Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Sécurité du quotidien : miser aussi sur la responsabilité des acteurs locaux

Télécharger

Depuis 2018 les pouvoirs publics ont recours à la notion de « sécurité du quotidien » pour promouvoir une nouvelle doctrine de sécurité publique. Cette politique publique comprend des dimensions préventives et répressives qui mobilisent les acteurs locaux autant que l’État. Dans une note publiée en juin 2022, le Cercle de la réforme de l’État a établi un ensemble de constats sur la base desquels il a formulé des propositions. Dans cet article, les auteurs centrent leurs réflexions sur les propositions qui concernent notamment les responsabilités des acteurs locaux dont le Cercle estime qu’ils doivent se voir reconnaître un rôle majeur pour renforcer l’efficacité et regagner la confiance.


 

Aller et venir librement, à toute heure du jour et de la nuit en tout point du territoire, vivre sans crainte d’agression dans tous les quartiers de leur ville et toutes les communes, dans les transports, les commerces, au travail et dans toutes activités font partie des attentes fortes et légitimes de nos concitoyens.


En dépit des efforts des gouvernements successifs pour renforcer les moyens consacrés à la sécurité, les Français se sentent encore trop souvent en insécurité. La sécurité du quotidien n’est certes qu’un aspect de la politique de sécurité, le plus local, mais elle est essentielle pour les citoyens. Elle est déterminée à la fois par le contexte de la vie collective et par le comportement de chacun des membres de la collectivité, pris isolément ou en groupe.


La sécurité est un droit fondamental qu’il appartient à l’État d’assurer en y associant les collectivités locales et toute une série d’acteurs locaux. L’on parle de sécurité du quotidien, la collectivité visée, c’est la commune ; l’espace, c’est le bassin de vie. La loi municipale du 5 avril 1884 a posé les bases des pouvoirs de police municipale du maire, « chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs. »1. Le préfet assume dans le département les responsabilités de l’État. Il a, dans toutes les communes, la charge de l'ordre public et de la sécurité des populations. En outre dans les 1 625 communes à police étatisée2, il exerce directement, au nom de l’État, une partie des pouvoirs de police municipale. Toute politique de sécurité exige sanction, ce qui incombe pour l’essentiel aux organes judiciaires : le parquet, les tribunaux judiciaires et leurs fonctions spécialisées comme l’application des peines et la justice des mineurs.

La notion de « sécurité du quotidien » n’est pas une catégorie juridique ou administrative mais la terminologie adoptée par les pouvoirs publics depuis 2018 pour promouvoir une nouvelle doctrine de sécurité publique. Dans le budget de l’État3, la sécurité du quotidien est présentée différemment dans les programmes Police nationale (176) et Gendarmerie nationale (152) de la mission Sécurités. Cette notion est absente de la présentation stratégique de la mission Justice.

Cette politique publique comprend des dimensions préventives et répressives qui mobilisent les acteurs locaux autant que l’État. Dans une note publiée en juin 2022, le Cercle de la réforme de l’État a établi un ensemble de constats sur la base desquels il a formulé des propositions. Dans cet article, nous nous centrons sur les propositions notamment celles qui concernent les responsabilités des acteurs locaux dont le Cercle estime qu’ils doivent se voir reconnaître un rôle majeur pour renforcer l’efficacité et regagner la confiance.

Des évolutions à impulser au niveau national

L’efficacité de l’action sur le terrain suppose des changements dans quatre domaines principaux : la connaissance partagée, des formations communes, des réformes dans la justice et l’anticipation de l’évolution des technologies. 

Mieux comprendre collectivement pour éclairer l’action

Les enquêtes d'opinion mettent régulièrement dans les premiers rangs des préoccupations des Français les questions de sécurité dans la vie quotidienne. Cette préoccupation ne relève-t-elle que d’un sentiment, amplifié par la publicité donnée à des faits divers et la médiatisation instantanée par les réseaux sociaux ?


La perception d’une augmentation de l’insécurité n’est pas forcément corroborée par des statistiques de délinquance même enrichies par des enquêtes de victimation. L’état des chiffres relatifs aux crimes et délits enregistrés par les services, dit état 4001, qui sert de référence au ministère de l’intérieur, affiche une certaine stabilité sur longue période, même si toutes les natures de faits de délinquance ne connaissent pas les mêmes tendances. On sait cependant les limites des instruments de mesure : ainsi l’état 4001 n’est pas exhaustif 4dans la connaissance des faits générateurs d’insécurité. En outre les dépôts de mains courantes ne sont pas comptabilisés alors qu’ils peuvent correspondre à des faits réels voire des violences graves y compris intrafamiliales.

Les constats sur une décennie font apparaître un fléchissement des atteintes aux biens et une tendance haussière pour les atteintes aux personnes. Ils expliquent qu’au-delà des chiffres existe la perception d’une aggravation de l’insécurité.


Ces sujets sont propices à la polémique. La note du Cercle en rend compte. C’est le cas du débat sur l’évolution de la délinquance des mineurs5 ou de la relation entre l’immigration et la délinquance6, sujets qui ne doivent pas être niés ou esquivés. Mais entre les biais de l’observation et l’enchevêtrement des déterminants territoriaux, socio-économiques et culturels, il faut admettre la diversité des approches.


Des collectivités territoriales ont créé des observatoires de la délinquance en lien avec des instances académiques ou des prestataires notamment à l’occasion des diagnostics locaux de sécurité. Pour qu’un débat démocratique s’instaure, il importe d’ouvrir les données, ce qui est désormais amorcé sur data.gouv.fr, et de les rendre disponibles dans des formats conviviaux.


Il faut ensuite mieux structurer la coopération Intérieur-Justice. Désormais dotés chacun d’un service statistique, les deux ministères doivent lancer une dynamique de coopération. Au-delà de la nomenclature statistique des infractions désormais commune, il conviendrait de se saisir des chantiers de numérisation en cours pour que les nouveaux outils soient dès leur conception en continuité et reconnus par les différentes catégories d’acteurs au long de la chaîne pénale.


En troisième lieu, les compétences qu’ont développées de nombreuses institutions de formation supérieure et de recherche devraient être mieux valorisées par l’État sous forme de contrats d’études dans le cadre de programmes coordonnés entre l’Intérieur et la Justice.

Le caractère territorial de la sécurité du quotidien et la responsabilité des élus locaux en la matière engendrent un besoin d’observation locale. Il convient de mieux partager données et analyses, au-delà de leur simple présentation en CLSPD7. Une collaboration entre observatoires créés ou soutenus par les collectivités territoriales et instituts relevant des ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Cohésion des territoires doit être organisée.

Ouvrir mutuellement les formations

La connaissance mutuelle est indispensable à un climat de confiance, dans le respect de leurs fonctions spécifiques, entre fonctionnaires préfectoraux et responsables des services déconcentrés, magistrats, policiers et gendarmes.

Pour la formation initiale, la participation des élèves de l’École Nationale de la Magistrature (ENM) au tronc commun8 de l’Institut National du Service Public (ex Ena) devrait être organisée ainsi que des stages croisés entre ces deux écoles, dans les préfectures et les tribunaux. De même seraient utiles des formations communes entre magistrats et responsables de services territoriaux de l’État pour des sessions de formation continue et lors des formations préparatoires à la prise de poste.

Des réformes dans la Justice 

Dans sa note, le Cercle identifie trois types de situations qui suscitent, chez des citoyens, un doute sur la capacité ou la volonté des pouvoirs publics d’agir : l’omniprésence des stupéfiants avec ses règlements de comptes, violences urbaines, agressions ; les cambriolages et les escroqueries sur internet, ressentis comme une véritable intrusion dans leur espace privé physique ou cyber ; la délinquance des mineurs qui donne aussi l’impression d’une impunité de fait.

Les citoyens attendent de l’autorité judiciaire une réponse beaucoup plus rapide et des peines effectivement mises à exécution et dans de brefs délais. Pour la diversification des peines, par exemple les travaux d’intérêt général, le ministère public doit s’appuyer sur les acteurs locaux.

Accélérer et diversifier les poursuites exige la création d’audiences correctionnelles en nombre suffisant9 de sorte que la comparution immédiate ne soit pas la seule réponse rapide disponible ; des raccourcissements drastiques des délais d'audiences des instructions ou des enquêtes terminées ; des alternatives aux poursuites10 (médiation pénale, rappel à la loi, orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, régularisation de la situation, réparation du dommage, interdiction de paraître). Le raccourcissement des délais suppose aussi de remettre en cause l’obligation actuelle d'examen de l'éventuel aménagement des peines par le juge d'application des peines (JAP) après jugement et avant mise à exécution. Ces changements nécessitent l’allègement des tâches des magistrats par un transfert à des équipes d’appui à constituer auprès d’eux.

La mise à exécution plus rapide des peines, tout aussi indispensable, passe par plusieurs évolutions profondes : le renforcement significatif des moyens humains des parquets et des greffes en matière d'exécution, dont le délai doit devenir un indicateur essentiel de pilotage et de performance ; le redimensionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) afin d'autoriser des prises en charge immédiates des alternatives à l’emprisonnement ; la création de structures psychiatriques dans les établissements pénitentiaires qui n’en sont pas dotés ; le renforcement de la justice pénale des mineurs (magistrats et greffiers) actuellement occupée majoritairement par le contentieux civil de la protection des mineurs en danger en recherchant d’autres types de solutions pour le traitement des problèmes de nature civile11.

Une augmentation forte du nombre de places disponibles en établissement pénitentiaire est indispensable. La loi de programmation 2018-2022 est calée sur l’objectif de "15 000 places", désormais prévues à l’horizon 2027. Tous les retards ne peuvent être imputés à l’acceptabilité locale des nouvelles implantations. Sont toujours sous-jacents les débats sur l’opportunité de l’incarcération. L’objectif est réalisable dès lors que la concertation locale est bien menée mais ne suffira pas à régler la surpopulation carcérale ni à éviter de subordonner la politique pénale aux places disponibles.

La saisie et la confiscation des avoirs criminels sont à activer : évaluation annuelle des taux de confiscations réalisées ; retours partiels pour la Justice et les services enquêteurs ; inversion de la charge de la preuve de justification des ressources ; désignation de l’agence de gestion et recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) comme structure unique pour traiter les avoirs criminels12.

Anticiper et exploiter le potentiel des nouvelles technologies

Les collectivités territoriales ont été incitées à se doter de systèmes de vidéoprotection avec centres de supervision urbains : ces dispositifs font l’objet d’autorisations préfectorales et d’un contrôle par la CNIL. Leur légitimité et leur efficacité au regard de leur coût ont fait débat. Les retours d’expérience des 4000 communes qui s’en sont dotées sont généralement positifs. Ces technologies ont contribué à élucider des affaires.


Les évolutions technologiques s’accélèrent : intelligence artificielle, reconnaissance faciale13, emploi des drones… La législation, la jurisprudence, la doctrine des autorités indépendantes peinent à suivre le rythme. Il est urgent, au-delà de sujets évoqués coup par coup, d’engager une réflexion de fond avec les autorités administratives compétentes (CNIL, défenseur des droits, etc.) puis de mener un indispensable débat parlementaire sur ce sujet qui touche aux libertés individuelles. Un objectif essentiel serait de pouvoir anticiper pour que le service public ne soit pas en retard par rapport aux délinquants.

Des changements nécessaires pour une dynamique collective des acteurs locaux 

Les métiers de la sécurité

Les 252 614 policiers et gendarmes14 se consacrent à six missions principales. La sécurité du quotidien relève principalement de la « sécurité et la paix publique » qui regroupe 48 957 personnels de police nationale15 et une majorité des 45 507 gendarmes affectés à « ordre et sécurité publics ». La mission de police judiciaire, qui participe aussi à la sécurité du quotidien, mobilise 75 668 policiers et gendarmes, la sécurité routière 16935, la police des étrangers et la sûreté des transports internationaux 15411, le commandement, les ressources humaines et la logistique 26455 sans oublier les 1709 gendarmes affectés à des missions militaires.


La doctrine de sécurité du quotidien vise une présence accrue sur la voie publique. La réalité, depuis une dizaine d’années, est une baisse malgré une croissance des effectifs. Cette situation résulte pour une part de la surcharge des services induite notamment par la complexification de la procédure pénale. La Cour des comptes16 a recommandé, à plusieurs reprises, des réformes d’organisation qui restent à mettre en œuvre. Les conditions d’exercice des missions sont aussi tributaires de phénomènes comme les vagues d’immigration, le développement de la criminalité en réseau ou les conséquences de l’extension de l’islamisme radical.


La réponse ne relève pas uniquement de l’augmentation des effectifs, mais de réorganisations, d’une coopération plus structurée entre les services, d’une utilisation plus efficiente des nouvelles technologies, d’une réponse pénale dissuasive.


Pour gagner en réactivité et présence ostensible sur le terrain17, la refonte des cycles horaires de la police nationale doit être remise en chantier ; les responsables territoriaux de police et de gendarmerie devraient publier mensuellement leur taux de présence réelle sur la voie publique ; l’avis des élus devrait être sollicité sur le niveau de la production de sécurité fourni afin de détecter les éventuelles améliorations à apporter.

Les polices municipales se renforcent considérablement en effectifs, passés de 20 996 en 2015 à 24 221 en 2020, en matériels et en prérogatives par élargissement de leur champ d’action en matière contraventionnelle.

Un de leurs intérêts réside dans leur capacité d’adaptation au terrain local. Il faut donc accepter la coexistence de plusieurs modèles de polices municipales, certaines se cantonnant à des actions de prévention et de contravention, d’autres allant plus loin, jusque dans l’intervention. Pour le Cercle, les polices municipales doivent rester locales, sous l’autorité du maire et ne doivent pas être calquées sur le rôle et les attributions de la police nationale.

Des améliorations sont à apporter pour assurer une articulation efficace avec la police et de gendarmerie nationales : une interopérabilité par des moyens radio communs et des formations communes dédiées ; une extension des prérogatives de verbalisation aux contraventions de quatrième classe18 par des policiers municipaux dûment formés ; un accès au Fichier des Objets et Véhicules Signalés (FOVeS)19 et Fichier des Personnes Recherchées (FPR)20

Un atout des polices municipales est leur connaissance fine de la population, supposant une stabilité des agents malgré les tensions sur le marché des métiers de la sécurité. L’objectif de fidélisation risque de ne pas pouvoir être atteint par le seul engagement de servir21 qui peut rebuter d’éventuels candidats. Il faut rechercher l’attractivité par d’autres moyens.


Maintenir aux polices municipales leur caractère territorial ne doit pas conduire à les cantonner dans un rôle de supplétif mais à préciser les conditions de la complémentarité avec la police et la gendarmerie nationales : les conventions de coopération devraient en détailler, sur la base du diagnostic local partagé de sécurité, les modalités concrètes selon le degré de dangerosité, les moyens déployés (patrouilles/opérations communes), notamment lors des manifestations locales. Le préfet et le procureur de la République doivent s’assurer du bon respect de la convention. S’il n’apparaît pas souhaitable de forcer la création de polices intercommunales, des mutualisations de moyens, des échanges de renseignement et des collaborations opérationnelles devraient être développées entre polices municipales d’une même agglomération. Pour la formation, l’offre du centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) présente l’atout de mises en situation spécifiques au territoire et de constitution d’un réseau local, prélude à la coproduction. La création d’une école unique des polices municipales ne présenterait pas les mêmes avantages.


Les prestataires privés de sécurité apportent leur concours tant aux professionnels cibles des délinquants qu’aux organisateurs de grands évènements comme aux collectivités publiques. Cette extension nécessitait un contrôle plus structuré. Il a été amorcé en 2012 avec la création du Conseil national des activités privées de sécurité qui vient d’être réformé. Les métiers de la sécurité rencontrent des difficultés de recrutement qu’il faut traiter en recherchant une amélioration des conditions de travail, de rémunération et de

Les autres acteurs locaux 

L’école n’échappe pas à la violence en son sein ou en dehors de l’enceinte scolaire. L’assassinat terroriste islamiste de Samuel Paty en 2020 et le meurtre de la jeune Alisha en 2021 au terme d’un cyberharcèlement par des camarades, ont traumatisé l’institution scolaire et accéléré la prise de conscience de la nécessité d’être proactive vis-à-vis de son environnement, au-delà des systèmes de remontée d’incidents, des dispositifs de sécurité et d’indicateurs déjà en place. L’institution déploie, avec une réussite variable, des dispositifs pour accompagner les élèves en difficultés, lutter contre le décrochage scolaire et traiter les élèves perturbateurs. Contre l’absentéisme, les chefs d’établissement disposent du levier des allocations familiales et des bourses mais son utilisation demeure limitée. Pour les jeunes entrés dans des spirales de délinquance, l’Éducation nationale répond par le conseil de discipline avec exclusion définitive. Certains parents se révélant parfois non-aidants, l’institution voudrait pouvoir passer outre leur avis. S’agissant des élèves hautement perturbateurs, souffrant de troubles du comportement, les instances pilotées par des conseils départementaux élaborent des diagnostics mais les accueils sont ensuite insuffisants.

Les bailleurs sociaux ont la responsabilité non seulement de logements mais d’espaces accessibles au public et utilisés pour la circulation. Outre la lutte contre les squats, ils sont confrontés à des occupations illicites de halls, l’utilisation des espaces communs pour des trafics de stupéfiants et même d’armes, des rodéos et des tags.

Dans les quartiers sensibles, un recrutement sélectif et en plus grand nombre des gardiens d’immeubles devrait être accompagné d’une meilleure formation incluant les questions de sécurité, ce qui permettrait aussi d’élargir les possibilités d’habilitation par les autorités préfectorales et par l’autorité judiciaire. Les modalités d’intervention d’équipes de sécurité privée en appui devraient venir compléter les plans de tranquillité résidentielle des bailleurs. Des possibilités de liens constants des gardiens avec les services de police sont à organiser (numéros d’appel direct, prises de contacts réguliers,


Une redynamisation des modes de coopération avec d’autres grands services publics est à rechercher systématiquement y compris dans des secteurs qui disposent de moyens propres (SNCF, RATP, transports en commun régionaux et locaux). Des entreprises de services publics22, en lien avec l'État et les collectivités territoriales, ont créé des PIMMS (Point information médiation multiservices). Ces agents sans pouvoirs sont dans la situation de tout citoyen qui doit assistance à toute personne en danger sans s’y mettre soi-même23. Une présence humaine peut jouer un rôle d’intermédiation utile pour les « agacements de faible intensité ». Un partage systématique du renseignement et des données (vidéos, doit être autorisé et organisé.

La coproduction locale de sécurité

La coproduction doit conjuguer mobilisation de tous les acteurs et affermissement des responsabilités des autorités administratives et judiciaires.

C’est au trinôme maire-préfet-procureur qu’il appartient d’assurer la cohérence de l’action.

La coproduction locale de sécurité se matérialise dans les instances où se retrouvent services de l’État, collectivités territoriales, associations et autres acteurs locaux, comme les conseils de sécurité et de prévention de la délinquance (CL/I/MSPD) présidés par le maire (ou le président de l’intercommunalité). Des groupes de partenariat opérationnels (GPO) sont mis en œuvre dans le cadre de la police de sécurité du quotidien (PSQ) tandis que les GLTD, animés par les procureurs, pour accélérer les procédures pénales de manière ciblée, continuent de fonctionner. Ce millefeuille est chronophage. Cette gouvernance devrait être réorganisée.

La contractualisation s’est d’abord concrétisée dans des contrats locaux de sécurité (CLS)24. Le dernier dispositif institué est le contrat de sécurité intégrée25, présenté comme une application du principe de continuum de sécurité consacré par la loi pour une sécurité globale26. Ces contrats spécifiques au domaine de la sécurité coexistent avec d’autres contrats dont les objets peuvent se recouper compte tenu du caractère transversal de nombreuses politiques publiques. Une récente mission parlementaire27 critique la « galaxie contractuelle » entre l’État et les collectivités locales.

Les dispositifs locaux de prévention de la délinquance sont issus des réponses que les pouvoirs publics ont souhaité apporter au malaise des « banlieues » où se trouvent concentrés des habitants précaires souvent issus de l’immigration. Les plans d’action pour la politique de la ville se sont succédé, les dispositifs superposés : Conseil national de prévention de la délinquance, zones d’éducation prioritaires (ZEP), préfets délégués pour l’égalité des chances (PEDEC), délégués du préfet. L’objectif de transversalité est en outre contredit par de nouvelles initiatives sectorielles, y compris dans le domaine de la sécurité. Ainsi des quartiers de reconquête républicaine (QRR) succédant en 2018 aux zones de sécurité prioritaire (ZSP) lancées en 2012. La comitologie est foisonnante. Dans les 1514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ont été instaurés des conseils citoyens. Impliqués dans la gestion urbaine de proximité (GUP), ils se saisissent des problèmes du quartier recoupant des questions de voisinage, de propreté, de troubles de jouissance… et d’insécurité, alors que subsistent les instances spécifiques du partenariat de sécurité28.

Il conviendrait de mettre l’ensemble en cohérence. Une consultation des préfets, procureurs et maires devrait permettre de procéder à un « toilettage » aussi bien des contrats que des instances de coordination, sans céder à l’illusion du « guichet unique ». Dans ce dispositif resserré, une latitude devrait être laissée pour une différenciation à l’échelon départemental.

La justice de proximité29 cible les trafics, les rodéos urbains, les dégradations, les tags, les insultes. Sont à encourager les bonnes pratiques à la main du procureur de la République : interdiction de paraître, compositions pénales, stages de citoyenneté, assermentation en tant que gardes particuliers des gardiens des bailleurs sociaux. Sont aussi à préconiser le recours accru aux délégués du procureur et l’encouragement aux maires à utiliser leurs prérogatives : rappel à l’ordre, transaction, création de conseils pour les droits et devoirs des familles.

La participation des citoyens

Pour être acceptable et appliquée, la règle doit avoir associé dans son élaboration les citoyens, les élus et les services chargés de la mise en œuvre. Pour la préparation du cadre législatif et réglementaire, les pouvoirs publics devraient donc organiser leur consultation systématique.

L’expression participation citoyenne qualifie un dispositif connu sous l’appellation « voisins vigilants », appliqué dans 5600 communes plutôt de petite taille. Encouragé et encadré par le ministère de l’intérieur30, sa création est souvent proposée par le maire. Placée sous le contrôle du procureur et du préfet, il vise à améliorer le renseignement notamment en zone rurale. L’appréciation est plus difficile en zone urbaine.31

La participation des citoyens peut revêtir bien d’autres formes. Le rôle des associations est important dans toutes les actions de cohésion sociale par le sport, la culture, les mouvements de jeunesse et le secteur humanitaire, caritatif et du secours. Certaines jouent un rôle plus direct dans la politique de sécurité du quotidien en joignant à des actions de prévention des interventions directement destinées aux victimes. Ainsi la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) gère le 3919 – Violences Femmes Info. Ces associations rencontrent des difficultés, auprès par exemple de municipalités et de bailleurs sociaux, pour offrir des solutions de relogement d’urgence, le maintien dans le logement étant rarement retenu au bénéfice de la femme victime de violence. Les associations d’aide aux victimes se sont développées. La plus importante, France Victimes, gère le numéro d’appel national 116006. Pour réduire l’ampleur de l’écart entre le nombre des faits constitutifs de violence ou de dommages et la prise en compte par les services de police et de gendarmerie et la justice, il conviendrait de généraliser la présence de ces associations, aux côtés des travailleurs sociaux et psychologues déjà présents dans certains commissariats et brigades de gendarmerie.

Lorsque des faits sont signalés au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, plaignants, victimes et autorités à l’origine du signalement sont légitimes à recevoir un retour d’information de la part du procureur de la République sur la suite donnée, comme le prévoit l’article 40-2 du même code32. Cette pratique reste peu répandue. Il conviendrait que la Chancellerie rappelle sa nécessité et que les parquets généraux y veillent dans leur ressort.

La restauration de la confiance des citoyens dans la Justice et dans les services qui ont la charge de leur sécurité passe par une présence accrue sur le terrain et le renforcement du partenariat local. D’autres pourraient y contribuer : la publicité des décisions judiciaires avec la possibilité de les expliquer participerait à donner sens à une justice de proximité comprise des citoyens ; la diffusion par les médias et/ou les réseaux sociaux de procès et d’émissions/reportages pourrait améliorer la compréhension du fonctionnement de la Justice en France ; des sondages réguliers des élus et de la population sur leur perception de l’action de la police et de la gendarmerie contribueraient à mieux sérier les priorités d’action ; une consultation locale de la population permettrait de prendre les décisions correspondant à ces priorités.

Conclusion

L’insécurité évolue au rythme des mutations de notre société mais dépend aussi de phénomènes internationaux comme le grand banditisme, les trafics de stupéfiants ou d’êtres humains ou le terrorisme islamiste. La sécurité du quotidien n’en constitue pas moins un champ d’action concrète et immédiate pour l’ensemble des acteurs locaux. Bien sûr il faut adapter les moyens. Mais des réformes d’organisation, de méthodes ou de procédures permettraient à la mobilisation des acteurs locaux d’obtenir des résultats observables par les citoyens dans leur quotidien.

Le Cercle de la Réforme de l'Etat

Notes de bas de page

  • 1 Article L2212-1 du Code général des collectivités territoriales.

  • 2 « Le régime de la police d'Etat peut être établi dans une commune ou dans un ensemble de communes formant un ensemble urbain lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :

  • 1° La population de la commune ou de l'ensemble de communes, appréciée en tenant compte de l'importance de la population saisonnière, est supérieure à 20 000 habitants ;

  • 2° Les caractéristiques de la délinquance sont celles des zones urbaines.  article 2 du décret n°2010-770 du 8 juillet 2010.

  • 3 Le budget de l’Etat est réparti en « missions », chacune regroupant les moyens consacrés à une politique publique. Chaque mission comporte des « programmes » confiés, sous l’autorité du ministre, à un responsable public.

  • 4 Il ne prend en compte que les crimes et délits, à l’exclusion des contraventions, et seulement ceux enregistrés par les services, hors infractions routières. Une infraction n’est pas toujours déclarée ou constatée. La proportion varie, d’après les enquêtes, de 90% pour les vols de voitures, et entre 70 et 80% pour les cambriolages de résidences principales, à entre 20 et 30% pour les violences physiques hors ménages et moins de 10% pour les violences sexuelles.

  • 5 Le sociologue Laurent Mucchielli, à propos de la délinquance et de la justice des mineurs en France, parle d’une construction juridique et statistique d’un programme social.

  • 6 L’institut pour la justice, sous la signature de Laurent Lemasson montre la surreprésentation des personnes issues de l’immigration chez les auteurs de délits et dans la population pénitentiaire tandis que Laurent Mucchielli invite à un regard sociologique et une explication socio-économique par la pauvreté.

  • 7 Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance

  • 8 La commission Thiriez avait, un temps, proposé ce tronc commun. L’ENM, contrairement à l’INET qui forme les cadres supérieurs des collectivités territoriales, n’ayant pas intégré l’INSP, il convient de bâtir un cadre dans lequel commissaires de police, officiers de gendarmerie, responsables des services déconcentrés et préfectoraux se retrouvent avec des magistrats.

  • 9 Les juridictions judiciaires françaises disposaient en 2021 d'environ 34 687 personnels en ce compris 8 600 magistrats et 12 000 greffiers, plus de la moitié d'entre eux étant affectés à des contentieux civils. La quasi-totalité des pays membres du Conseil de l'Europe compte par habitant des chiffres de magistrats, de collaborateurs de ceux-ci ou de dépenses budgétaires notablement voire très supérieurs

  • 10 Avant de mettre en œuvre l’action publique, le procureur de la République peut choisir de recourir à une des mesures alternatives aux poursuites prévues par les articles 41-1 à 41-3-1 A du code de procédure pénale. Elles peuvent concerner les mineurs comme les majeurs. Elles doivent permettre d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, ou de mettre fin au trouble résultant de l’infraction, ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits.

  • 11 Serait ici à envisager le développement des structures pluridisciplinaires tendant notamment à l’éloignement de certains mineurs difficiles, du type centres éducatifs renforcés (CER) ou quartiers mineurs des établissements pénitentiaires compte tenu des inconvénients du mélange des mineurs et majeurs.

  • 12 Un rapport sénatorial « Pour que le « crime ne paie pas » : consolider l'action de l'AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués). Rapport d'information n° 421 (2016-2017) de M. Antoine LEFÈVRE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 février 2017 proposait d’envisager les modalités d'un rapprochement de l'AGRASC et de la PIAC (plateforme d’identification des avoirs criminels) afin de garantir l'efficience de la coopération internationale en matière d'identification des avoirs criminels et la cohérence des données relatives aux saisies pénales.

  • 13 La commission des lois du Sénat a engagé une réflexion sur le sujet qui a donné lieu à la production d’une première note le 10 mai 2022, la reconnaissance biométrique dans l’espace public : trente propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance.

  • 14 Effectifs en ETPT de la mission budgétaire Sécurités, programmes Police nationale (176) et Gendarmerie nationale (152), annexe au PLF 2022.

  • 15 En outre la mission d’ordre public et de protection de la souveraineté mobilise 21320 policiers.

  • 16 Note de la Cour des comptes relative à la gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale de novembre 2021.

  • 17 Les modalités de présence sur le terrain sont à adapter en fonction des caractéristiques de la délinquance dans les différents quartiers (ilotage, patrouilles pédestres ou motorisées, interventions ponctuelles avec unités de renfort, …).

  • 18 Infraction punie d’une amende n’excédant pas 750€

  • 19 Arrêté du 7 juillet 2017 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Fichier des objets et des véhicules signalés » (FOVeS).

  • 20 Décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées.

  • 21 Décret n° 2021-1920 du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'article L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux créé par l'article 9 de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés. 

  • 22 EDF, ENGIE, ENEDIS, Véolia, Malakoff Humanis, Kéolis, Suez, La Poste, La Banque Postale.

  • 23Article 223-6 du code pénal « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »

  • 24 Circulaire du 28 octobre 1997 relative à la mise en œuvre des contrats locaux de sécurité.

  • 25 Circulaire n° 6258-SG du 16 avril 2021 - mise en œuvre des contrats de sécurité intégrée.

  • 26 Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés.

  • 27 Mission « flash » sur la contractualisation Communication de Mesdames Stella Dupont et Bénédicte Taurine, députées, janvier 2021.

  • 28 CLSPD, CLS, GOALS, GPO, GLTD

  • 29 Circulaire JUST 2034764C du 15 décembre 2020.

  • 30 Circulaires Guéant du 22 juin 2011 et Castaner du 30 avril 2019.

  • 31 Sur ce sujet, comme sur d’autres évoqués dans cet article, on ne dispose pas d’évaluation.

  • 32 Le procureur de la République avise les plaignants et les victimes si elles sont identifiées, ainsi que les personnes ou autorités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 40, des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement. Lorsqu'il décide de classer sans suite la procédure, il les avise également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d'opportunité qui la justifient.