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Organisation territoriale et démocratie locale en Europe

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À la fois critique et pédagogique, ce livre explore en profondeur la démocratie locale et régionale en Europe. Il examine les traditions étatiques, les principes de gouvernance, les enjeux régionaux et l’influence de l’Union Européenne. La participation citoyenne, les échelles territoriales et l’européanisation y sont des sujets vitaux. Enfin, il met en lumière la résilience locale et la capacité politique territoriale face aux défis contemporains.

Dans une approche progressive, les soixante fiches qui composent cet ouvrage nous emmènent d’une vue d’ensemble vers une compréhension approfondie du contexte complexe de la démocratie locale et régionale en Europe. Ce périple intellectuel commence par une analyse du paysage de l’organisation territoriale et étatique en Europe, avant de se plonger dans les fondements de la démocratie locale et régionale dans le continent. Cette progression argumentative nous conduit ensuite, de façon très naturelle, à une exploration minutieuse du cadre de la subsidiarité européenne pour conclure sur les défis auxquels font face actuellement les collectivités en Europe.

Ces fiches, agrémentées de notes encadrées, établissent donc des ponts entre la théorie et la réalité sur le terrain. Il est essentiel de souligner à la fois la précision et la qualité de ces éclairages, ainsi que leur complémentarité avec la portée pédagogique de l’ouvrage, qui par ailleurs s’enracine dans une perspective paneuropéenne.

Un panorama de l’organisation territoriale et étatique en Europe

Le choix stratégique d’ouverture de cet ouvrage revêt une signification profonde. Bien que son titre se concentre sur les aspects locaux et territoriaux, l’auteur décide de commencer par une analyse de l’échelon supérieur, à savoir l’État. Cette élection consciente confère au contexte de la démocratie locale une dimension particulière. Elle soulève la question fondamentale de la légitimité constitutionnelle qui se présente au niveau de l’État, sans pour autant négliger les autres échelons.

Dès les premières pages, les lecteurs sont confrontés à la notion politique essentielle du clivage, qui trouve ici son origine dans les divergences entre intérêts territoriaux. Selon Pasquier, les fractures entre le centre et la périphérie sont un facteur vital pour saisir les enjeux territoriaux de la démocratie et la théorie constitutionnelle. Ce concept du clivage devient par conséquent une clé de lecture indispensable pour évaluer les différents types d’États, qu’ils soient unitaires, fédéraux ou asymétriques. Ces modèles permettent ensuite de positionner chaque État, vis-à-vis des autres niveaux de gouvernance, le long d’un continuum allant de la recherche du consensus, comme en Suède, à la tension conflictuelle, comme en France.

La réflexion sur la définition des échelles et de leur poids au sein de l’architecture constitutionnelle prend par la suite une importance cruciale. Les notions de déconcentration et de décentralisation émergent comme des options de gouvernance qui sembleraient s’opposer. Dans le premier cas, les échelons ne sont que des extensions de l’État, et les préfectures en sont des exemples évidents. D’un autre côté, le concept de décentralisation, impliquant le transfert de compétences et de ressources aux échelons inférieurs, constitue le socle sur lequel repose la démocratie locale.

Cette décentralisation assure donc une certaine autonomie pour la démocratie locale, mais elle ne garantit pas nécessairement l’engagement des citoyens, créant ainsi une dissonance entre les possibilités de participation et la réalité de celle-ci. Enfin, ce premier chapitre explore divers facteurs susceptibles d’influencer l’évolution des organisations étatiques, tels que la mondialisation ou l’Union européenne. Il se conclut en mettant en lumière les enjeux d’une réforme territoriale, donnant ainsi une vue d’ensemble des défis qui se posent sur le terrain et dans le livre.

Principes de démocratie locale : proximité, autonomie et participation

Selon l’auteur, les différentes formes de gouvernance locale en Europe sont très influencées par une diversité de traditions étatiques et de cultures politiques. Elles sont régies par plusieurs principes fondamentaux, notamment la proximité, l’autonomie, et la participation des citoyens, bien que ces principes puissent varier en intensité d’un endroit à l’autre. Cette approche doit servir d’inspiration pour la démocratie locale, car elle va ensuite « rejaillir sur le fonctionnement démocratique général » (op.cit. p. 31).

Cependant, le système démocratique local est confronté à plusieurs défis spécifiques. Parmi ceux-ci, l’ouvrage cite la professionnalisation croissante des représentants locaux, la montée de l’abstention électorale, et les divers modes de contestation. De plus, définir précisément l’autonomie locale, en déterminer les limites et assurer son contrôle, demeure un exercice complexe, malgré la description détaillée de l’article 3 de la Charte Européenne.

Le texte distingue également la démocratie locale de la démocratie régionale, en se basant d’abord sur des critères géo-démographiques (l’échelle territoriale), puis en considérant l’importance des enjeux à traiter (l’échelle politique). Toutefois, deux facteurs nous semblent critiques dans cette séparation. Le premier concerne la concurrence entre l’échelle régionale et l’échelle nationale, que ce soit en termes de partage du pouvoir ou d’opposition entre les partis qui tiennent leurs mandats sur des échelles différentes. Le second, beaucoup plus implicite dans le livre, est la concurrence, voire le conflit, entre l’échelon départemental (par défaut inclus dans la catégorie locale), les différentes formes d’intercommunalité et la région. Souvent, l’État peine à établir des lignes de démarcation claires entre les compétences de ces différentes échelles.

Selon l’auteur, la commune est l’échelon privilégié de la démocratie locale. Cependant, cette idée pourrait, selon notre point de vue, être nuancée. D’une part, certaines synergies émergent, de par la force du poids, au niveau provincial/départemental, remettant en question la prépondérance de la commune. Par exemple, le Pacte des Maires favorise la province comme échelon pertinent d’action. D’autre part, certaines traditions démocratiques européennes accordent de l’importance à un échelon encore plus local, comme les paroisses (freguesias) au Portugal. Bien que la commune reste le plus petit dénominateur commun, il existe une géographie politique très variable à l’échelon local dans le continent européen.

Ce chapitre examine ensuite les différentes formes de participation citoyenne dans la vie locale, en commençant par la méthode représentative. Le mode de scrutin reste un l’élément principal, influençant le vote citoyen et la composition des majorités au sein des conseils municipaux. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le rôle du maire et de sa légitimité charismatique, même si ses prérogatives peuvent parfois sembler symboliques. Enfin, le chapitre explore diverses formes de démocratie participative, comme le budget participatif ou le jury citoyen. Deux éléments suscitent à ce point-ci une réflexion critique : le concept de participation (qui peut être nuancé par l’application de l’échelle de participation d’Arnstein) et l’applicabilité du modèle suisse des référendums à l’échelle locale dans des pays dont la culture politique est différente.

L’échelon régional : de la carte administrative aux partis nationalistes

Ayant précédemment abordé la question de l’opposition entre les échelons local et régional, ce chapitre se penche sur les enjeux spécifiques liés à l’échelon régional. L’auteur identifie trois sujets essentiels pour cet échelon : l’imaginaire territorial (le résultat des mobilisations sociales, culturelles et politiques), l’institutionnalisation d’un espace fonctionnel, et la définition d’un espace de gouvernance.

La combinaison de ces trois volets, dans leurs différentes configurations, permet de distinguer trois types «positifs» de régionalisme (fonctionnel, administratif, et politique) ainsi que deux types «antinomiques» (la sécession – mentionnée dans le tableau de la page 60 – et la petite taille du pays, comme le cas qui rendrait la régionalisation superflue). Ces deux derniers types ne feront pas l’objet d’une analyse approfondie ultérieurement.

La régionalisation fonctionnelle est liée aux politiques de planification et d’aménagement, tandis que la dichotomie entre déconcentration et décentralisation apparaît dans les deux autres modèles : la régionalisation administrative et la régionalisation politique. Cependant, cette séparation ne nous semble pas si nette, car le système de déconcentration de l’État (par exemple, les Délégations du gouvernement en Espagne) coexiste souvent avec la décentralisation (les Communautés autonomes). De plus, l’auteur nuance cette distinction en soulignant qu’une forme limitée de décentralisation peut exister dans le cadre de la régionalisation administrative, tandis que la régionalisation politique peut être liée à l’autonomie régionale.

Le texte poursuit en définissant le concept de régionalisme pour englober la diversité des mobilisations ascendantes de l’espace régional (p. 66). Cependant, pour une meilleure compréhension générale, il nous semblerait utile d’inclure une mention des espaces régionaux internationaux où l’on parle également de régionalisme, ainsi qu’une explication de pourquoi le terme « régionalisme » est privilégié par rapport à d’autres désignations telles que le séparatisme, le nationalisme, l’autonomie régionale, etc. Ces modes divers sont toutefois listés dans la typologie du régionalisme en Europe décrite à la page 67, qui distingue les régionalismes constitutionnels, culturel, économique, et politique. Cette typologie-ci est ensuite développée dans les sections suivantes, à l’exception du régionalisme constitutionnel.

Ainsi, le régionalisme culturel est compris à travers l’histoire et la culture singulières d’une région, alimentant des mouvements de défense de l’identité régionale. Le régionalisme économique questionne l’appartenance à un État en raison de déséquilibres financiers, où la région peut percevoir un désavantage en restant au sein de l’État. Enfin, le régionalisme politique remet en question la structure constitutionnelle de l’État, demandant un rééquilibrage des pouvoirs voire même l’indépendance. Néanmoins, il nous semble difficile de les appliquer séparément ; des cas comme la position politique des indépendantistes catalans se correspondent à la fois aux trois types de régionalisme.

Les quatre dernières fiches du chapitre (35 à 38) analysent l’influence des forces régionalistes sur les systèmes politiques. Selon l’auteur, les tensions entre le centre et la périphérie, qui se sont accentuées ces dernières années, peuvent perturber les institutions. Il est aussi important de noter que les partis politiques régionaux peuvent jouer un rôle clé dans la formation des majorités, faisant ainsi peser leurs propres enjeux dans les compromis politiques. L’actualité politique espagnole démontre, pour la législature commencée en novembre 2023, la pertinence de cette analyse.

La subsidiarité européenne et la perméabilité de la gouvernance

La quatrième partie de cet ouvrage se consacre à l’impact de la construction européenne, tant au niveau de l’Union Européenne que du Conseil de l’Europe, sur la démocratie régionale, et dans une moindre mesure, sur la démocratie locale. Cependant, de notre point de vue, il serait bénéfique d’inclure davantage d’exemples illustrant l’influence de l’européanisation sur les autorités locales.

Par exemple, le chapitre cinq débute en mettant en avant la politique de cohésion comme le principal vecteur d’européanisation, rendant les régions perméables à la politique européenne grâce aux fonds structurels. Pourtant, afin de renforcer la dimension locale, il conviendrait peut-être d’ajouter que, au niveau local, ce processus a été accéléré plus concrètement par la mise en œuvre du programme URBAN, un programme européen de régénération urbaine qui incluait également un volet de démocratie locale.

Par ailleurs, la fiche 41 analyse en détail les implications de l’article 5.3 du Traité de Maastricht, qui énonce le principe de subsidiarité en termes « passifs », délimitant strictement l’initiative au sein de l’Union Européenne par une liste fixe de compétences. Cependant, il serait pertinent d’enrichir cette définition du principe de subsidiarité. D’une part, ce principe existait (directement ou indirectement) dans les ordres constitutionnels des États européens bien avant 1992. D’autre part, certains auteurs, comme Pazos-Vidal, le Comité des Régions ou encore la Commission pour la politique régionale du Parlement européen, se questionnent sur la possibilité d’une subsidiarité « active » permettant aux collectivités locales et régionales de mettre en œuvre réellement leur autonomie, en dehors de l’approche basée sur des listes de partage.

En ce qui concerne la description des canaux d’influence à Bruxelles, la fiche 43 se concentre exclusivement sur les régions, négligeant ainsi des phénomènes « locaux » tels que les bureaux des autorités locales (comme ceux de Lille, Vienne ou Prague) et les réseaux européens de villes tels qu’Eurocities ou Energie-Cités, qui exercent également une influence significative sur le processus décisionnel bruxellois.

La dernière partie de ce chapitre dresse un panorama des possibilités d’action collective offertes aux régions (et aux villes). Elle met en avant la coopération transfrontalière, considérée comme « le laboratoire de la construction européenne ». Dans ce contexte, il nous semble intéressant d’inclure également la coopération territoriale (à l’échelle des espaces et des bassins) ainsi que les nouvelles opportunités ouvertes par les macro-régions (comme la région Alpine).

Ensuite, le texte souligne l’importance des instances de représentation telles que le Comité des Régions et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Enfin, il aborde la Charte de l’Autonomie locale et la Charte des Langues régionales dans les fiches 47 à 49, confrontant symboliquement les retards de la deuxième à l’avancement de la première.

La démocratie territoriale, est-elle flexible ?

La dernière partie de cet ouvrage se penche sur les solutions disponibles pour les démocraties locale et régionale face au contexte actuel caractérisé par une mondialisation accélérée, le changement climatique et une aggravation de la fracture sociale, entre autres.

La fiche 50 aborde la question de la pertinence de l’échelle, en tenant compte à la fois des tensions centre-périphérie et des innovations territoriales susceptibles de les dépasser. Ainsi, la territorialisation de l’action publique, ou le « place-based approach » de Fabrizio Barca, est présentée comme la conséquence d’une adaptation locale visant une plus grande transversalité et une gouvernance moins rigide. Cette approche pourrait être identifiée comme une forme de gouvernance multi-niveaux, bien qu’elle soit abordée de façons très diverses par plusieurs paradigmes. L’auteur propose donc une approche horizontale, intégrée, basée sur la négociation et le consensus.

Cette analyse pourrait servir de fondement à la résilience locale, définie par l’auteur comme la capacité du territoire et de ses acteurs à se rétablir et à s’adapter collectivement au changement (p. 112.). Cependant, cette capacité peut revêtir de nombreuses formes et doit faire face à une multitude de problèmes différents, souvent simultanément, tels que les catastrophes climatiques, les inégalités territoriales ou encore le déclin démographique.

Par conséquent, en fin de section, la notion de capacité politique territoriale est élargie au-delà de celle de compétence, car les implications de cette adaptation aux grands enjeux exigent des collectivités le déploiement d’une panoplie de ressources et de modes de travail dépassant les processus politiques traditionnels, et visant à être plus inclusifs, notamment face à des polémiques du type NIMBY (Not In My Backyard). Ainsi, un abordage de la subsidiarité active semble encore pertinent par rapport à la réalité du terrain.

Un guide indispensable

En conclusion, ce livre offre une exploration approfondie de la démocratie locale et régionale en Europe. Il met en évidence les dynamiques complexes, les défis et les opportunités qui façonnent les dynamiques pour les niveaux de gouvernance infranationaux. De l’analyse des traditions étatiques à l’examen des enjeux contemporains, en passant par l’impact de l’européanisation, l’ouvrage offre un aperçu complet de la démocratie à différentes échelles. La résilience locale et la capacité politique territoriale sont des concepts clés pour naviguer dans un monde en constante évolution, où les collectivités doivent s’adapter et innover pour relever les défis.

Cela fait de ce texte une ressource précieuse, tant pour les novices souhaitant approfondir leur compréhension que pour les experts cherchant à enrichir leur travail grâce aux lumières qu’il apporte et au regard actuel proposé dans sa dernière section.