atypiques

En créant la CEA, le législateur a investi cette collectivité territoriale de compétences jusque-là inédites pour une collectivité territoriale à statut général. Cette nouvelle collectivité est dotée de compétences spécifiques plus étendues que celles d’un département, adaptées aux particularités de l’Alsace. Ces compétences se justifient par le positionnement du territoire et le souhait d’une préservation de l’identité alsacienne.

La CEA est une structure départementale investie de compétences spécifiques. Pour exercer ces nouvelles compétences, la CEA s’est dotée d’un conseil de développement11. Par dérogation au principe d’égalité, le Conseil d’État a déclaré qu’il est possible pour le législateur d’attribuer des compétences différentes à des collectivités territoriales d’une même catégorie pour des raisons d’intérêt général ou en raison d’une différence de situation12. Contrairement aux départements et à l’instar de ce qui s’observe pour les collectivités à statut particulier de l’article 72, les compétences de la CEA peuvent être regroupées en quatre volets.

Le premier volet porte sur la coopération transfrontalière. La CEA en devient la « chef de file ». Cette compétence consiste à entreprendre des contacts transfrontaliers avec les collectivités allemandes et suisses, s’agissant de « projets structurants »13. Un schéma alsacien de coopération transfrontalière programme les actions et celle des autres collectivités de la région que la CEA coordonne. Ce schéma est établi en association avec l’État, le Grand Est, l’Eurométropole de Strasbourg et les collectivités locales alsaciennes. Ce schéma doit être en « cohérence »14 avec le schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) du Grand Est. Cet acte de planification est destiné à favoriser la dynamique des entreprises alsaciennes. En effet, près de 62 000 Alsaciens travaillent dans les États frontaliers. La coopération transfrontalière constitue l'une des modalités d'exercice de l'action extérieure des collectivités territoriales. Elle permet de déterminer et de conduire des actions avec des entités locales étrangères. Cette compétence a été rendue possible par la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 qui permet aux collectivités territoriales de conclure des conventions avec des entités locales étrangères. Elle vise à encourager les territoires à coopérer pour répondre ensemble à leurs défis communs en atténuant « l'effet frontière »15. La CEA peut ainsi déterminer les politiques publiques sur son propre territoire en liaison avec les États frontaliers afin de faciliter l'intégration socio-économique de l'Alsace dans son environnement régional.

Le second volet est celui des transports. La CEA reçoit la propriété, la gestion et l’exploitation des routes nationales de l’État et des autoroutes non concédées classées dans le domaine public routier national, situées dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Pour financer cette gestion, la collectivité peut lever des ressources spécifiques contribuant ainsi à maîtriser le trafic de marchandises et plus généralement la circulation routière sur son territoire.

Le troisième volet concerne l’éducation. La CEA a reçu des compétences en matière de bilinguisme et de plurilinguisme. Les établissements scolaires d’Alsace peuvent proposer d’enseigner la langue et la culture alsaciennes16. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel17, cet enseignement demeure facultatif, mais peut être proposé tout au long de la scolarité. La CEA participe au développement de l’enseignement de l’allemand. À ce titre, elle peut recruter des intervenants afin que cette langue puisse être enseignée au-delà des heures réglementaires, en complémentarité avec les programmes nationaux. Ce bilinguisme franco-allemand doit permettre aux jeunes alsaciens l’accès à un bassin d’emploi à l’échelle du Rhin supérieur.

Le quatrième et dernier volet est celui du tourisme. La CEA anime et coordonne la politique touristique sur son territoire18. Outre sa capacité d'animation de la « marque Alsace » gérée par l'agence de développement d'Alsace (ADIRA), la CEA anime le schéma régional de tourisme et des loisirs à destination de l’Alsace19. Cette coordination entre collectivités s'exerce dans le cadre d'une gouvernance politique et technique commune, en cohérence avec le schéma régional, au sein de l'agence Alsace Destination Tourisme (ADT).

La singularité de la CEA réside véritablement dans ses compétences qui excèdent celles des départements. De manière singulière dans le droit des collectivités territoriales, le législateur a ainsi créé une structure disposant de compétences qui la rapprocherait davantage d’une région ou d’une collectivité à statut particulier régie par l’article 72, bien que son statut soit celui d’un département.

La création de la CEA a répondu (trop ?) partiellement aux attentes des Alsaciens. D’un point de vue fonctionnel, cette collectivité possède un caractère sui generis. Le législateur a renforcé dans une mesure plus ou moins large les compétences du nouveau département alsacien dans les domaines de l’action transfrontalière, de la promotion des langues régionales, du tourisme et de la voirie routière. La mesure la plus substantielle consiste dans le transfert par l’État de l’intégralité de la voirie nationale non concédée à la nouvelle collectivité alsacienne. En revanche, son statut, son organisation, son fonctionnement et la majeure partie de ses compétences ne révèlent aucunes singularités dans le droit des collectivités territoriales. L’ambition du projet de loi est donc modeste. Ses dispositions sont, pour certaines, d’une faible portée normative, et elles ne remettent en cause ni la délimitation actuelle des régions françaises, ni, pour l’essentiel, la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales.

J.D.S.S

Notes de bas de page

  • 1 CE, Avis, 21 février 2019, n° 396789, p. 3.

  • 2 La collectivité de Corse, la collectivité territoriale de Martinique et la collectivité territoriale de Guyane.

  • 3 Notamment les sénateurs Agnès Canayer et André Reichardt in Rapport du Sénat n° 412 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, Agnès Canayer (dir), session 2019-2019, p. 96 et p. 108. Notamment les députés Olivier Becht, Patrick Hetzel, Frédéric Reiss et Raphaël Schellenberger in Rapport de l’Assemblée nationale n° 2019 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’Administration générale de la République sur le projet de la loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, Rémy Rebeyrotte (dir.), XVe législature, session 2018-2019, p. 90, p.92 et p. 100.

  • 4 Conseiller territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, conseiller de Saint-Martin, conseiller de Saint-Barthélemy, Conseiller de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna…

  • 5 Collectivité de Corse, Collectivité territoriale de Martinique, Collectivité territoriale de Guyane et Conseil départemental de Mayotte.

  • 6 Conseiller régional pour les élus de la région ; conseiller département pour les élus du département ; conseiller municipal pour les élus de la commune.

  • 7 Assemblée de Corse, Assemblée de Martinique, Assemblée de Guyane, Assemblée départementale de Mayotte, Assemblée de Polynésie française…

  • 8 L’instance délibérative de la région est appelée le conseil régional ou l’assemblée régionale ; celle du département, le conseil départemental et celle de la commune, le conseil municipal.

  • 9Art. L. 1424-93 du CGCT.

  • 10Art. L. 131-2 du Code de la voirie routière.

  • 11 Art. L. 3431-6 du CGCT.

  • 12 CE, Avis sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et des règles relatives à l’exercice de ces compétences, 7 décembre 2017, n° 393651.

  • 13 Transport, santé, mobilité, formation professionnelle voie de communication…

  • 14 Art. L. 3431-1 à 3 et art. L. 4251-13 du CGCT.

  • 15 Étude d’impact du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, 25 février 2019, p. 24.

  • 16 Art. L. 3431-4 du CGCT et art. L. 132-10 du Code de l’éducation.

  • 17 Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 : « l’insertion, sur le temps scolaire, d’un enseignement de la langue et de la culture corses n’est pas contraire au principe d’égalité dès lors qu’il ne revêt pas un caractère obligatoire. » ; décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001 : « aux termes de l’article 2 de la Constitution, l’usage d’une autre langue que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public ni dans la vie de l’établissement, ni dans l’enseignement des disciplines autres que celles de la langue considérée ».

  • 18 Art. L. 3431-7 du CGCT.

  • 19 Art. L. 131-1 du Code du tourisme.