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L'Etat en réseau, voie de salut du service public face aux défis contemporains ?

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Fort de son expérience de haut fonctionnaire au sein d’autorités administratives et de cabinets ministériels, principalement dans le secteur numérique, l’auteur développe une nouvelle conception de l’action publique qu’il livre clés en main. Contempteur du new public management et de la tyrannie d’indicateurs surannés, l’auteur base sa réflexion sur les « choses vues » au fil de ses expériences et sur une riche revue de littérature scientifique et administrative. L’ouvrage s’inscrit dans la lignée de nombreux travaux prospectifs sur l’évolution de l’État, avec l’atout notable d’être un acteur attentif de son fonctionnement faisant état de sa « révolte optimiste ». Il s’agit de renverser les normes implicites du fonctionnement de l’État, le chiffre et le contrôle, pour en faire un État ouvert, apprenant et positif. Vaste programme.


 

Polytechnicien (X 1996), ancien directeur de cabinet de ministre (2012-2014) puis directeur général de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP ; 2015-2020) et directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN ; depuis 2021), Sébastien SORIANO est un haut fonctionnaire français ayant réalisé la majeure partie de sa carrière au sein d’établissements publics ou d’autorités administratives indépendantes. À ce titre, il développe et propose une réflexion prospective sur l’organisation de l’État et le service public, notamment sur la bascule numérique de l’administration. Ce nouvel essai sur le renouvellement de l’État, structuré en trois parties (« Un impératif : repenser l’État » ; « Tracer les contours d’un État en réseau » ; « Trois propositions pour mettre l’État en réseau »), concourt en effet à définir « Un nouvel État face à la vague écologique, numérique, démocratique », tel que l’annonce le sous-titre.

Publié entre deux confinements liés à la Covid-19 à la fin du mois d’octobre 2020, l’ouvrage s’inscrit dans une longue série de réflexions sur l’État et son évolution, tout en empruntant une liberté de ton novatrice. La grande richesse de ce récit tient en effet à l’intégration de nombreux exemples vécus et de récits de la vie administrative française. Face à un « modèle public actuel en bout de course » (page 79), Sébastien SORIANO ajoute à de solides bases conceptuelles une réflexivité rare (et précieuse !) dans ce type d’exercices.

Comment renouveler le fonctionnement de l’État au milieu de temps troublés ? Le constat sombre d’un État qui « ne fait plus le boulot » (page 10) précède l’esquisse conceptuelle d’un renouveau de l’État, pour répondre aux enjeux contemporains

Prendre acte de la fin d’un cycle : le portrait sombre d’un État « maladroit »

« Quelque chose s’est fissuré dans l’alliance entre le peuple de France et son élite. » (page 23) Dans la lignée des Gilets Jaunes, l’apparition de la Covid-19 est le point de départ du récit, avec l’impression diffuse que « l’État ne fait plus le boulot » (page 10) et la description d’un État bègue, maladroit. Afin de pallier le « manque de repères partagés dans le débat public, notamment idéologiques et intellectuels », l’auteur revient sur trente ans de réformes teintées de (néo)libéralisme. Cette dynamique de réforme importée des pays anglo-saxons fait suite au « coup d’État public » (page 40) d’après-guerre, qui a vu un renforcement considérable des prérogatives de l’État dans de nombreux domaines et un développement de services publics au rythme d’une croissance démographie soutenue. Dans les années 1970/1980, après ces développements exponentiels, la survenue de crises et le blocage de certaines réformes créent un contexte favorable à une modification profonde de « la philosophie de la réforme de l’État en France ».

Ainsi, inspiré par le new public management présenté comme doctrine dénuée d’« affirmation explicite » (page 45), l’État dit « stratège » a permis d’insérer dans les cadres publics de gestion des indicateurs et objectifs principalement budgétaires, reléguant au second plan les vocations premières des politiques publiques nationales. Autonomie, spécialisation, rétribution à l’acte, indicateurs à foison : tels sont les visages de cette nouvelle doctrine qui valorise (et transpose) le fonctionnement du secteur privé à l’administration, au détriment de celle-ci et avec l’assentiment ( ?) tacite des élites politico-administratives les ayant mises en œuvre (page 45). Cette « non-théorie » « porte dans ses racines profondes un contresens absolu qui est de vouloir soumettre l’universalité à une logique d’incarnation » (page 52). L’État s’en éloigne intrinsèquement, bien que les indicateurs remplacent progressivement les visages. Afin de nourrir cette réflexion, l’auteur reprend alors l’ensemble des critiques — largement documentées — sur les indicateurs parfois trentenaires sur des sujets en bouleversement continu, tels que les secteurs de la téléphonie, de l’internet, … « Ni les indicateurs ni les indications » ne valent un agent public (page 54). Ce passage en revue est alimenté par de nombreuses anecdotes récoltées par l’auteur au cours de sa carrière — notamment de ces années à la tête de l’autorité de régulation des réseaux de télécommunication.

L’auteur identifie trois mythes de l’État — le noyau, le chiffre et l’élite — « que beaucoup d’agents publics et d’usagers ressentent et expérimentent au quotidien sans l’avoir toujours formalisé. (…) Hérité de l’époque de la reconstruction et des Trente Glorieuses, puis passé au tamis du new public management, cet ordre nous gouverne de manière implicite alors qu’il ne convient plus aux besoins de notre temps. » (pages 65/66) Il s’agirait d’aller au-delà. Sébastien SORIANO place ainsi un espoir de bon augure dans les ressources de l’État, sans toutefois éviter l’écueil nostalgique d’un État qui aurait été exempt de ces reproches jusque dans les années 1980. Aux ambitions initiales des institutions et contours de l’État providence dessiné depuis la IIIe République sont opposées les promesses non tenues ; sur l’école, qui « humilie » (page 28), sur l’hôpital, « à bout de souffle » (page 29).

Le bouleversement des corps intermédiaires et « de toutes les structures d’intermédiation » (page 33), jugées moins représentatives, et la centralité nouvelle des réseaux et infrastructures sont les deux causes identifiées de l’immission du doute envers le service public. Face à cela, les « tribus » (au sens de Michel MAFFESOLI1) et les communs sont les deux sources identifiées de renouvellement des rapports entre les individus et l’État. Ces deux notions, nées et étoffées depuis les années 1980, ont fait l’objet de nombreux travaux interdisciplinaires qui sont recensés dans l’ouvrage. Si le constat dépeint est sombre, le ton reste optimiste et pointe tour à tour des innovations de natures et de sources diverses : « Tordons ici le cou à une image d’Épinal qui ferait tantôt de l’absence de courage de nos dirigeants, tantôt du conservatisme des fonctionnaires les supposées causes d’une impossible réforme de l’État. Les jeux d’acteurs ne doivent pas nous faire perdre de vue le paradigme à l’intérieur duquel ils s’inscrivent. C’est de la fin d’un cycle qu’il faut prendre acte. » (page 31)

La fin dudit cycle est placée sous le bon augure de la bureaucratie, ici perçue comme « une construction historique qui s’inscrit dans le projet démocratique et social dont le formalisme est à l’origine porteur de garanties importantes. » (page 55) Terminer le cycle, aller au-delà des mythes, retrouver les communs, ces trois pôles structurent la dense feuille de route conceptuelle développée par l’auteur afin de renouveler l’État.

Par-delà les mythes : l’esquisse conceptuelle d’un renouveau de l’État

Après avoir dépeint les fissures d’une machine administrative peu agile, l’auteur dessine les contours d’un programme politique — au sens de policies, de politiques publiques, bien qu’il s’en défende. « Si nous assumons les limites soulignées à l’égard de l’État stratège, notre propos n’est pas celui d’une critique rétrospective, ni d’une stigmatisation des administrations qui font vivre aujourd’hui les dispositifs qui la soutiennent. » (page 153) Il s’agit bien là d’un programme de réhabilitation des richesses de l’administration, fruit d’une construction multi-centenaires. L’auteur propose des mythes renouvelés au service d’un État modernisé ; le noyau (place de l’État), le chiffre (savoir de l’État) et l’élite (raison d’être de l’État) sont conservés mais augmentés afin de répondre aux enjeux contemporains. Pour ce faire, l’auteur rassemble dans deux tableaux (page 75) la théorie ainsi développée et son évolution depuis l’après-guerre. Cette nouvelle matrice d’action publique a indéniablement le mérite de la clarté et augure un vaste programme politique afin de répondre au « grand œuvre de la société » : le défi climatique.

Au-delà de ces critiques étayées, l’auteur salue la volonté et les intentions des dirigeants, le dévouement des agents publics, les réformes conduites… Il situe ensuite le problème (l’absence de réponse « aux besoins réels des Français », page 81) et sa cause : l’absence de « boussole claire », de ligne directrice durable dans la conduite des réformes successives. L’auteur dessine alors quatre objectifs à long terme, « aussi consensuels que possible » (page 81) auxquels « l’organisation de notre pays ne permet pas de faire face » (page 82) et qui pourraient être durablement mis en œuvre malgré des changements de gouvernance : « l’environnement, la mondialisation, l’accélération technologique, enfin les nouvelles inégalités » (page 81). Présentés les uns après les autres en s’appuyant à chaque fois sur une importante revue des concepts, les quatre défis permettent à l’auteur d’identifier par touche les transformations jugées nécessaires pour construire un État en réseau. « L’État en réseau est un horizon de longue haleine, tant les mythologies de l’action publique sont enracinées dans des représentations parfois profondes. » (page 107) Après tout, que représentent vingt ou trente ans par rapport à l’histoire de l’État ? En repartant de nombreux exemples de transformations (locales ou mondiales, prémices de bon augure ou bouleversements), l’auteur confirme la capacité de l’État à évoluer, se modifier, corriger ses défauts . Bref : se transformer. Les mantras d’inspiration libérale développés ces dernières (dizaines) d’années ne sauraient s’opposer à la marche en avant et à la transformation continue de l’État. Se dessine alors le paradoxe suivant : la construction de l’État en réseau implique qu’il se départît d’une partie de ses prérogatives pour les transférer qui aux citoyens rassemblés en communautés de gestion, qui aux collectivités, qui à des entreprises vertueuses. Pour autant, cet État recentré sur une partie de ces missions est pensé comme force de décisions fortes face aux marchés, aux grandes entreprises, etc. L’auteur dessine ainsi un recentrement de l’État sur des fonctions et prises de décisions fortes. Cette conception de l’État tient à un changement profond, bien qu’incrémental : permettre aux collectifs citoyens, structurés sur l’ensemble du territoire et d’ores et déjà force de proposition, de mettre en œuvre leurs initiatives et de leur permettre ainsi de les faire changer d’échelle.

En prenant l’exemple des télécommunications, transformées en trente ans avec la position de l’État détenteur d’un monopole à celle d’autorité de régulation (chapitre 6), l’auteur montre les évolutions dans différents champs de l’action publique : relations aux usagers, aménagement du territoire, organisation de l’administration, élargissement du champ des possibles… Pour contrôler la technologie numérique (sic), « La réponse doit donc passer par une alliance avec tous les innovateurs, les communautés agissantes et citoyennes, les associations, les acteurs publics locaux (communes, hôpitaux, universités, …) pour mettre en capacité ces derniers de peser sur Internet et construire l’avenir du numérique. » (page 200) L’État contre les GAFA afin de briser les monopoles et de créer des communs avec et autour d’Internet  : vœu pieux ou voie de salut ? Ces évolutions sont associées à de multiples exemples de réussite : objectifs dépassés, meilleurs taux de présence ou de réponse, augmentation de la satisfaction des agents, … « Et surtout : le terrain, le terrain, le terrain. » (page 108)

Alors que le changement d’échelle de réussites locales a plusieurs fois montré ses limites, l’auteur répond par un optimisme contagieux et la croyance profonde que la culture des communs est le fondement d’un État renouvelé. « Les grands défis de notre temps s’inscrivent dans des transformations profondes de la société. » (page 173) La fragilité du monde face aux crises contemporaines imposerait ainsi d’expérimenter un changement profond : « C’est autour de la notion de commun, qui émerge de toute part dans les aspirations sociales, que nous proposons de construire une nouvelle combinatoire. Le projet est de sortir d’un dualisme Etat-marché pour instituer une trilogie Etat-marché-commun. » (page 175) Il s’agit ainsi de mieux associer les citoyens, de considérer les entreprises par leur impact sur l’environnement et non leur objet, de se saisir pleinement des règlements existants qui permettent parfois d’aller au-delà de ce pour quoi ils sont effectivement utilisés ou invoqués.

Utopie réaliste ou chimère administrative ?

La feuille de route mérite d’être explorée

Dans la revue Esprit (avril 2021) l’auteur précise sa réflexion en ciblant la haute fonction publique : « Un modèle d’« État stratège » s’est en effet cristallisé dans les années 1990, par lequel la haute fonction publique a installé une forme de monopole de l’intelligence tout en important des méthodes de management du privé. C’est ce modèle qu’il faut aujourd’hui dépasser. » Cette vision très positive de l’État (malgré un sombre postulat) et de l’ensemble de ces réussites change indéniablement du discours ambiant : pour le mieux ? Bien que l’auteur prenne toutes les précautions nécessaires, la tentation du manichéisme n’est jamais loin. En empruntant une revue de littérature riche, de nombreux exemples de tous les horizons de l’action publique et associant une dimension comparative, l’auteur donne une puissance particulière à son récit. Bien peu de critiques survivent en effet au fil des pages.

Davantage qu’un énième ouvrage sur les nécessités de transformations, la transposition des critiques envers l’État par un haut fonctionnaire alerte sur les problématiques et grands défis contemporains donne lieu à un récit prenant, alimenté par les travaux scientifiques publiés depuis des années et empreint d’une réflexivité d’autant plus appréciable qu’elle est peu commune dans ce genre d’exercices. Face à ces solutions livrées clés en main, tout décideur gagnerait à tenter le changement ; éternel débat de la transformation.

À la tête de l’ARCEP (2015-2021), Sébastien SORIANO avait mené une large réflexion sur l’avenir de l’autorité administrative indépendante, qui avait abouti au renouvellement de la signature de l’autorité : « Les réseaux comme bien commun ». De l’utopie à la mise en œuvre, il n’y a parfois qu’un pas.

N.B

PS : L’auteur de ces lignes tient à remercier sincèrement l’auteur de l’ouvrage pour avoir permis quelques échanges à distance et de confirmer la qualité du contenu de cet essai prospectif.

Notes de bas de page

  • 1 MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus. Le déclin de l'individualisme dans les sociétés postmodernes, La petite vermillon, n°125. La table ronde. 2019 [2000]. 368 pages. IBSN : 9782710390305