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Quelle coopération décentralisée en santé ?

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« S’il est bien une question dont on ne peut pas dire qu’elle n’a rien à voir avec la choucroute, c’est bien la coopération sanitaire transfrontalière »[1]. C’est ainsi qu’Olivier Renaudie démontre qu’il existe des caractéristiques épidémiologiques dans certaines zones géographiques et que les populations des régions situées de part et d’autre d’une frontière peuvent être sujettes à des pathologies similaires en raison d’habitudes alimentaires communes. Cette simple observation suffit à montrer qu’il n’existe pas une santé française et d’autres santés par-delà les frontières. Des différences portant sur le taux de mortalité ou la prévalence de maladies sont susceptibles d’être relevées selon un territoire, transfrontalier ou non, en raison d’un environnement commun, de conditions météorologiques identiques ou d’habitudes de vie similaires. Cela justifie pleinement une coopération territoriale en matière sanitaire. Celle-ci permet d’améliorer l’accès aux soins de proximité et contribue à mieux répartir l’offre de soins de part et d’autre d’une frontière. Mais le rôle des collectivités territoriales apparaît réduit dans ce domaine, du fait d’une compétence quasi-exclusive de l’État en matière de santé publique.

[1] Olivier Renaudie, « Qualité et coopérations sanitaire transfrontalière », RDSS 2014, p. 1039.


Si l’on admet que la santé publique renvoie à la santé envisagée comme politique publique1, la coopération en santé publique convoite d’autres actions que la coopération dans le secteur des soins et vise également les actions de coopération dans le domaine de la formation des personnels en santé, de la recherche clinique et/ou médicale, ou encore de la gouvernance hospitalière. La coopération décentralisée renvoie alors aux actions de collaboration qu’entretiennent les collectivités territoriales françaises avec entités étrangères intervenant dans le domaine de la santé publique. Si l’on comprend bien l’enjeu d’une telle coopération en santé publique, envisager la coopération décentralisée soulève immédiatement une ambiguïté si ce n’est une contradiction : la politique de santé est l’affaire de l’État. L’article L 1411-1 du code de la santé publique est très clair à cet égard « La Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. La politique de santé relève de la responsabilité de l'État ». On peut même observer une nouvelle centralisation du secteur sanitaire depuis la loi du 21 juillet 2009 dite Hôpital, Patients, Santé, Territoires2, particulièrement mise en évidence pendant la crise du coronavirus.

Pourtant, des considérations évidentes incitent à la décentralisation sanitaire. Puisque la politique de santé tend notamment à assurer la réduction des inégalités sociales et territoriales3, son élaboration nécessite d’avoir connaissance des déterminants locaux de la santé de la population. Les mêmes raisons expliquent aussi la nécessité d’une coopération sanitaire transfrontalière : ainsi dans les zones transfrontalières, la géographie des lieux, le réseau routier et les conditions climatiques rendent parfois les installations sanitaires d’un des deux pays plus accessibles aux habitants de l’autre pays.

Le choix fait par le législateur est autre et, pour réduire les inégalités d’accès aux soins, l’État va avoir recours à des territoires qui ne sont pas ceux des collectivités territoriales. La politique de santé est conduite dans le cadre d’une stratégie nationale de santé définie par le gouvernement et mise en œuvre dans des territoires par les agences régionales de santé (ARS) qui agissent pour le compte de l’État. La compétence de l’État en matière de santé, parfois qualifiée d’exclusive4, est ainsi préservée et la politique de santé sera adaptée aux spécificités des territoires dans un rapport de contrainte. Les collectivités territoriales ne sont toutefois pas totalement exclues du champ sanitaire5. Outre la possibilité d’attribuer des aides destinées à favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans certaines zones, chaque collectivité territoriale dispose de compétences lui permettant d’intervenir dans le domaine de la santé. Les collectivités territoriales peuvent, si un intérêt public local le justifie et dans le respect des règles de la concurrence et de la liberté du commerce et de l’industrie, créer des centres de santé chargés de dispenser des soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours. En confiant cette compétence aux collectivités territoriales sans distinguer selon le niveau6, la loi leur ouvre une possibilité de mener des actions dans le domaine de la santé publique, y compris des actions de coopération décentralisée avec leurs homologues étrangères. Pourtant, en dehors de quelques actions de coopération sectorielles formalisées7 ou d’actions assez spontanées, plus ou moins formalisées, de coopération à l’international (via des chartes de jumelage ou les réseaux régionaux multi-acteurs pour la coopération internationale et la solidarité), les collectivités territoriales apparaissent peu concernées par la coopération sanitaire.

Peut-on dès lors parler d’une coopération décentralisée en santé publique ?

La coopération décentralisée en santé publique est d’abord et principalement fonctionnelle, lorsqu’elle est territorialisée, elle dépend encore largement du bon vouloir de l’État mais l’avenir est peut-être à une coopération décentralisée territoriale.

Une coopération décentralisée fonctionnelle

La coopération décentralisée fonctionnelle renvoie aux actions de coopération en santé publique qui vise des fonctions, des missions précises et non des territoires. Ainsi entendue, la coopération décentralisée fonctionnelle pourrait être définie comme l’ensemble des relations de collaboration qu’entretiennent certains établissements liés à la santé avec leurs homologues étrangers. Plusieurs dispositions autorisent en France la coopération inter-établissements dans le domaine de la santé publique.

Un dispositif de coopération souple

Il y a d’abord le code de la recherche, qui encadre la coopération scientifique et technologique8. Sur ce fondement, les établissements et organismes de recherche français peuvent nouer des coopérations avec des établissements de pays étrangers pour mettre en place des programmes de recherche communs dans le domaine médical. Le Code de la sécurité sociale permet également la conclusion de conventions entre les organismes de sécurité sociale et certains établissements sanitaires ou médico-sociaux établis dans un État membre de l’Union européenne, dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou en Suisse9. Ces conventions prévoient les conditions de séjour dans ces établissements de malades bénéficiaires de la prise en charge des frais de santé (ou des personnes qui leur sont rattachées au sens des règlements européens) qui ne peuvent recevoir en France les soins appropriés à leur état, ainsi que les modalités de remboursement des soins dispensés. Le code de la santé publique autorise lui aussi la coopération inter-hospitalière transfrontalière. L’article L. 6134-1 prévoit à cet égard que les établissements de santé publics ou privés à but non lucratif peuvent participer à des actions de coopération internationale avec des établissements de santé étrangers.

Ces actions de coopération peuvent faire l’objet d’une convention de coopération, dont la conclusion est conditionnée à la garantie de la continuité du service public hospitalier et au respect du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens signé par chaque établissement de santé avec l’agence régionale de santé compétente10. Hormis cette condition, le dispositif est relativement souple : la coopération est laissée à l’initiative des établissements, qui élaborent une convention précisant les modalités, l’objectif poursuivi et les moyens mobilisés. Celle-ci doit bien évidemment s’inscrire dans le cadre des missions qui leur sont imparties. Il s’agit d’une coopération fonctionnelle, ne créant pas une nouvelle personne morale. Les conventions de coopération passées par les établissements de santé poursuivent trois objectifs principaux11 : le partage d’expérience entre acteurs de la santé, le développement et l’amélioration de la situation sanitaire des pays partenaires et la réponse aux situations d’urgence. Ces conventions de coopération peuvent par ailleurs porter sur des domaines très variés. Quatre principaux champs de coopération sont souvent distingués12 : le domaine des soins et de l’activité médicale, les activités d’enseignement universitaire et de formation, qui constituent le champ le plus important et le plus développé en matière de coopération internationale des établissements de santé, mais aussi le domaine des activités de recherche et en particulier, de la recherche médicale et clinique, et l’expertise technique hospitalière. Selon l’article L. 6134-1 du code de la santé publique, les conventions passées par les établissements de santé publics ou privés à but non lucratif doivent respecter les engagements internationaux souscrits par l’État français.

La question du contrôle du respect des engagements internationaux

Le cadre juridique encadrant ces conventions de coopération ne prévoit pourtant aucun outil de vérification du respect de ces engagements internationaux. L’absence de contrôle peut constituer un risque au regard du respect par les établissements de pays partenaires d’un certain nombre de principes juridiques et éthiques auxquels l’État français est lié, notamment en matière de prélèvement d’organes. La France a souscrit à plusieurs engagements internationaux, en particulier la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine de 1997, dite convention d’Oviedo. Cette convention prévoit notamment l’obligation de recueillir le consentement libre et éclairé de la personne avant toute intervention dans le domaine de la santé (article 5) et dispose, à l’article 21, que le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit. La France a également signé en 2019 la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains adoptée le 25 mars 2015, à Saint-Jacques-de-Compostelle et entrée en vigueur le 1er mars 201813. La Convention impose aux États parties d’incriminer plusieurs comportements, dont le prélèvement d’organes sans consentement ou en contrepartie d’un profit ou d’un avantage.

La question du respect de ces engagements internationaux issus du Conseil de l’Europe se pose très concrètement à la France dans sa coopération avec des partenaires non européens dans le secteur hospitalier, en particulier avec la Chine. Certaines enquêtes indépendantes révèlent des pratiques contraires aux principes contenus dans les conventions internationales, telles que la vente d’organes ou les prélèvements d’organes sur les prisonniers de conscience14. La coopération internationale hospitalière entre la France et la Chine date des années 2000 et a été institutionnellement consolidée en 2008 puis en 2013 grâce à la signature d’accords de coopération entre les ministres français et chinois de la santé. Dix-huit actions de coopérations inter-établissements étaient recensées en 2015 15. La Chine a produit en 2007 une première loi réglementant la transplantation, et n’a officiellement interdit qu’en 2015 le prélèvement des organes des prisonniers exécutés. Un rapport documenté publié en 2016 estimait cependant à 90 000 par an les transplantations clandestines effectuées16.

Certaines voix se sont élevées en France pour dire qu’il était nécessaire de modifier le droit interne pour instaurer un contrôle des actions de coopération entre les établissements de santé français et leurs homologues non européens afin de soumettre ces actions au respect des engagements internationaux de la France en matière de transplantation d’organes. Une proposition de loi a été déposée à cette fin à l’Assemblée nationale le 15 septembre 2020. Ce contrôle passerait par les conventions de coopération signées entre les établissements de santé français et les établissements non européens. Parmi les mesures proposées, la signature de ces conventions serait conditionnée à la vérification, par le Comité consultatif national d’éthique, du respect par les établissements de santé publics ou privés non européens des principes éthiques relatifs à la transplantation d’organes. Une fois la convention signée, l’Agence de biomédecine serait chargée de mettre en place un dispositif de surveillance du respect des règles d’éthique pour l’utilisation à des fins scientifiques d’éléments et produits du corps humain et de leurs dérivés. Il est toutefois permis de douter de l’efficacité d’un tel contrôle. Il suffit de se rappeler que le laboratoire de haute sécurité biologique P4 de Wuhan, dont la part de responsabilité dans l’origine de la pandémie de covid-19 a fait l’objet de nombreux questionnements, a été conçu dans le cadre d’une coopération avec la France17 et qu’il est extrêmement difficile pour les experts d’avoir accès aux informations le concernant.

Au-delà de ces questionnements, les conventions de coopération inter-établissements soulèvent d’autres difficultés. Elles restent le plus souvent réservées à quelques domaines : quand elles sont internationales, il s’agit souvent de la recherche ou de la formation et, quand elles sont transfrontalières, elles sont souvent limitées à certaines activités de soins (urgences cardiologiques, obstétriques, médecine nucléaire, neurochirurgie…). Afin de promouvoir une coopération en santé publique plus globale, notamment transfrontalière entre les pays de l’Union européenne, celle-ci doit dépasser un cadre purement fonctionnel pour devenir territoriale.

Il existe bien une coopération territoriale dans le domaine de la santé publique, mais compte tenu de la répartition – ou plutôt de la non-répartition des compétences en matière de santé en France, cette coopération reste largement étatisée.

Une coopération territoriale étatisée

Dans la mesure où la politique de santé est une compétence quasi exclusive de l’État, la coopération sanitaire territoriale relève largement de la compétence de l’État : à l’image de la politique de santé, la coopération n’est pas décentralisée mais territorialisée.

Des accords-cadres aux conventions de coopération

Une telle coopération a d’abord reposé sur des accords-cadres encouragés par la Convention de Madrid. De nombreux accords-cadres ont été conclus entre les autorités françaises et leurs homologues européens pour développer la coopération sanitaire en encadrant et en harmonisant les conventions de coopération sanitaire18. Les principales dispositions de ces accords visent à déterminer le champ d’application des conventions, à définir les autorités compétentes pour les signer et à définir les conditions d’intervention de part et d’autre des frontières, des structures de soins, des secours d’urgence, des organismes de sécurité sociale et des professionnels de santé. Mais la signature de ces accords-cadres et la multiplication des conventions de coopération sanitaire se font en réalité sans grande unité. Les premiers définissent les autorités compétentes pour signer les secondes. Pour les autorités françaises, les autorités sont les agences régionales de santé et/ou les organismes d’assurance maladie. C’est ainsi que sur la base de l’accord-cadre franco-espagnol, des conventions ont été signées par les agences régionales de santé des régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie. Mais d’autres conventions sont signées par des établissements de santé sur le fondement du même accord-cadre mais aussi de l’article L 6134-1 du code de la santé publique19. En outre, la coopération sanitaire issue de ces conventions reste souvent très sectorielle (urgences, grands brûlés…).

Le groupement européen de coopération territoriale – Hôpital de Cerdagne

Afin de promouvoir la coopération entre les personnes morales de droit public des pays de l’Union européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont créé le cadre juridique du Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT) par le règlement (CE) n° 1082/2006 en date du 5 juillet 2006. Si les missions du GECT doivent relever de la compétence de chaque membre en vertu de son droit national, on constate depuis 2006 une certaine hétérogénéité des GECT dont les missions présentent d’importantes disparités : certains GECT constituent des organes de coopération intervenant dans des domaines diversifiés, tandis que d’autres ont été créés afin de mettre en œuvre des projets strictement définis. Ce constat se retrouve dans le domaine de la santé publique, avec par exemple le GECT West-Vlaanderen/Flandre-Dunkerque-Côte d’Opale créé en 2009 entre les autorités françaises et les autorités belges et le GECT hôpital de Cerdagne, qui vise à améliorer l’offre de services hospitaliers à destination des habitants d’une zone géographique située de part et d’autre de la frontière franco-espagnole. Le premier, parce que son domaine d’intervention est diversifié et n’est pas limité à la santé publique, compte des collectivités territoriales parmi ses membres français ; le second, parce qu’il est strictement limité à la création d’un hôpital transfrontalier, ne compte que l’État et l’(ancienne) ARS Languedoc-Roussillon dans ses membres français.

La convention de coopération sanitaire transfrontalière et de constitution du Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT) - Hôpital de Cerdagne a été signée le 26 avril 2010 pour apporter une réponse aux besoins d’hospitalisation de proximité pour la population française et conforter la qualité de la réponse pour la population espagnole catalane. La Cerdagne est un plateau montagneux situé à 1200 mètres d’altitude, divisé entre Haute Cerdagne et Capcir, côté français, au sein du département des Pyrénées Orientales et Basse Cerdagne côté espagnol au sein de la communauté autonome de Catalogne. Avant la signature de la convention, la Cerdagne française bénéficiait d’un dispositif d’urgences, de médecins libéraux et de plusieurs établissements spécialisés dans le moyen séjour. Mais le territoire ne disposait en revanche d’aucun service de chirurgie ni d’obstétrique ; la première clinique chirurgicale se trouvait à plus de 60 kilomètres du territoire (à Prades) et les trois maternités du département sont à Perpignan20. Côté espagnol, la Fondation hôpital de Puigcerdá disposait de seulement 30 lits de médecine, chirurgie, obstétrique, d’un service d’urgences et d’un plateau technique (radiologie, scanner et laboratoire d’analyses médicales). C’était un hôpital de petite taille et relativement vétuste, qui sous-traitait une partie de son activité à des prestataires et les villes les plus proches proposant une offre de soins plus complète sont situées à plus de 60 kilomètres de distance.

Une première convention a été signée en 2002 entre le centre hospitalier de Perpignan et l’hôpital Fondation de Puigcerdá pour la mise en œuvre des services d’urgences suivie d’une convention de tiers payant conclue en 2003 par l’assurance maladie pour la prise en charge des urgences et des accouchements concernant les ressortissants français réalisés à la fondation Hôpital de Puigcerdá. Parallèlement, la première étude de faisabilité de la création d’un hôpital transfrontalier fut lancée en janvier 2003, et les termes de la coopération transfrontalière dans le domaine de l’accès aux soins de proximité pour les patients de Cerdagne et du Capcir furent posés dans une déclaration d’intentions signée le 17 octobre 2005 entre le gouvernement français et le gouvernement catalan. Mais celle-ci prévoyait que l’hôpital transfrontalier devait s’inscrire dans le cadre du traité de Bayonne du 10 mars 199521, qui, conformément à la Convention de Madrid dont il souhaitait faciliter l’application, fixe les bases de la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales françaises et espagnoles. Ce fondement est alors apparu inopérant dans la mesure où il n’était pas possible de confier aux collectivités territoriales françaises la création d’une structure commune chargée de gérer un hôpital transfrontalier, la santé relevant de la compétence de l’État. C’est dans ce contexte que va naître le projet d’accord franco-espagnol sur la coopération sanitaire transfrontalière et, que, au même moment, est créé au niveau européen le GECT. Une nouvelle déclaration d’intentions est signée le 17 mars 2007 entre le ministère de la santé français et le ministère de la santé de la Generalitat de Catalogne dans laquelle les parties s’accordent à poursuivre le projet d’hôpital transfrontalier dans le cadre d’un GECT.

La convention constitutive du GECT comprend onze articles et trois annexes qui précisent notamment le but du GECT-HC. Il s’agit d’apporter une réponse aux besoins d’hospitalisation de proximité, de construire un modèle de soins de santé unique, dans une structure autonome dotée de la personnalité juridique et d’établir un modèle unique de relation avec les usagers et les personnels, tout en respectant les traits identitaires différentiels. La création du groupement doit également permettre de commencer la constitution d’un réseau de santé transfrontalier22. Aussi la construction de l’hôpital de Cerdagne et la constitution du GECT s’inscrivent dans un projet de coopération sanitaire transfrontalière plus large comprenant la mise en place d’un véritable réseau de soins transfrontalier. Le projet commun de santé de territoire de Cerdagne annexé à la convention indique ainsi qu’au-delà de la création de l’hôpital transfrontalier, il s’agit d’organiser une « réponse territoriale » et de faire émerger des filières de prise en charge qui permettront d’améliorer les niveaux de réponse apportés de part et d’autre de la frontière. Dans la perspective de la mise en place d’une filière gériatrique et d’une filière de rééducation, une convention constitutive du groupement de coopération sanitaire (GCS) a été signée le 22 avril 2012 entre l’UGECAM Languedoc Roussillon – Midi Pyrénées (un groupe de l’assurance maladie qui gère des structures sanitaires et médico-sociales), l’association Joseph Sauvy (gestionnaire d'établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux) et le Groupement Hôpital de Cerdagne. La « réponse territoriale » s’est donc faite sans les collectivités territoriales françaises par des accords inter-institutionnels.

L’instrument qui permettrait aujourd’hui d’associer les collectivités territoriales à une coopération décentralisée dans le domaine de la santé est le projet régional de santé.

Vers une coopération décentralisée territoriale ?

Instauré par la loi du 21 juillet 2009 sous la forme d’un plan stratégique régional de santé et amplement remanié par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé23, le projet régional de santé a vocation à territorialiser la politique de santé. C’est un instrument de planification arrêté par le directeur général de l’ARS qui définit, en cohérence avec la stratégie nationale de santé et dans le respect des lois de financement de la sécurité sociale, les objectifs pluriannuels de l’agence dans ses domaines de compétences, et les mesures tendant à les atteindre.

Ce projet régional de santé est constitué d’un cadre d’orientation stratégique, d’un schéma régional de santé établi pour cinq ans et d’un programme régional relatif à l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies24. La loi ajoute que, dans les territoires frontaliers (et les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution), le projet régional de santé « organise, lorsqu’un accord-cadre international le permet, la coopération sanitaire et médico-sociale avec les autorités du pays voisin »25. Le cadre juridique est très restrictif puisqu’une telle coopération est subordonnée à « la permission » d’un accord-cadre. Si c’est le cas, la coopération est formalisée dans une convention de coopération26.

La dimension transfrontalière du projet régional de santé

Ce dispositif reste a priori très étatique puisque, non seulement il suppose un accord international, mais, en outre, il relève de la compétence du directeur général de l’ARS. Les collectivités territoriales sont seulement « informées » de l’existence de conventions de coopération et de leur mise en œuvre27. Deux raisons permettent toutefois de nuancer cette exclusion a priori et de voir l’avenir de la coopération décentralisée en matière de santé publique se dégager.

Les collectivités territoriales participent à l’élaboration du projet régional de santé. Celui-ci est adopté par le directeur général de l’ARS après avis du Conseil de surveillance dans lequel siègent des représentants des collectivités territoriales. En outre elles participent à l’élaboration du schéma régional de santé qui est un des documents – le principal – du projet. Celui-ci est établi sur la base d’une évaluation des besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux à laquelle les collectivités territoriales participent. Cette évaluation, pour être pertinente, ne peut se faire en retenant la région comme unité de mesure géographique. Elle se fait sur des territoires de démocratie sanitaire, en principe infrarégionaux, délimités par le directeur général de l’ARS sur lesquels il constitue un conseil territorial de santé, composé de membres répartis en quatre collèges, dont un collège des collectivités territoriales. Ce Conseil participe à la réalisation de l’évaluation et ce n’est qu’au terme de celle-ci que l’ARS élabore le schéma régional de santé. Il a pour objet de déterminer, pour l’ensemble de l’offre de soins et de services de santé, des prévisions d'évolution et des objectifs opérationnels. Ces derniers peuvent ensuite être mis en œuvre par des contrats locaux de santé qui sont signés par l’ARS avec les collectivités territoriales qui participent ainsi à la mise en œuvre du projet régional de santé.

Les contrats locaux de santé transfrontaliers

Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale28 prévoit d’associer davantage les collectivités territoriales à la mise en œuvre dans les territoires de la politique de santé et de développer la coopération décentralisée en matière de santé. Il répond en cela à une critique relative à la centralisation jugée excessive de la politique de santé pendant la crise sanitaire et au principal grief adressé aux ARS et consistant à la non-association des élus locaux29.

Le texte prévoit de faire évoluer la gouvernance des ARS en transformant le conseil de surveillance des ARS en un conseil d’administration et en augmentant le poids des élus en son sein. L’article 31 du projet prévoyait ainsi, dans sa version initiale, que, aux côtés du président de l’actuel conseil de surveillance, le représentant de l’État dans la région, prendraient place deux vice-présidents désignés parmi les membres représentant les collectivités territoriales. La transformation du conseil de surveillance en conseil d’administration s’accompagnerait d’une compétence nouvelle pour promouvoir les contrats locaux de santé conclus avec les collectivités territoriales : l’organe délibérant pourrait ainsi définir, sur proposition du directeur général de l’agence, les grandes orientations de la politique menée par l’agence en ce qui concerne la conclusion et l’exécution de conventions avec les collectivités territoriales pour la mise en œuvre du projet régional de santé. Si la version adoptée en première lecture par le Sénat a supprimé la disposition sur les vice-présidences, elle attribuait au nouveau conseil d’administration la compétence pour approuver le projet régional de santé30, en lieu et place du directeur général. Un tel transfert de compétence, s’il n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale, manifeste néanmoins une volonté de décentraliser l’exécution de la politique de santé31.

Pour faciliter la dimension transfrontalière du projet régional de santé, l’article 57 du projet de loi propose d’ajouter un septième volet au schéma régional de santé. Celui-ci comporterait, en l’état actuel du texte32 « le cas échéant, un volet consacré à la mise en œuvre des accords internationaux de coopération sanitaire applicables dans les territoires et collectivités mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 1434-2, qui porte notamment sur l’organisation de la continuité des soins, l’accès aux soins urgents ainsi que sur la coordination en cas de crise sanitaire, dans le respect des attributions du représentant de l’État territorialement compétent et du directeur général de l’agence régionale de santé ». Une telle disposition permettrait de développer la dimension transfrontalière dans l’accès aux soins qui est actuellement très inégale selon les territoires et les thématiques couvertes par les conventions cadres.

Nous avons vu que l’article L1434-2 du code de la santé publique prévoit que dans les territoires frontaliers le projet régional de santé « organise, lorsqu’un accord-cadre international le permet, la coopération sanitaire et médico-sociale avec les autorités du pays voisin ». Un axe est déjà consacré à la coopération transfrontalière dans certains schémas régionaux de santé, sous forme d’action à développer ou de programme prioritaire33. Mais ces dispositions et les objectifs qui sont liés ne se traduisent pas par l’adoption de contrats locaux transfrontaliers. L’exemple du contrat local de santé Cerdagne Capcir Haut-Conflent 2019-2021 est caractéristique à cet égard, alors même que la zone est celle du GECT Hôpital de Cerdagne : ce contrat est signé entre l’ARS Occitanie, le département des Pyrénées orientales, la communauté de communes Pyrénées catalanes et la communauté de communes Pyrénées Cerdagne, à l’exclusion de tout partenaire espagnol.

Plusieurs amendements ont été présentés pour faciliter davantage la prise en charge des problématiques de santé à une échelle transfrontalière autant au niveau stratégique national/régional qu’au niveau de la coordination des acteurs locaux34. Il a notamment été proposé de supprimer la condition relative à l’autorisation d’un accord international pour organiser la coopération transfrontalière dans les projets régionaux de santé et la possibilité pour les ARS concernées de conclure des contrats locaux de santé transfrontaliers. Ces amendements ont été rejetés : « la santé relève bien d’une compétence de l’État : c’est à celui-ci qu’il revient d’organiser avec le pays limitrophe les conditions et les modalités de la coopération sanitaire. Vouloir y associer les collectivités étrangères, ce qui peut sembler pertinent, laisse cependant entendre que les collectivités sont toutes compétentes en matière de santé, en France comme à l’étranger, ce qui n’est pas sûr »35.

Un tel argument va à l’encontre de l’évolution de l’action extérieure des collectivités territoriales avec des autorités locales étrangères qui s’est libérée de la contrainte externe liée à l’existence d’un accord international autorisant la coopération décentralisée, seule subsiste la limite du respect des engagements internationaux de la France. En outre, la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a ajouté parmi les compétences partagées entre l’État et les collectivités territoriales la promotion de la santé36. La contrainte interne qui serait liée à une incompétence des collectivités territoriales en matière de santé, à supposer qu’elle existe, ne paraît donc plus tout à fait fondée. On pourrait même penser que, en ajoutant parmi les compétences partagées la promotion de la santé, le législateur permet aux collectivités territoriales, dans le respect des engagements internationaux, de conclure des conventions de coopération avec des autorités locales étrangères dans le domaine de la santé publique sur le fondement de l’article L1115-1 du Code général des collectivités territoriales.

Mais peut-être qu’il existe d’autres freins à une coopération décentralisée en santé publique, parmi lesquels l’existence d’un système national de financement du système de santé et peut-être une certaine réserve des élus locaux à s’engager pleinement dans cette compétence, en dehors de tout contexte de pandémie, compte tenu notamment du risque juridique et politique que comporte son exercice37.

C.C

 

Phrases loupes (indications graphiste)

La coopération territoriale en matière sanitaire permet d’améliorer l’accès aux soins de proximité et contribue à mieux répartir l’offre de soins de part et d’autre d’une frontière. Mais le rôle des collectivités territoriales apparaît réduit dans ce domaine, du fait d’une compétence quasi-exclusive de l’État en matière de santé publique.

La coopération décentralisée en santé publique dépend encore largement du bon vouloir de l’État mais l’avenir est peut-être à une coopération décentralisée territoriale.

Dans les zones transfrontalières, la géographie des lieux, le réseau routier et les conditions climatiques rendent parfois les installations sanitaires d’un des deux pays plus accessibles aux habitants de l’autre pays.

En dehors de quelques actions de coopération sectorielles formalisées ou d’actions assez spontanées, plus ou moins formalisées, de coopération à l’international, les collectivités territoriales apparaissent peu concernées par la coopération sanitaire.

L’instrument qui permettrait aujourd’hui d’associer les collectivités territoriales à une coopération décentralisée dans le domaine de la santé est le projet régional de santé.

Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration prévoit d’associer davantage les collectivités territoriales à la mise en œuvre dans les territoires de la politique de santé et de développer la coopération décentralisée en matière de santé.

 

2 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, JO n° 0167 du 22 juillet 2009.
7 Loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, JO n° 34 du 10 février 2005.
17 Décret n° 2005-1181 du 14 septembre 2005 portant publication de l'accord relatif à la coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en matière de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses émergentes, signé à Pékin le 9 octobre 2004, JO n° 220, 21 septembre 2005.
29 Voir sur ce point les auditions menées par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales entre début avril et juillet 2020 et not. Table ronde : « La coordination collectivités territoriales - Agences régionales de santé, un premier bilan », 28 mai 2020.

Notes de bas de page

  • 1 Olivier Renaudie, « Collectivités territoriales et compétences en santé publique : sortir de l’ambiguïté ? », RFAP, vol. 176, no. 4, 2020, p. 901.

  • 3 Art. L1411-1 CSP.

  • 4 Rapport d’information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, relatif aux initiatives des territoires en matière d’accès aux soins, Sénat n° 63, 14 octobre 2021.

  • 5 Voir not. Olivier Renaudie, « Collectivités territoriales et compétences en santé publique : sortir de l’ambiguïté ? », préc.

  • 6 Art. L6323-1-3 CSP : « Les centres de santé sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par des collectivités territoriales, soit par des établissements publics de coopération intercommunale, soit par des établissements publics de santé, soit par des personnes morales gestionnaires d'établissements privés de santé, à but non lucratif ou à but lucratif (…) ».

  • 8 Art. L111-3 du code de la recherche.

  • 9 Art. R160-3 du code de la sécurité sociale.

  • 10 Art. R6134-1 CSP.

  • 11 « Bilan de l’appel à projet Coopération hospitalière internationale », Direction générale de l’offre de soins, 2020.

  • 12 Ibid.

  • 13 Projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, n° 4338 , déposé(e) le mardi 13 juillet 2021 et renvoyé(e) à la Commission des affaires étrangères.

  • 14 Proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens, AN n° 3316, 15 sept. 2020, Exposé des motifs.

  • 15 Rapport sur la proposition de loi de Mme Frédérique Dumas et plusieurs de ses collègues visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens (3316), n° 4037, 31 mars 2021.

  • 16 Proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens, AN n° 3316, 15 sept. 2020, Exposé des motifs.

  • 18 Voir par ex. l’accord-cadre signé entre la France et l’Allemagne sur la coopération sanitaire transfrontalière le 22 juillet 2005 (et son arrangement administratif signé le 09/03/2006) ; l’accord-cadre signé entre la France et l’Espagne, avec un accord d’application, respectivement le 27 juin 2008 et le 9 septembre 2008, entrés en vigueur le 1er décembre 2014.

  • 19 Voir par exemple la convention de coopération transfrontalière d’aide médicale urgente signée entre le service de santé Basque de la Communauté autonome basque (osakidetza) et le CHI de la côte Basque, signée le 27 mai 2010.

  • 20 Avis présenté par Mme Ségolène Neuville au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre entre la République française et le Royaume d’Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière, déposé le 5 juin 2013, AN n° 1106.

  • 21 Traité entre la République française et le Royaume d’Espagne relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales, 10 mars 1995.

  • 22 Aux termes du troisième considérant de la convention constitutive du Groupement, les parties signataires désirent exprimer leur volonté de coopérer afin d’« ouvrir au plus vite un hôpital transfrontalier à Puigcerdá en vue de la mise en place d’un futur réseau sanitaire transfrontalier franco-catalan ».

  • 23 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, JO n° 0022 du 27 janvier 2016.

  • 24 L1434-2 CSP.

  • 25 Ibid., dernier alinéa.

  • 26 Art. R1434-12- CSP.

  • 27 Art. R1434-12, der. al. CSP.

  • 28 Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, Sénat n° 588, 12 mai 2021.

  • 30 Projet de loi nº 4406, adopté par le Sénat relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, 21 juillet 2021.

  • 31 Projet de loi, adopté avec modifications, par l'Assemblée nationale, relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale le 4 janvier 2022, T.A. n° 738. A l’heure où ces lignes sont écrites, la commission mixte paritaire a été convoquée.

  • 32 Ibid.

  • 33 Voir par ex. SRS de l’ARS Grand Est, 2018-2023. Encourager la coopération transfrontalière afin de faciliter l’accès aux soins ; SRS Nouvelle Aquitaine 2018 – 2023 : un point sur : Encourager la coopération transfrontalière ; SRS Occitanie, un axe sur les populations spécifiques, parmi lesquelles les populations transfrontalières.

  • 34 Voir not. l’amendement n° 405 rectifié et l’amendement n° 1018 rectifié.

  • 35 Alain Milon, Rapporteur pour avis de la Commission des affaires sociales, Sénat, séance du 15 juillet 2021.

  • 36 Art. L. 1111-2 CGCT.

  • 37 Voir sur ce point Benoît Appolis et Didier Truchet, Droit de la santé publique, Mémentos Dalloz, 10e éd., 2020, p. 64.