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L'alliance économique inter-municipale

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La communauté d’agglomération Cap excellence, composée de trois importantes villes de la Guadeloupe (Les Abymes, Baie-Mahault, Pointe-à-Pitre) représente le premier bassin de population de la Guadeloupe. Ce territoire est présenté comme le territoire économique le plus important et performant de l’archipel guadeloupéen par son vivier d’activités et d’emplois. Et pourtant, sa création n’a pas été facile en raison du refus de la ville de Baie-Mahault d’adhérer à cet EPCI sur injonction du préfet de l’époque. Cet épisode a traduit pour partie le malaise ressenti en Guadeloupe vis-à-vis de l’intercommunalité intégrative en raison de ce que l’auteur qualifie de « nationalisme municipal ». Aujourd’hui, l’approche de territorialisation et de différenciation territoriale rythme le projet de territoire de Cap Excellence. Pour autant, la limite à l’ambition locale réside dans une certaine mesure dans le droit positif du droit intercommunal qui constitue un facteur d’uniformisation de l’action publique intercommunale.

L’exemple de la Communauté d’Agglomération Cap Excellence en Guadeloupe

La révision constitutionnelle intervenue par le truchement de la loi constitutionnelle no 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République1 marque indéniablement une césure, dans la manière d’envisager le concours renforcé des collectivités territoriales à l’administration territoriale de la République. La doctrine du droit public s’est interrogée de façon tout à fait conjoncturelle sur la portée de la réforme, notamment cherchant à savoir si la France prenait le chemin du fédéralisme ou non. La structure du modèle étatique traditionnel reste sauf. Cependant, il est indéniable que la décentralisation franchit à partir de cette date un palier significativement qualitatif. En effet, la décentralisation n’est plus simplement l’œuvre du législateur2, mais fait l’objet d’une attention particulière de la part du Constituant. C’est ainsi que l’article 1er alinéa 1, in fine du texte fondamental dispose : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La décentralisation, mouvement incrémental de réforme permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements de gagner en compétences, ce qui au final sert de terreau fertile à l’expression du génie local manifestée par l’ingénierie dont feront preuve les équipes locales (élus, fonctionnaires, bureau d’études, consultants, expertise empirique populaire). Dans le même temps, on assiste à une œuvre de conceptualisation de l’action publique locale qui conduit les acteurs publics à penser des projections territoriales inspirées de leurs réalités propres. Enfin, des infrastructures, dont certaines sont essentielles pour la cohésion sociale sur le territoire national, sont régulièrement construites. En définitive, il y a tout lieu de considérer que les territoires locaux, et désormais les périmètres intercommunaux, ont irrévocablement un « effet substantiel »3 sur l’ensemble du territoire national.

Des auteurs font observer que les réformes de l’administration territoriale tendent « à hybrider les logiques institutionnelles historiques qui structuraient l’administration française à l’échelon déconcentré »4. Nous parlerons volontiers, à notre tour de double hybridation, peut-être d’une autre forme, pour ce qui concerne l’organisation de l’État dans les territoires locaux. Il est question, nous semble-t-il de l’incarnation de l’État qui est tout à la fois le fruit des opérations des administrations déconcentrées mais aussi des administrations locales. Cette innovation est vraisemblablement le résultat de la rencontre entre le local et le global5, car « plus que tout autre domaine d’action publique, l’action internationale est au cœur des transformations de la gouvernance territoriale. Trois grands paramètres affectent de manière continue l’action internationale : les dynamiques territoriales de l’économie, les politiques de l’Union européenne et le cadre de la décentralisation « à la française ».

Le territoire local qu’il soit communal, départemental, régional, intercommunal, métropolitain constitue un lieu de vie, un espace de création de liens sociaux, un marché domestique qui à l’image de vaisseaux qui irriguent le cœur, innerve la dynamique territoriale sur l’ensemble du territoire national. L’organe ou organisme vivant, est, en biologie et en écologie, un système vivant complexe, organisé, et est le produit de variations successives au cours de l’évolution. Les organes travaillent ensemble pour former un système d’organes, tel que l’appareil respiratoire. Il est possible d’assimiler les territoires locaux à des organes vivants qui vont contribuer à la mise en place d’un écosystème au sein duquel la vie va fourmiller.

D’un point de vue très général, L’article L. 5111-1 alinéa 1er du Code général des collectivités territoriales dispose : Les collectivités territoriales peuvent s’associer pour l’exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et conditions prévues par la législation en vigueur. Le Code général des collectivités territoriales consacre donc l’idée de l’association des territoires locaux dans la perspective de créer des alliances de coopération qui prendront la forme d’organismes publics. En s’alliant les territoires ne poursuivent pas d’autre objectif que de créer un espace d’élaboration de projets communs à destination des populations. Pour ce qui concerne l’espace intercommunal, le Code général des collectivités territoriales dispose en son article L. 5210-1 : Le progrès de la coopération intercommunale se fonde sur la libre volonté des communes d’élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité.

L’article 5214-1 du Code général des collectivités territoriales dispose pour les communautés de communes : Elle a pour objet d’associer des communes au sein d’un espace de solidarité, en vue de l’élaboration d’un projet commun de développement et d’aménagement de l’espace.

Pour les communautés d’agglomération l’article 5216-1 alinéa 1er du Code général des collectivités territoriales indique : Ces communes s’associent au sein d’un espace de solidarité, en vue d’élaborer et conduire ensemble un projet commun de développement urbain et d’aménagement de leur territoire. Lorsque la communauté d’agglomération comprend un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville, ce projet commun intègre un volet relatif à la cohésion sociale et urbaine permettant de définir les orientations de la communauté d’agglomération en matière de politique de la ville et de renforcement des solidarités entre ses communes membres. Il détermine les modalités selon lesquelles les compétences de la communauté d’agglomération concourent aux objectifs de cohésion sociale et territoriale.

Enfin, pour la communauté urbaine, l’article L5215-1 alinéa 1er du Code général des collectivités territoriales prévoit : La communauté urbaine est un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave qui forment, à la date de sa création, un ensemble de plus de 250 000 habitants et qui s’associent au sein d’un espace de solidarité, pour élaborer et conduire ensemble un projet commun de développement urbain et d’aménagement de leur territoire. Lorsque la communauté urbaine comprend un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville, ce projet commun intègre un volet relatif à la cohésion sociale et urbaine permettant de définir les orientations de la communauté urbaine en matière de politique de la ville et de renforcement des solidarités entre ses communes membres. Il détermine les modalités selon lesquelles les compétences de la communauté urbaine concourent aux objectifs de cohésion sociale et territoriale.

En guise d’argument ultime, il nous est loisible d’évoquer le cas métropolitain pour parfaire l’idée de la normativisation de l’alliance territoriale en droit public français, singulièrement pour les collectivités municipales. Celui-ci reflète bien les progrès enregistrés d’une manière générale par les alliances inter-municipales ainsi que les attendus relatifs à la métropolisation urbaine.

Qu’on en juge donc par l’article L. 5217-1 du Code général des collectivités territoriales : La métropole est un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave au sein d’un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d’en améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional. Elle valorise les fonctions économiques métropolitaines, ses réseaux de transport et ses ressources universitaires, de recherche et d’innovation, dans un esprit de coopération régionale et interrégionale et avec le souci d’un développement territorial équilibré.

À la vérité, l’enracinement de l’intercommunalité dans l’architecture institutionnelle française dans un contexte de compétition économique mondiale démontre que les objectifs visés par l’article L. 5217-1 du Code général des collectivités territoriales valent pour toutes les formes d’intercommunalité. Notre appréciation est corroborée par les résultats de l’étude quinquennale économique consacrée à l’intercommunalité6.

Dans le cadre de notre étude consacrée à la communauté d’agglomération Cap Excellence en Guadeloupe7, à la lumière du projet de territoire, objet de l’analyse, il apparaît que les choix opérés mettent en évidence une stratégie d’alliance territoriale par la coopération intercommunale saisie pour une large part par l’économie, en s’appuyant sur le contenu de ce qui est permis par le droit positif pour envisager la prospective territoriale dans ce domaine.

Les bases économiques du droit de l’intercommunalité intégrative

À l’épreuve d’une lecture normative, la gouvernance territoriale appliquée aux établissements publics de coopération intercommunale (les EPCI) est immanquablement saisie par l’économie en général et le droit public économique en particulier que l’on peut définir comme comprenant « non seulement des règles qui régissent l’intervention de l’État et des autres personnes publiques dans l’économie, mais également de celles qui garantissent la liberté d’entreprendre ou de circulation »8.

Il ne fait pas de doute, qu’en raison de l’esprit et de la lettre du législateur dans sa manière d’envisager la structure même du droit de l’intercommunalité que les EPCI sont des personnes publiques qui agissent dans l’économie en favorisant par les compétences qui leur sont dévolues, l’entrepreneuriat.

Pour ce qui concerne les communautés d’agglomération, objet de notre propos, le législateur a fait le choix, en établissant le régime juridique des compétences des communautés d’agglomération de consacrer la compétence économique comme étant obligatoire9.

La volonté d’intégration intercommunale exprimée et imposée par le législateur est identifiable au travers de l’expression « exerce de plein droit au lieu et place des communes membres ». Dans le même temps, est poursuivi un dessein économique qui vise à élargir les territoires domestiques communaux, perçus dès lors comme des marchés pour maximiser les ressources et les gisements de croissance. Cette intercommunalité intégrative peut à certains égards être malaisée en Guadeloupe, en raison de ce que nous appelons « le nationalisme municipal ». Mais, celui-ci n’est pas pour autant un facteur de blocage dirimant de l’action intercommunale.

L’intercommunalité intégrative à l’épreuve de l’identité communale en Guadeloupe

Alain Richard décrit de forme belle manière ce qu’il conviendrait d’entendre par intercommunalité intégrative : « Des formes intégratrices d’intercommunalité sont offertes au choix des communes : le syndicat intercommunal à vocations multiples (sivom) et le district urbain. On entre dans une intercommunalité de conception nouvelle : au lieu d’établissements spéciaux constitués pour chaque mission, chacun avec son propre « tour de table » de communes, c’est une institution englobante, assumant plusieurs compétences communales groupées, qui sera l’outil fédératif des communes volontaires. C’est une unité territoriale qui se structure, elle fait apparaître l’idée de pays ou d’agglomération, une solidarité géographique qui crée un lien plus puissant entre les communes »10.

En Guadeloupe, l’installation de l’intercommunalité intégrative est particulièrement malaisée en raison de ce que nous avons qualifié de « nationalisme municipal »11. Les campagnes électorales pour élire les conseils municipaux sont l’occasion de mettre en avant une forme de mise en avant de l’identité communale. Par exemple, en Guadeloupe, les chances sont quasiment nulles pour un candidat qui n’est pas né dans la commune12, qui n’a pas grandi dans celle-ci, qui n’y a pas œuvré notamment dans les associations d’emporter la conviction de la majorité de l’électorat. Sa candidature pourrait même être considérée comme illégitime, s’il ne satisfait pas à ces conditions. Le critère de l’appartenance incontesté à la communauté humaine municipale13 constitue un argument politique déterminant pour être élu par le conseil municipal, et partant maire de la commune. Par conséquent, le phénomène dit du parachutage existant ailleurs sur le territoire national, singulièrement en France hexagonale est carrément inenvisageable.

Au diptyque ancien composé du territoire national et de l’unité nationale, le paradigme énoncé aujourd’hui est désormais articulé autour d’un triptyque qui n’est pas étranger au droit public et singulièrement au droit des collectivités territoriales : l’unité nationale, le territoire national et l’identité locale, qui, dans le cas est incarnée sur le plan politique et administratif par le maire. Le dernier volet du triptyque met en évidence, dans le cadre du droit de l’intercommunalité le paramètre de l’identité culturelle qui peut, parfois, conduire le droit à incurver sa vision première. L’enjeu réside, pour le bien commun, dans la restauration de la figure politique du maire ainsi que la « personnalité »14 de la communauté municipale dans l’ensemble national.

Au terme de dix années d’intercommunalité intégrative, le sujet du découpage administratif conscient ou ignorant de l’identité territoriale ou de la conscience identitaire des territoires locaux ne saurait être jugé comme mineur. Et ce, d’autant plus que dans certaines parties du territoire national, l’évocation du nationalisme municipal n’est pas impertinente.

L’efficacité voulue dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques intercommunales inclinent, nous semble-t-il, à poser le préalable de la convergence historique, de la continuité sociologique et culturelle entre les communes ainsi que le respect du pouvoir municipal dont le maire est le premier représentant.

Partant, l’identité territoriale des entités communales qui forment cet espace intercommunal peut être autant un catalyseur qu’un frein à l’entente intercommunale. L’intérêt communautaire sera d’autant plus aisé à trouver et à se former que le rapport au territoire sera envisagé comme « support identitaire »15. L’intercommunalité intégrative souhaitée par le législateur a précisément subi une inflexion par la loi du 27 décembre 2019 parce que contrairement à ce qui avait été imaginé, il est beaucoup plus difficile de faire périr par une écriture normative déconnectée de la réalité, le maire et la commune.

En effet, la collectivité municipale est le creuset de la représentation d’une identité collective qui manifeste l’appartenance de ces habitants à cette conscience spatiale partagée16. L’intérêt communautaire procède de la fédération des projets communaux et d’une vision convergente dans le respect du pouvoir municipal. Même les laudateurs d’une intercommunalité assise sur le modèle managérial constatent « qu’encadrer le monde rural dans des territoires pré-établis (...) comporte un réel danger de créer des unités artificielles ou politiques avant même de définir des projets fédérateurs (Kayser, 1994) »17. Cet aspect est d’une réelle importance car la vision économique est à la source de la nouvelle intercommunalité française.

La vision économique à la source de la nouvelle intercommunalité française

La mutation profonde de l’intercommunalité en France semble bien arrimée à des logiques économiques quantitatives et qualitatives. Pour ce qui concerne l’approche quantitative, il procède du raisonnement selon lequel l’intercommunalité, surtout intégrative, est un concours précieux à la rationalisation administrative et subséquemment, à la réduction de coûts budgétaires d’intervention des communes, prises isolément. L’aspect qualitatif est lié à la constitution de territoires plus élargis par l’agrégation de territoires municipaux permettant d’optimiser l’allocation des ressources. En d’autres termes, l’élargissement du territoire communal en territoire intercommunal est un préalable à la recherche de la dynamisation économique, sans perdre de vue l’amélioration du cadre de vie qui participe de l’accentuation de l’attractivité du territoire.

La loi no 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales18 comportait au moins deux objectifs fondamentaux qui font écho aux logiques économiques quantitatives et qualitatives. Le premier faisait le constat suivant : « la décentralisation s’est essentiellement focalisée sur les transferts de compétences mais n’a pas modifié les structures, sauf pour les ajouter les unes aux autres sans jamais retrancher, clarifier ou réorganiser ». Le second tient compte d’une réalité patente : « Près de 80 % des 64 millions de Français vivaient en ville en 2008 contre un sur deux en 1936. Le développement des grands ensembles urbains, du fait de la concentration des populations et des habitats, réclame des politiques globales de plus en plus intégrées. Il faut donc réduire le décalage qui s’est installé en zone urbaine entre les besoins de la population et le mode d’administration du territoire qui n’est plus suffisamment adapté. C’est l’objet de la création des métropoles, qui consacre la spécificité institutionnelle de nos grandes agglomérations en compétition avec leurs homologues européennes et internationales »19.

Par ailleurs la loi no 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM)20 donne davantage de consistance à l’intercommunalité intégrative en légalisant notamment le fait métropolitain, outil de développement économique dans un contexte de décloisonnement des frontières. Dans une question parlementaire posée21, M. Rachel Mazuir appelait l’attention de M. le Premier Ministre sur le projet de réforme portant nouvelle organisation territoriale de la République et indiquait : « la dévitalisation des conseils départementaux au profit des futures nouvelles régions et des intercommunalités prend forme via le transfert de compétences départementales, pourtant exercées jusqu’ici avec succès ». La réponse du Gouvernement est intéressante dans la mesure où celui-ci évoque, entre autres, la loi MAPTAM, comme élément structurant « de la réforme de l’organisation territoriale » qui vise à « soutenir les collectivités territoriales qui assurent une part prépondérante de l’investissement public et pour doter la France des équipements nécessaires à son attractivité économique et son développement »22.

La loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République23 finalise pour l’heure la boucle de la réforme territoriale en organisant une importante clarification dans la répartition des compétences en matière de développement économique. Les régions et les intercommunalités sont désignées comme les seuls niveaux d’intervention publique locale compétents en matière d’animation économique locale, au détriment des départements.

Les orientations économiques de Cap Excellence conforme à une intercommunalité intégrative dans le respect de l’identité communale

La communauté d’agglomération Cap Excellence, composée de trois importantes villes de la Guadeloupe (Les Abymes, Baie-Mahault, Pointe-à-Pitre) représente le premier bassin de population de la Guadeloupe. Il est présenté comme le territoire économique le plus important et performant de l’archipel guadeloupéen par son vivier d’activités et d’emplois. « Le territoire abrite un quart de la population Guadeloupéenne et la moitié des logements sociaux. Il concentre plus de 16 000 entreprises, 40 % des établissements marchands non agricoles, dispose de 18 Zones d’Activités Économiques, gérées en partenariat avec les trois villes membres et regroupe plus de 61 000 emplois, soit près de la moitié des emplois de Guadeloupe. Le territoire de cap Excellence accueille déjà les grands équipements structurants que sont le Grand Port Maritime de Guadeloupe, l’aéroport international Guadeloupe Pôle Caraïbes, le Centre Hospitalier Universitaire Pointe-à-Pitre/Les Abymes, le Pôle Guadeloupe de l’Université des Antilles ainsi que le Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage, le Mémorial ACTe. Son attractivité sera renforcée avec la réalisation d’autres projets structurants dans les trois villes membres, dont la Plateforme d’agro-transformation, baptisé « AgroPark Caraïbes Excellence » et le nouvel ensemble hospitalier (CHU) de la Guadeloupe »24. La mise en lumière de l’existant de la communauté d’agglomération présentée ci-avant, ne doit pas pour autant faire obstacle à l’évocation d’une création qui a été difficile, en raison du refus de la ville de Baie-Mahault d’adhérer à cet établissement public de coopération intercommunale sur injonction du Préfet de l’époque. Cet épisode traduisant bien l’indispensable respect de la volonté communale au sein de la structure intercommunale se voulant intégrative. Car elle est toujours en résistance vigilante.

Une constitution au forceps de la communauté d’agglomération CAP-EXCELLENCE

La ville de Baie-Mahault étant la porte d’entrée de la région du Nord-Basse Terre comprenant les villes de Lamentin, Sainte-Rose, Deshaies, Pointe-Noire, les élus municipaux de l’époque avaient considéré que sur la base de l’obligation légale d’adhésion à une structure intercommunale, le choix naturel était celui de la communauté d’agglomération du Nord-Basse-Terre. Ce n’était pas l’opinion du préfet de l’époque, Amaury de Saint-Quentin qui a jugé que la ville de Baie-Mahault présentait davantage de convergences avec les deux autres grandes villes centres de la Guadeloupe, Pointe-à-Pitre (ancien chef-lieu économique de la Guadeloupe) et Les Abymes (ville la plus peuplée de la Guadeloupe), et de ce fait, le critère de constitution de la communauté d’agglomération Cap Excellence ne devait pas être gouverné par la géographie, mais bien par l’économie en vue de créer un centre d’attraction fort sur le territoire de l’archipel guadeloupéen.

En effet, la ville de Baie-Mahault accueille sur son territoire, la zone industrielle de Jarry-Moudong (1000 hectares). Dans cette zone est implantés le Port Autonome de la Guadeloupe, le Complexe World Trade Center, des terminaux pétroliers, deux centrales électriques thermiques ainsi que plus de 3 500 sièges d’entreprises et d’administration.

Située entre l’aéroport et le port, la zone industrielle bénéficie d’un réseau de communication élevé et est au centre du bassin de population de l’agglomération pointoise (environ 150 000 habitants). Les souhaits contrastés de l’administration locale et de l’administration déconcentrée ont conduit la collectivité municipale de Baie-Mahault à saisir le Tribunal Administratif de la Guadeloupe dans le cadre d’un référé-suspension. Dans une décision rendue le 15 février 2013, le juge administratif a estimé qu’il n’y avait pas d’urgence à suspendre la décision préfectorale du 29 novembre 2012 intégrant la commune de Baie-Mahault dans le périmètre de la communauté d’agglomération de Cap Excellence. Le juge des référés avait conclu qu’au vu des pièces du dossier, « qu’était démontré un intérêt public plus important à l’exécution immédiate de la décision préfectorale ». Le recours en annulation n’a pas davantage prospéré. C’est ainsi que naquit la communauté d’agglomération de Cap Excellence qui indique à dessein, vraisemblablement en raison de cette constitution au forceps unique sur le territoire de la Guadeloupe ce qui représente l’axe directeur de sa méthode : « …réunies en communauté d’agglomération, les villes ne perdent ni leur autonomie, ni leur identité… »25. C’est bien conformément, à cet axiome méthodologique que les projections territoriales sont pensées y compris le dernier projet de territoire.

Des stratégies économiques globales aux stratégies particulières et territorialisées

La stratégie territoriale qui émerge des conseils communautaires est « débattue politiquement »26. Les intercommunalités ont alors tendance à structurer « leurs actions, en passant d’une somme d’actions en direction des entreprises à une stratégie pluriannuelle dédiée afin d’articuler et de clarifier leurs actions ». L’objectif poursuivi consiste à avoir une vision du territoire, et non pas simplement l’exécution de compétences locales telles que définies par la loi. Si les divers cadres intercommunaux sont doctement organisés par le législateur et le pouvoir réglementaire, les stratégies sont territorialisées pour tenir compte du principe de réalité. En effet, parce que « les stratégies économiques sont désormais un enjeu local majeur, celles-ci sont débattues de façon croissante par les élus des conseils communautaires. Ainsi, on constate que 63 % des intercommunalités ont délibéré ou envisagent de le faire pour acter juridiquement cette stratégie économique ».

Dans le projet de territoire de Cap Excellence, apparaissent également les aspects sus-évoqués : la formulation d’un discours politique original, l’approche territorialisée propre au principe de réalité de la Guadeloupe et la vision prospective et stratégique. En effet, le président de la communauté d’agglomération s’exprime ainsi : « L’adoption du projet de territoire est un moment important dans la vie de Cap Excellence. Le moment où nous nous projetons ensemble dans l’agglomération de ces prochaines années et où nous nous donnons les moyens d’atteindre les objectifs fixés. Le vieillissement de la population guadeloupéenne, la fin du modèle économique de la croissance linéaire et de l’exploitation infinie de ressources finies, la très forte réduction dans la disponibilité et l’utilisation des énergies fossiles, le retrait du trait de côte et la multiplication des événements climatiques extrêmes induits par le changement climatique, les nouvelles formes de coopération, mais aussi de compétition, entre acteurs pour concevoir et déployer les politiques publiques... tous ces éléments ne sont plus des hypothèses de travail. Ce sont désormais des certitudes, si ce n’est des réalités bien palpables et souvent douloureuses »27.

Le contenu de la stratégie économique de Cap Excellence repose sur un préalable à l’action publique qui est l’observation (économétrie, sociologie, écologie), et ce, pour rompre avec les interventions au « coup par coup ». L’observatoire économique territorial joue à cet égard un rôle capital pour les domaines afférents au foncier et à l’immobilier d’entreprises, étant entendu que le cœur de la stratégie économique de la puissance publique intercommunale est le soutien au développement des structures de production, adossé à un spectre plus large qui comprend les politiques d’insertion, d’emploi et de formation professionnelle28.

À la suite du préalable qui met en lumière l’ingénierie locale, on en arrive à l’effectivité de l’action avec un objectif clair : « Bâtir un modèle économique viable », qui « pour l’agglomération vise le développement pérenne et adapté des activités sur le territoire, avec comme objectifs prioritaires, la redynamisation des zones d’activité économique (ZAE), du centre-ville de Pointe-à-Pitre et des bourgs des Abymes et de Baie-Mahault, mais aussi le développement de filières économiques résilientes et performantes (économie verte, économie bleue, économie sociale et solidaire, culture, sport...), sur le territoire communautaire ». Par ailleurs, il s’agit pour la puissance publique intercommunale de valoriser d’une part, « le potentiel industriel, agricole et touristique aujourd’hui sous-exploité », et d’autre part, saisir « les opportunités offertes par les économies verte et bleue, mais aussi par l’économie sociale et solidaire, par la culture et le sport »29.

L’approche de territorialisation et de différenciation territoriale rythme le projet de territoire de Cap Excellence. Pour autant, la limite à l’ambition locale réside dans une certaine mesure dans le droit positif du droit intercommunal qui constitue un facteur d’uniformisation de l’action publique intercommunale, ce qui permet au rapport sur « l’intercommunalité : partenaire incontournable du développement local »30 de conclure à une vision qui peut-être globale : « les intercommunalités peuvent mobiliser ces aides pour orienter les entreprises de leur territoire vers des stratégies de décarbonation, d’implantation pérenne, ou encore d’amélioration de la qualité de l’emploi. À ce stade, 33 % des intercommunalités utilisent des critères pour orienter leur action économique vers la décarbonation des entreprises. Les communautés de communes et les communautés d’agglomération utilisent encore peu de critères d’attribution de leurs aides économiques en lien avec le développement durable. De manière générale, la priorité reste souvent donnée au nombre d’emplois créés et sauvegardés (58 % des intercommunalités en moyenne et 100 % du grand urbain) et à la pérennité des emplois créés (37 % des intercommunalités). Toutefois, 78 % des intercommunalités du grand urbain déclarent intégrer le développement durable dans leurs critères d’attribution des différentes aides ».

Il est particulièrement édifiant de lire dans le rapport, déjà évoqué, consacré à l’intercommunalité les phrases qui suivent : « le développement économique de nos territoires doit rester l’une des grandes priorités nationales, mais seule une croissance robuste, décarbonée et respectueuse de notre environnement, permettra d’effectuer la synthèse entre essor économique, grands défis écologiques et équilibre budgétaire… Les intercommunalités de France souhaitent que les questions d’emploi, d’insertion professionnelle et de formation tout au long de la vie soient une priorité. C’est de fait au cœur de nos bassins d’emploi, au plus près des entreprises et des lieux de formation, que doivent se construire les solutions d’insertion et d’apprentissage, mais aussi les parcours de formation initiale et continue, dans le cadre d’une stratégie régionale »31. Cette manière de voir coïncidence avec les perspectives du projet de territoire de Cap Excellence composé des trois villes que sont les Abymes32, Baie-Mahault33 et Pointe-à-Pitre34.

Pierre-Yves Chicot

1 JORF du 29 mars 2003.

2 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, JORF du 3 mars 1982.

3 C. GALLEZ Caroline, L’intercommunalité dans la régulation publique territoriale. Le cas de deux communautés d’agglomération franciliennes », Géographie, économie, société, 2014/2 (Vol. 16), p. 183-206.

4 P. BEZES, & P. LE LIDEC, L’hybridation du modèle territorial français : RGPP et réorganisations de l’Etat territorial, Revue française d’administration publique, 2010, n°136, 919-942.

5 R. PASQUIER, Quand le local rencontre le global : contours et enjeux de l’action internationale des collectivités territoriales. Revue française d’administration publique, 2012, n°141, 167-182.

6 L’intercommunalité : partenaire incontournable du développement local, septembre 2022, ADCF, 80 p. file:///Users/chicotpierreyves/Downloads/ADCF_ETUDE_ENQUETE-ECO_22_WEB_10_22.pdf

7 CAP EXCELLENCE est créée le 30 décembre 2008 et regroupe, à l’origine, Pointe-à-Pitre et les Abymes. En 2014, année de complétude de la carte inter-communale de la Guadeloupe, la communauté est élargie à la ville de Baie-Mahault. CAP EXCELLENCEest donc une jeune communauté d’ag-glomération. À titre de comparaison, la Commu-nauté Intercommunale du NORd de La Réunion (CINOR) et la Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) sont créées respectivement en 2000 et 2001.

8 V. P. DELVOLVE, Droit public de l’économie, Dalloz, 2021, 816 p.

9 L’article L 5216-5 du Code général des collectivités territoriales : I. – La communauté d’agglomération exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences suivantes : 1° En matière de développement économique : actions de développement économique dans les conditions prévues à l’article L. 4251-17 ; création, aménagement, entretien et gestion de zones d’activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire ; politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d’intérêt communautaire ; promotion du tourisme, dont la création d’offices de tourisme.

10 A. RICHARD, L’intercommunalité : menace ou atout ? Pouvoirs, 2014, 148, pp. 57-70 ;

11 V. PY CHICOT, L’identité des communes à l’épreuve de l’écriture normative de l’intercommunalité : le dépérissement du maire, exécutif de la collectivité territoriale, in, Droit et gestion des collectivités territoriales, Le retour des maires, 2020, GIS-GRALE, Edition le Moniteur, pp. 99-113.

12 Plus exactement qui n’a pas son nombril enfoui au pied d’un arbre, généralement un cocotier, qui se trouve évidemment sur le territoire de la commune. Il s’agit d’une ancienne pratique culturelle, aujourd’hui disparue mais qui reste très forte dans la symbolique verbale pour exprimer l’enracinement communal.

13 C. BACOYANNIS, Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales, Economica, 1993, 322 p.

14 Entendue dans son acception Bergsonnienne : la conscience de soi ; la mémoire et l’atavisme ; la manière d’anticiper le futur. C. RIQUIER, Bergson et le problème de la personnalité : la personne dans tous ses états, Les Études philosophiques, vol. 81, no. 2, 2007, pp. 193-214.

15 On évoque l’identité du territoire quand on cherche à mettre en évidence les données concrètes d’un espace géographique, son site, son patrimoine, les caractéristiques culturelles partagées de ses habitants. Parler d’identité par le territoire revient à évoquer la contribution d’un lieu érigé en territoire à la formation d’une identité personnelle : « le lien spirituel avec le sol se crée dans l’habitude héréditaire de la cohabitation » écrivait F. Ratzel (1897). F. GUERIN-PACE, Y. GUERMOND, Identité et rapport au territoire, L’Espace géographique, vol. tome 35, no. 4, 2006, p. 289.

16 À titre d’exemple en Guadeloupe et dans les autres collectivités françaises d’Amérique, il y a un lien direct entre le patronyme et le rattachement historique à une commune.

17 J. CHABOCHE et G. BAUDELLE, op. cit. p. 103.

18 JORF, 17 décembre 2010.

19 LOI n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, Exposé des motifs, https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000021182818/?detailType=EXPOSE_MOTIFS&detailId=

20 JORF, 28 janvier 2014.

21 Question écrite n° 12826 de M. Rachel Mazuir (Ain - SOC), publiée dans le JO Sénat du 07/08/2014, page 1847.

22 Réponse du Secrétariat d’État, auprès du ministère de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale, publiée dans le JO Sénat du 28/01/2016, page 347.

23 JORF, 8 août 2015.

24 http://www.capexcellence.net/accueil/ma-communaute/469-le-territoire-de-cap-excellence

25 https://www.capexcellence.net/accueil/ma-communaute/186-historique

26 L’intercommunalité : partenaire incontournable du développement local, op. cit. pp. 16-18.

27 Projet de territoire de CAP-EXCELLENCE, p. 4.

28 Il convient de rappeler l’article L1511-3 du Code général des collectivités territoriales qui autorise les métropoles et les EPCI à fiscalité propre à octroyer des aides à l’immobilier d’entreprise :

28Dans le respect de l’article L. 4251-17, les communes, la métropole de Lyon et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont seuls compétents pour définir les aides ou les régimes d’aides et décider de l’octroi de ces aides sur leur territoire en matière d’investissement immobilier des entreprises et de location de terrains ou d’immeubles.

28Ces aides revêtent la forme de subventions, de rabais sur le prix de vente, de location ou de location-vente de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés, de prêts, d’avances remboursables ou de crédit-bail à des conditions plus favorables que celles du marché. Le montant des aides est calculé par référence aux conditions du marché, selon des règles de plafond et de zone déterminées par voie réglementaire. Ces aides donnent lieu à l’établissement d’une convention et sont versées soit directement à l’entreprise bénéficiaire, soit au maître d’ouvrage, public ou privé, qui en fait alors bénéficier intégralement l’entreprise.

28La région peut participer au financement des aides et des régimes d’aides mentionnés au premier alinéa du présent article dans des conditions précisées par une convention passée avec la commune, la métropole de Lyon ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.

28Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, par voie de convention passée avec le département, lui déléguer la compétence d’octroi de tout ou partie des aides mentionnées au présent article.

28Les commissions dues par les bénéficiaires de garanties d’emprunt accordées par les établissements de crédit ou les sociétés de financement peuvent être prises en charge, totalement ou partiellement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Cette aide ne peut pas être cumulée, pour un même emprunt, avec la garantie ou le cautionnement accordé par une collectivité ou un groupement.

28Les aides accordées sur le fondement du présent article ont pour objet la création ou l’extension d’activités économiques.

29 Projet de territoire de CAP-EXCELLENCE, p. 10.

30 L’intercommunalité : partenaire incontournable du développement local, op. cit. p. 31.

31 S. MARTIN, Président d’intercommunalités France, L’intercommunalité : partenaire incontournable du développement local, op. cit. p. 4.

32  Avec 52 948 habitants en 2020, Les Abymes est la commune la plus peuplée de Guadeloupe. S’étendant sur 81,3 km2 de superficie totale, la commune des Abymes est située à l’ouest de la Grande-Terre.

33 Baie-Mahault est la deuxième ville la plus peuplée de la Guadeloupe après Les Abymes. La zone industrielle et commerciale de Jarry-Moudong située sur le territoire de Baie-Mahault est considérée comme le poumon économique de la Guadeloupe avec 3 500 entreprises et près de 15 000 emplois. Avec 46 km2 de superficie totale1, la commune de Baie-Mahault est située à l’est de la Basse-Terre.

34 Habitée en 2020 par 14 498 personnes, la commune est, avec celle voisine des Abymes, au sein d’une unité urbaine de 250 129 habitants (soit la 26e de France) et d’une aire d’attraction de 312 630 habitants (soit la 40e de France). S’étendant sur seulement 2,7 km2 de superficie totale, la commune de Pointe-à-Pitre est située à l’ouest de la Grande-Terre, face à la rade ouverte sur la mer des Caraïbes et idéalement placée au centre de la Guadeloupe à la jointure entre la Grande-Terre et la Basse-Terre. La ville, construite sur des marécages, a gagné du terrain sur la mer. C’est une ville de basse altitude située au bord d’une mangrove. Elle détient son propre port de croisière.