Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

L'autonomie financière locale traverse les 40es rugissants

Acheter - 4 €

Le 40e anniversaire de la loi du 2 mars 1982 est célébré dans une période mouvementée. Depuis cette date, des vents contraires font tanguer l’autonomie financière locale. La 1re grande marée a élevé le niveau de l’autonomie financière locale en émancipant les collectivités territoriales et la 2e grande marée l’a surélevé en constitutionnalisant leurs prérogatives financières. Mais la 3e grande marée l’a baissé en recentralisant leurs compétences fiscales et la 4e l’a rabaissé avec la contractualisation financière. Pour l’avenir, quatre signes sont annonciateurs d’une nouvelle tempête. Premier signe, de nouvelles règles de désendettement vont être imposées par l’Union européenne. Deuxième signe, les contrats de plafonnement des dépenses locales pourraient être généralisés par l’État. Troisième signe, la CVAE devrait être supprimée par l’État. Quatrième signe, les nouveaux indicateurs financiers vont générer des effets de bord dans le calcul des dotations et des fonds de péréquation.


 

L’autonomie financière locale traverse les 40es rugissants !1 Si la dernière décennie fut loin d’être un long fleuve tranquille pour la libre administration des collectivités territoriales françaises, le 40e anniversaire de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 a été célébré au cours d’une période également mouvementée pour leurs prérogatives financières…

Durant les dernières années, les communes, les départements et les régions ont été à plusieurs reprises chahutés par les grandes marées législatives de la réorganisation territoriale et de la spécialisation fonctionnelle. La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales consacrait la limitation de la clause de compétence générale des départements et des régions à compter de 2015, l’instauration des conseillers territoriaux, la création des métropoles et l’achèvement de l’intercommunalité. Par des vents contraires, la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 supprima les futurs conseillers territoriaux et la loi MAPAM2 n° 2014-58 du 27 janvier 2014 restaura la clause de compétence générale des départements et des régions. Nonobstant, elle fut définitivement submergée par la loi NOTRe3 n° 2015-991 du 7 août 2015. La loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 a, par ailleurs, causé un raz-de-marée en réduisant de 22 à 13 le nombre de régions métropolitaines. Les tensions entre l’État et les collectivités territoriales ont ultérieurement été mises en exergue par les revendications profondes exprimées à partir du 17 novembre 2018 par le mouvement des gilets jaunes. Elles furent, aussi, exacerbées par les répercussions socio-économiques de la crise sanitaire persistante. Subséquemment désireux d’une territorialisation plus efficiente des politiques publiques, les élus locaux plaident de nos jours pour une contractualisation financière pluriannuelle et une déconcentration énergique tout particulièrement du plan de relance4.

Selon les marins, « sous 40 degrés, il n'y a plus de loi, mais sous 50 degrés, il n'y a plus Dieu ». Cette citation métaphorique exprime bien les vents de plus en plus forts qui font tanguer l’autonomie financière locale depuis la loi du 2 mars 1982. Le pouvoir central a déjà proposé aux élus locaux de s’engager dans la voie de la différenciation territoriale à droit constitutionnel constant5 afin de tenir compte des spécificités locales. Ce nouveau cap permet de contourner les obstacles politique et juridique d’une révision constitutionnelle. Pour autant, d’autres écueils continuent d’inquiéter les élus locaux. Les zones les plus menaçantes concernent l’autonomie financière locale. Les tensions avec l’État sont exacerbées par l’inflation consécutive à la guerre en Ukraine. Heureusement sur le court terme, le brouillard tend à s’estomper avec la stabilisation des dotations de l’État au niveau de l’année 2021, en l’occurrence 28,6 milliards d’euros, sous réserve d’une augmentation appréciée de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) de 95 millions d’euros chacune. De plus, selon le baromètre n° 6 de l’impact du covid-19 sur les finances locales du 30 septembre 20216, l’année 2022 devrait être marquée par un rebond significatif de 2,4 % des recettes réelles des collectivités territoriales et de leurs dépenses d’investissement grâce au déploiement exceptionnel de 2,3 milliards d’euros pour les dotations d’investissement. Par contre, demeure toujours le risque d’une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette recette s’avère, en effet, volatile. Or, les collectivités territoriales sont dépendantes de cette ressource fiscale liée à la conjoncture économique à l’exception des régions dorénavant bénéficiaires d’une fraction de TVA en remplacement de la CVAE.

Durant la campagne pour les élections présidentielles, le candidat Emmanuel Macron a annoncé qu’il réformerait les finances locales s’il était réélu. À l’aube de son second quinquennat, cette ligne d’horizon menace l’autonomie financière locale malgré la position minoritaire de la coalition Ensemble. Compte tenu des résultats des élections législatives des 12 et 19 juin 2022, elle est privée de la majorité absolue fixée à 289 voix mais aussi de la majorité relative. Par la force des éléments, de nouvelles relations vont donc se nouer entre le Président de la République Emmanuel Macron, son gouvernement minoritaire et l’Assemblée nationale dont la composition s’avère hétéroclite avec la percée des extrêmes à gauche et à droite de l’échiquier politique. La chambre basse est ainsi atomisée entre les 131 sièges de la NUPES, les 22 sièges des divers gauche, les 10 sièges des régionalistes, les 245 sièges d’Ensemble, les 4 sièges des divers centre, les 3 sièges d’UDI, les 61 sièges des Républicains, les 10 sièges des divers droites, le siège de la droite souverainiste, les 89 sièges du Rassemblement national et 1 siège divers.

« La constitution, toute la constitution, rien que la constitution ». Cette célèbre citation de François Mitterrand, prononcée le 8 avril 1986 à l’aube de la première cohabitation, va devenir la règle du jeu du second quinquennat d’Emmanuel Macron, au moins pendant un certain temps… À l’image de François Mitterrand et de son gouvernement minoritaire dirigé par Michel Rocard en 19887, le président de la République va devoir encore plus composer et mieux respecter le Parlement s’il désire réformer les finances locales.

Le 40e anniversaire de la loi 2 mars 1982 est ainsi célébré dans une période mouvementée. Depuis cette date, des vents contraires font tanguer l’autonomie financière locale. Dorénavant, elle traverse les 40es rugissants, c’est-à-dire une zone8 où la mer demeure agitée par la force des vents.

Les variations déjà enregistrées du niveau de l’autonomie financière locale

Les élus locaux ne veulent pas s’engager dans les 50es hurlants et encore moins dans les 60es déferlants. Toutefois, conscients de la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, ils plaident pour une contractualisation financière pluriannuelle excluant les dépenses de fonctionnement liées à leurs investissements. Certains craignent d’être engloutis par la recentralisation financière à tort ou à raison dans la mesure où dans le passé le niveau de l’autonomie financière locale a varié du plus haut au plus bas au gré des flux et reflux de quatre grandes marées.

L’émancipation des collectivités territoriales avec la 1re grande marée

Le 27 juillet 1981, Gaston Defferre alors Ministre de l’Intérieur annonçait : « il est enfin temps de donner aux élus des collectivités territoriales la liberté et la responsabilité dans le cadre de la loi ». Pour garantir leur liberté, la loi du 2 mars 1982 a supprimé la tutelle exercée jusqu’alors de manière a priori, a posteriori, en opportunité et en légalité par les préfets sur tous les actes des collectivités territoriales. En contrepartie, pour garantir leur responsabilité, un contrôle a posteriori est exercé par le juge administratif et les chambres régionales des comptes (CRC) sous l’emprise du préfet.

Instaurées par l'article 84 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 pour compenser la suppression de la tutelle financière, les CRC ont été habilitées à exercer trois contrôles de nature différente mais dont la portée s’avère pour chacun d’entre eux relative. Premièrement, les répercussions du contrôle budgétaire paraissent bien faibles si, le cas échéant, le préfet s’écarte de manière motivée des recommandations des experts financiers pour régulariser une situation budgétaire irrégulière. Cette relative portée de leurs avis s’explique par la volonté politique du gouvernement d’exclure en 1982 toute tutelle même juridictionnelle et par la formulation explicite de l’article 72 de la constitution en vertu duquel le préfet a « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». Deuxièmement, le contrôle de gestion opéré a posteriori pour vérifier l’emploi des fonds publics et informer le pouvoir central, les contribuables locaux et les assemblées délibérantes des collectivités territoriales9 a été encadré pour censurer l’interprétation extensive pratiquée par les CRC et contestée avec virulence par les exécutifs locaux. Ainsi, si en 1982, le contrôle de gestion concernait le bon emploi des fonds publics. Sous la pression des élus locaux, il fut délimité dès 1988 à l’emploi régulier pour exclure tout contrôle d’opportunité. Troisièmement, les conséquences du contrôle juridictionnel en premier ressort des comptes des comptables patents et de fait des collectivités territoriales et des établissements publics locaux ont été allégées par la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 pour tenir compte de la consécration de la liberté de gestion des ordonnateurs par la loi organique n° 2001-659 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Les collectivités territoriales ont ainsi bénéficié à partir de 1982 d’une émancipation relative en matière financière. Avec la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 et l’ordonnance du 23 mars 2022, la responsabilité financière des gestionnaires devient encore plus illusoire.

La constitutionnalisation des prérogatives financières avec la 2e grande marée

La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 a gravé dans le marbre constitutionnel les notions de ressources propres et de part déterminante. Mais la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 les a interprétées de manière extensive. Tout d’abord, le Parlement intègre parmi les ressources propres des ressources pour lesquelles les collectivités territoriales sont privées de levier fiscal. Sur le fondement de l’article LO 1114-2 du Code général des collectivités territoriales, « au sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. Pour la catégorie des communes, les ressources propres sont augmentées du montant de celles qui, mentionnées au premier alinéa, bénéficient aux établissements publics de coopération intercommunale. »

Ensuite, la part déterminante correspond seulement au seuil plancher constaté en 2003 par catégorie de collectivités territoriales. Ainsi, l’État doit garantir 60,8 % pour le bloc communal, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Puis, la coque de l’autonomie financière locale a été fissurée à l’occasion de contentieux. Le Conseil constitutionnel a déduit de l’article 72-2 de la Constitution l’absence d’une autonomie fiscale locale dans la décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009. De plus, le Conseil d’État entérine l’obligation de compensation financière par l’État aux seuls transferts, créations et extensions des compétences obligatoires des collectivités territoriales dans l’arrêt du 29 octobre 2010 Département de la Haute-Garonne.

La portée de l’article 72-2 de la constitution a été neutralisée par le caractère unitaire de l’État français. Sous l’empire de l’article 1er de la Constitution, la France reste une République indivisible dont l’organisation a seulement été décentralisée par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. D’ailleurs, en vertu de l’article 34 de la Constitution, le Parlement est toujours habilité à fixer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. Compte tenu de cette relative protection juridictionnelle, les prérogatives fiscales des collectivités territoriales ont ensuite été aspirées par un courant de recentralisation.

La recentralisation des compétences fiscales avec la 3e grande marée

La taxe professionnelle a été supprimée par la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 pour supprimer ses effets négatifs sur la croissance économique. Sous l’empire du ratio de l’autonomie financière locale, le Parlement a dû compenser la disparition de cet impôt direct local le plus rentable d’ailleurs pour les collectivités territoriales.

Avec l’effet d’une lame de fond, il a créé un panier de ressources fiscales, composé de la contribution économique territoriale (CET) et des impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux (IFER). Or, la plupart des collectivités territoriales sont privées de la prérogative de moduler leur taux ou leur assiette. Seul le bloc communal est habilité à voter le taux de la cotisation foncière des entreprises (CFE), l’une des deux composantes de la contribution économique territoriale. S’agissant de sa seconde composante dénommée CVAE, et des IFER, leurs taux sont votés par le Parlement. L’autonomie fiscale locale fut ainsi submergée10.

Dans le but de modérer la pression fiscale locale, l’État a également supprimé le levier fiscal des régions puis des départements sur les taxes d’habitation11 et les taxes foncières12. En contrepartie, ils reçoivent une fraction de TVA sur laquelle ils n’ont aucune prise. Depuis 2021, les départements perçoivent aussi une fraction de TVA pour compenser le transfert de leur ancienne part de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) aux communes dans le cadre de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales impulsée par la loi de finances pour 201813.

Certes, l’article 32 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 organise la révision des valeurs locatives mais elle ne provoque aucun levier fiscal pour les collectivités territoriales à cause du coefficient de neutralisation retenu par le Parlement pour enrayer toute progression des ressources fiscales locales. De plus, la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a instauré un mécanisme de dégrèvement progressif des cotisations de taxe d’habitation pour les résidences principales de 80 % des foyers les moins aisés. En outre, la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 lisse à l’horizon 2023 la disparition effective de la taxe d’habitation sur les résidences principales des 20 % des foyers les plus aisés. À terme, seule la taxe d’habitation sur les résidences secondaires profitera donc au bloc communal. Au-delà de ces suppressions de leur levier fiscal, les collectivités territoriales doivent désormais contribuer au redressement des finances publiques.

La contractualisation financière avec la 4e grande marée

L’article L. 1612-4 du Code général des collectivités territoriales interdit aux collectivités territoriales d’emprunter pour financer des dépenses de fonctionnement ou pour rembourser un emprunt14. De plus, si leur budget primitif est voté en déséquilibre réel ou si leur compte administratif est voté en déficit, le préfet saisira la CRC. Le cas échéant, elle pourra l’inviter à se substituer d’office à la collectivité territoriale en cause. Grâce à cette application rigide du principe d’équilibre budgétaire, les collectivités territoriales contribuaient - avant la pandémie de Covid-19 - à plus de 70 % au financement de l’investissement public français. Néanmoins, afin de résorber le déficit public de la France, les collectivités territoriales ont été soumises à une discipline financière. Cette contrainte se justifie par le Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne du 7 juillet 1997 prohibant tout déficit public supérieur à 3 % du PIB.

De surcroît, la loi n° 2012-1171 du 22 octobre 2012 a ratifié le traité de stabilité, de coordination et de gouvernance (TSCG) en vertu duquel le solde annuel structurel de toutes les administrations publiques doit être inférieur ou égal à 0,5 % du PIB. À l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’objectif d’équilibre des comptes de toutes les administrations publiques a été introduit dans l’article 34 de la constitution française.

Grâce aux lois de programmation des finances publiques, une concertation est organisée entre le gouvernement et le Parlement15. À cette fin, le gouvernement lui présente chaque année, au plus tard le premier mardi d’octobre, la prévision annuelle de coût retenue pour les dépenses fiscales de l’exercice à venir et de l’exercice en cours, ainsi que le montant de dépenses fiscales constaté pour le dernier exercice clos. Il lui soumet également, au plus tard le 15 octobre, « la prévision annuelle de coût retenue pour l'exercice à venir et l'exercice en cours des réductions, exonérations ou abattements d'assiette s'appliquant aux cotisations et contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale ou aux organismes concourant à leur financement, ainsi que le montant du coût constaté, pour le dernier exercice clos, de ces réductions, exonérations ou abattements ». En outre, le gouvernement communique au Parlement, dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur de toute mesure mentionnée précédemment, une évaluation de son efficacité et de son coût. Enfin, il adresse aux assemblées parlementaires le projet de programme de stabilité, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne. Le Parlement est ensuite invité à débattre et à se prononcer par un vote sur ledit projet.

Dorénavant, le gouvernement doit aussi transmettre au Parlement, chaque année avant le débat d’orientation des finances publiques, un bilan de la mise en œuvre de la loi de programmation des finances publiques, qui justifie, le cas échéant, les écarts constatés entre les engagements pris dans le dernier programme de stabilité transmis à la Commission européenne et la mise en œuvre de cette loi. Sur la base de l’article 15 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, ce bilan doit être dressé dans un document unique et rendu public. Ce dossier mentionne l’évolution des dépenses, au périmètre de l’année précédente et au sens de la comptabilité nationale, de l’État, des organismes divers d’administration centrale, des administrations publiques centrales, des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales. Si un risque sérieux est susceptible de remettre en cause les objectifs d’évolution des dépenses de chaque catégorie d’administrations publiques, l’État précise les mesures qu’il va prendre pour tenir ses engagements chiffrés pour l’année en cours et les années à venir. Le législateur a tenu compte du caractère aléatoire des opérations budgétaires prévues par la loi de programmation des finances publiques. D’un côté, le financement des dépenses de l’État et des régimes obligatoires de base de sécurité sociale est garanti par la possibilité de compenser leur progression par des mesures nouvelles. D’un autre côté, une réduction desdites dépenses sera opérée si le niveau cumulé des mesures nouvelles en recettes s’avère inférieur au montant attendu.

Par ailleurs, la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a fixé un objectif national d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement. Un plafonnement de 1,2 % a été appliqué à 321 grandes collectivités territoriales et leurs groupements16. Mais il a été suspendu durant l’exercice budgétaire 2020 en raison de l’état d’urgence sanitaire. Dans l’attente du vote d’une nouvelle loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, l’application des contrats de Cahors a été reportée sine die après les élections législatives.

Même si ce répit était de courte durée, le Conseil constitutionnel a censuré la reconduction à un niveau identique année après année des prélèvements opérés par l’État au titre du redressement des finances publiques sur les compensations d’exonérations de fiscalité locale ou les recettes de fiscalité d’établissements publics à fiscalité propre. Cette absence de possibilité d’ajuster le montant du prélèvement portait une atteinte caractérisée à l’égalité devant les charges publiques17. Par conséquent, les modalités de modulation ont été précisées par le décret n° 2021-1291 du 4 octobre 2021 relatif aux dotations de l'État aux collectivités territoriales et à la péréquation des ressources fiscales. Le niveau de l’autonomie financière locale est, ainsi, passé du plus haut au plus bas et a priori il devrait encore baisser sous l’influence des réformes annoncées...

Les variations déjà projetées du niveau de l’autonomie financière locale

Pour l’avenir, l’autonomie financière locale va-t-elle être emportée par un tsunami durant le second quinquennat d’Emmanuel Macron ? Quatre signes sont annonciateurs d’une nouvelle tempête.

Le cap de l’adoption de nouvelles règles de désendettement par l’Union européenne

Avec la suspension provisoire des règles européennes de discipline budgétaire et l’application transitoire de la politique du « quoi qu’il en coûte » en France18, le déficit atteint 6,5 % du PIB malgré le plafond à respecter de 3 % et la dette atteint 112,9 % malgré le plafond à respecter de 60 %. À l’avenir, des objectifs à moyen terme de dépenses et de dette devraient être appliqués aux collectivités territoriales.

L’exécution des budgets locaux en 2021 s’avère, en effet, encourageante avec une amélioration de 2,3 % de l’épargne brute du bloc communal par rapport à 2019 au profit essentiellement des communes de moins de 3 500 habitants. La situation est également meilleure pour les départements. Grâce aux droits de mutation à titre onéreux, leur épargne brute bondit de 22,1% par rapport à 2019. Ce dynamisme fiscal présente d’un côté l’avantage de limiter l’impact de l’inflation sur les finances locales et d’un autre côté l’inconvénient d’attirer les convoitises car la France doit contenir dans leur globalité les dépenses de toutes les administrations publiques.

Le cap de la généralisation des contrats de plafonnement des dépenses locales

Le rapport remis le 23 mars 2021 par la Commission pour l’avenir des finances publiques préconise d’élargir la contractualisation au plus grand nombre de collectivités territoriales possible et de l’étendre aux budgets annexes et aux syndicats des collectivités. Avant d’être reconduit dans ses fonctions de ministre des Finances, Bruno Le Maire a soutenu l’idée d’une planification plus contraignante avec comme boussole une hausse des dépenses publiques inférieure à celle des recettes publiques. Dans un premier souffle, le rapport d’évaluation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)19, présenté le 11 septembre 2019 par les députés Laurent Saint-Martin et Éric Woerth, préconisait déjà, d’une part, une norme pluriannuelle avec des montants de dépenses exprimés en milliards et non pas en point de produit intérieur brut, et d’autre part, de distinguer les dépenses de fonctionnement des dépenses d’investissement en les ventilant pour chaque programme et chaque mission. Dans un autre souffle, la Cour des comptes a recommandé très explicitement « une articulation nécessaire entre les contributions à la relance et au redressement des finances publiques » dans son rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales de novembre 2021.

Le candidat Emmanuel Macron a annoncé qu’il demanderait — s’il était réélu20 et c’est le cas — aux collectivités territoriales 10 milliards d’euros d’économies pour contribuer au redressement des finances publiques soit une contribution de 50 %. Cette mesure sera difficile à concilier avec sa promesse de sanctuariser les dotations. C’est la raison pour laquelle les économies pourraient plutôt résulter d’une limitation de leurs recettes ou d’un encadrement pluriannuel pour la constitution de réserves en cas de crise. Les élus locaux réclament d’assumer strictement au mieux leur poids dans la dette publique à savoir 10 % et au pire leur poids dans les dépenses publiques à savoir 20 %. D’ailleurs, dès le 1er juin 2022, Christophe Béchu, Ministre délégué chargé des collectivités territoriales a écarté le retour des contrats de Cahors avec les mêmes modalités à cause de l’inflation.

Le cap de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

Dans sa lettre adressée aux élus locaux, le candidat Emmanuel Macron a proposé de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)21 après avoir fait diminuer son taux plafond de 1,5 % à 0,75 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur ou égal à 50 millions d’euros. Cet impôt de production représente 7 milliards d’euros de recettes fiscales22. Aussi, pour ne pas déclencher ou essuyer une nouvelle tempête, il a promis de la compenser à l’euro près. Pourtant, cette disparition inquiète les élus locaux dans la mesure où elle consistera à recentraliser à compter de 2023 un impôt, certes déjà territorialisé ! Compte tenu de la perte de pouvoir d’achat des ménages, la probable affectation d’une part de TVA en guise de contrepartie ne rassurera pas les élus locaux. Pour limiter les remous, les élus locaux ont été invités à actualiser d’ores et déjà les bases de leur CVAE pour optimiser une future compensation.

Le cap de l’application des nouveaux indicateurs financiers23

Pour éclaircir l’horizon des collectivités territoriales, la loi de finances pour 2022 a introduit une évolution des indicateurs financiers justifiée par la disparition progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales24. Un mécanisme de neutralisation totale s’applique jusqu’en 2023 et les communes bénéficieront d’un dispositif de lissage jusqu’en 2028. Or, le 17 mai 2022, le Comité des finances locales a rendu un avis défavorable au projet de décret d’application à cause du risque des effets de bord pour le calcul des dotations et des fonds de péréquation25. Par ailleurs, l’Association des départements de France a officiellement saisi le 31 mai 2022 Messieurs Christophe Béchu et Gabriel Attal, respectivement Ministres en charge des collectivités territoriales et des comptes publics pour dénoncer « d’importants transferts financiers entre départements, lesquels n’apparaissent pas en adéquation avec les réalités économiques, financières et sociales des territoires concernés. De telles modifications dans la répartition des fonds existants reviendraient par ailleurs à remettre en cause l’accord politique qui avait été trouvé, à la fois entre les membres de Départements de France mais également avec le gouvernement en 2019, s’agissant du dispositif ambitieux de péréquation horizontale ». Par conséquent, l’Association des départements de France réclame « la pérennisation du dispositif de neutralisation des conséquences de la récente réforme de la fiscalité locale sur les indicateurs financiers des départements ».

Pour conclure, tel un serpent de mer, la situation des finances locales tourmente les élus locaux. Alors qu’ils ont besoin d’une stabilité des normes applicables pour se projeter dans l’avenir avec une longue-vue, ils n’échapperont pas forcément à une remise à plat de la fiscalité locale.

Certes, la réforme des finances locales désirée par le Président de la République Emmanuel Macron va être compliquée à mettre en œuvre au regard de la majorité relative dont il dispose à l’Assemblée nationale. Sous réserve d’un accord de gouvernement avec d’autres groupes parlementaires pour atteindre la majorité absolue, le gouvernement devra se rapprocher des récifs sans les percuter. À bâbord, la NUPES souhaite rendre la taxe foncière progressive en fonction du patrimoine et à tribord le Rassemblement national désire un nouveau partage de la fiscalité entre l’État et les collectivités territoriales, fondé sur la concertation avec les élus locaux. Pour ne pas échouer, il pourra explorer la voie suivie par le gouvernement minoritaire dirigé par Michel Rocard en 1988. En cas de brisant persistant malgré le recours aux techniques du parlementarisme rationalisé pour faire adopter les lois impulsées par le Président de la République, ce dernier pourra envisager de dissoudre l’Assemblée nationale. Dans ce milieu inédit et inconstant, l’autonomie financière locale traversera les 40es rugissants en naviguant entre la crête et le creux des vagues de réformes à venir…

M.-Ch. S-A

Références bibliographiques

DRAGO (G.), « La nécessaire consécration constitutionnelle d’un pouvoir fiscal des collectivités territoriales », in J. Petit (ss. la dir.), Les Collectivités locales. Mélanges en l’honneur de J. Moreau, Economica, 2003, p. 127 et s.

BOUVIER (M.), « Le Conseil constitutionnel et l’autonomie fiscale des collectivités territoriales : du quiproquo à la clarification », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n33, 2011, p. 55-67.


GUENGANT (A.), UHALDEBORD (J.-M.), « Comment caractériser l’autonomie financière locale ? », Annuaire des collectivités locales, 2003, p. 425-449.

HERTZOG (R.), « L’autonomie en droit : trop de sens, trop peu de signification ? », Mélanges Paul Amselek, Bruylant, 2005, p. 445-470.

PONTIER (J.-M.), « Sur les notions controversées : ressources propres, ensemble des ressources, part déterminante », Rev. adm., 2004, p. 397-408.

STECKEL-ASSOUÈRE (M.-Ch.), « La décentralisation financière dans les 40e rugissants », in TOUZEIL-DIVINA (M.), CROUZATIER-DURAND (F.), 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s), éditions l’Épitoge, 2022, p. 205-212.

STECKEL-ASSOUÈRE (M.-Ch.), « Le tabou de l’autonomie financière locale : Le consensus autour d’un abus de langage », in KADA (N.), (dir.), Les tabous de la décentralisation, Éditions Berger-Levrault, 2015, p. 327-343.

STECKEL (M.-Ch.), Le Conseil constitutionnel et l’alternance, LGDJ, collection Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, Tome 106, 2002, 398 p.

intercommunaux, or cela va générer des effets négatifs.

Notes de bas de page

  • 1 Cette contribution actualise et complète l’article STECKEL-ASSOUÈRE (M.-Ch.), « La décentralisation financière dans les 40es rugissants », in TOUZEIL-DIVINA (M.), CROUZATIER-DURAND (F.), 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s), éditions l’Épitoge, 2022, p.205-212.

  • 2 Il s’agit de la loi relative à la modernisation de l’action publique et l’affirmation des métropoles.

  • 3 Il s’agit de la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de notre République.

  • 4 MARTIN (S.), MIOSSEC (S), « Les relations État-collectivités doivent passer par un contrat pluriannuel », La Gazette des communes, 14 octobre 2021.

  • 5 STECKEL-ASSOUÈRE (Marie-Christine), « Perspectives positives de la différenciation territoriale à droit constitutionnel constant », Revue politique et parlementaire, n°1093, 2019, p. 178-192.

  • 6 Ce baromètre est établi par le député Jean-René Cazeneuve à la suite du rapport remis au Premier ministre en juillet 2020 sur l’impact de la crise sur les finances locales.

  • 7 STECKEL (M.-Ch.), Le Conseil constitutionnel et l’alternance, LGDJ, collection Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, Tome 106, 2002, 398 p.

  • 8 Elle est située entre les 40èmes et les 50ès parallèles dans l'hémisphère Sud.

  • 9 Si ce droit à l’information des élus locaux fut seulement introduit par la loi n°90-55 du 15 janvier 1990, le contrôle financier était avant 1982 réalisé par la Cour des comptes, mais de manière irrégulière et uniquement sur les plus grandes collectivités territoriales.

  • 10 STECKEL-ASSOUÈRE (M.-Ch.), « Le tabou de l’autonomie financière locale : Le consensus autour d’un abus de langage », in KADA (N.), (dir.), Les tabous de la décentralisation, Éditions Berger-Levrault, 2015, p. 327-343.

  • 11 Les régions et les départements ont perdu cette recette respectivement en 2001 et 2011.

  • 12 Les départements et les régions ne perçoivent plus la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) depuis 2010. La loi du 29 décembre 2019 de finances pour 2020 a transféré la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) aux communes.

  • 13 Loi du 30 décembre 2017. Dans la décision n°2021-982 du 17 mars 2022 Commune de la Trinité, le Conseil constitutionnel a censuré l’absence de compensation pour les syndicats de communes de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. En cause, une rupture d’égalité devant les charges publiques avec les communes, bénéficiaires depuis le 1er janvier 2021 d’une compensation grâce à l’affectation d’une part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Pourtant, certains syndicats de communes étaient comme les communes financés par une part du produit de taxe d’habitation. La prochaine loi de finances devra corriger les modalités de compensation.

  • 14 Article L. 1612-4 CGCT. De plus, si leur budget primitif est voté en déséquilibre réel ou si leur compte administratif est voté en déficit, le préfet saisira la CRC. Le cas échant, elle pourra l’inviter à se substituer d’office à la collectivité territoriale en cause.

  • 15 Voir la loi n°2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques des années 2011 à 2014.

  • 16 Le Conseil constitutionnel a censuré la reconduction à un niveau identique année après année des prélèvements opérés par l’État au titre du redressement des finances publiques sur les compensations d’exonérations de fiscalité locale ou les recettes de fiscalité d’établissements publics à fiscalité propre. Cette absence de possibilité d’ajuster le montant du prélèvement portait une atteinte caractérisée à l’égalité devant les charges publiques (CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n°2020-862 QPC du 15 octobre 2020, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire). Par conséquent, les modalités de modulation ont été précisées par le décret n° 2021-1291 du 4 octobre 2021 relatif aux dotations de l'État aux collectivités territoriales et à la péréquation des ressources fiscales.

  • 17 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n°2020-862 QPC du 15 octobre 2020, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire.

  • 18 Selon les derniers chiffres de fin mars 2022.

  • 19 SAINT-MARTIN (L.), WOERTH (E.), Rapport d’information n°2210 en conclusion d’une mission d’information relative à la mise en œuvre de la LOLF, Assemblée nationale, 11 septembre 2019.  

  • 20 Il souhaite instaurer le conseiller territorial pour représenter à la fois le département et la région comme Marine Le Pen

  • 21 Cet impôt direct local doit être payé par les personnes physiques et morales dont le chiffre d’affaires hors taxe dépasse 500 000 euros par an.

  • 22 Pour les régions, la CVAE a déjà été remplacée en 2021 par une fraction de TVA. D’ailleurs, comme pour les départements, elle leur a permis de mieux amortir les répercussions économiques de la pandémie.

  • 23 Il s’agit des potentiels fiscal et financier, l’effort fiscal et le coefficient d’intégration fiscale.

  • 24 Ces changements proposés par le Comité des finances locales découlent du nouveau panier de recettes du bloc communal et des départements, consécutif à la suppression de la taxe d’habitation, la diminution de la CVAE et la baisse de moitié des valeurs locatives des locaux industriels. Ils consistent à intégrer dans leur périmètre à horizon 2027 les recettes des DMTO et de la taxe sur la publicité extérieure. Par ailleurs, ils limitent l’effort fiscal aux seuls impôts effectivement levés par les communes en excluant les produits

  • 25 Et à cause du manque de données dans la fiche d’impact. Sauf changement, les indicateurs seront majorés ou minorés en 2023 du produit des fractions de correction, calculées en 2022 par un coefficient égal à 90 %. Puis en 2024, ce coefficient sera égal à 80 %, avant de diminuer de 20 points par an au cours des quatre exercices suivants.