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Terminer la réforme territoriale au lieu de la réinventer…

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Le 8 février 2024, Éric Woerth, député de l’Oise et questeur de l’Assemblée Nationale, était interrogé par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat à l’occasion de la mission sur
la décentralisation pour « simplifier l’organisation territoriale et clarifier les compétences » dont le président de la République l’a chargé début novembre 2023.
Partisan d’une « augmentation du pouvoir réglementaire des élus », Éric Woerth a plaidé pour « une clarification et un approfondissement des compétences ». La règle semble claire :
« les collectivités doivent faire ce qu’elles ont à faire, mais pas plus (…) Aujourd’hui, tout
le monde fait tout » Or, « seule la commune est dotée d’une clause de compétence générale ».
Un retour à la clause de compétence générale pour l’ensemble des collectivités est donc
à ce stade exclu. Éric Woerth a défendu, devant les sénateurs, une redéfinition
de l’intercommunalité, qui s’accompagnerait d’une réduction du nombre de compétences obligatoires, la territorialisation de la fiscalité nationale ou encore un renforcement des pouvoirs des préfets de département « pour mieux satisfaire les demandes des élus ». La mission
se poursuit et les débats ne font que (re)commencer mais pour Vincent de Briant, « s’il y a bien une réforme territoriale à faire, c’est celle qui saura terminer celle entreprise par le Parlement depuis trente ans, et qu’il n’a jamais osé parachever, alors même que ses bases sont claires
et qu’il suffit désormais de les consolider ».

Le 3 novembre 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, a confié par lettre de mission à Éric Woerth, le soin de formuler des propositions en vue d’une nouvelle réforme territoriale répondant à plusieurs objectifs : « la simplification de l’organisation territoriale », la « clarification des compétences », « la simplification et l’adaptation des normes », « la consolidation des moyens à disposition des collectivités territoriales » et la « valorisation des fonctions électives locales » Pour le président de la République en effet, « les Français » ne se « retrouvent plus » dans un « enchevêtrement » d’où naît, selon lui, « une forme de confusion et de dilution des responsabilités », alors même qu’« aucune réforme d’ampleur n’a pu être menée pour remédier à cette situation ».

On voit mal comment le parlement actuel pourrait s’accorder sur une « réforme d’ampleur » à ce propos, en particulier si elle nécessite une réforme constitutionnelle. Néanmoins, s’il y a bien une réforme territoriale à faire, c’est celle qui saura terminer celle entreprise par le Parlement depuis trente ans, et qu’il n’a jamais osé parachever, alors même que ses bases sont claires et qu’il suffit désormais de les consolider.

Quelles sont ces bases ? Deux niveaux d’administrations décentralisées, l’un qui planifie le développement du territoire, et l’autre qui délivre des services de proximité à la population. De fait, ces deux niveaux existent déjà. Le premier, c’est la région qui exerce cette compétence depuis 1986 et qui ne demande qu’à le faire davantage. Le second est constitué par le « bloc communal » et les départements qu’il ne reste qu’à mieux intégrer entre eux. Cela passe d’abord par l’intégration communale et intercommunale, en chantier depuis 1992, et dont une étape cruciale a été franchie en 2015 avec l’inscription de quasiment toutes les communes dans un groupement dont la montée en compétence doit être poursuivie. Cela passe aussi par l’intégration départementale qui a débuté en 2010, avec la création des métropoles dont la vocation est d’exercer les compétences départementales sur leur territoire.

Nul besoin dans ce cadre de supprimer les communes ou les départements. Les métropoles sont des départements urbains, comme la Ville de Paris l’est déjà ou la métropole de Lyon, même si leur périmètre peut correspondre au département dont elles sont membres pour les plus grandes d’entre elles. Les départements ruraux ou
« rurbains » revendiquent pour leur part la même proximité au territoire que le bloc communal, avec lequel ils coopèrent déjà de multiples manières dans le but d’offrir le meilleur service à la population. Là encore, l’intégration est la voie à suivre – et elle est toute tracée – mais sur un autre modèle que le département urbain, celui du ­département intercommunal. Le conseiller départemental doit y être aussi conseiller « communautaire ». S’il peut y avoir un double mandat, c’est ici qu’il a du sens. C’est ici qu’il contribuera à la clarification de rôles, dans un département intercommunal qui n’a pas besoin de réforme constitutionnelle pour exister. De fait, lui aussi existe déjà.

À la différenciation de faire le reste, c’est-à-dire de faire du sur-mesure territorial, en Île-de-France, en Alsace ou ailleurs pour tenir compte des spécificités locales ou régionales, mais en conservant une ligne directrice que l’on retrouve dans beaucoup de pays européens, et qui s’appuie sur une approche fonctionnelle des compétences, à la fois plus claire et plus simple à mettre en œuvre que l’approche matérielle et ses « blocs de compétences introuvables. Ainsi, aux régions les « compétences législatives », et, d’autre part, des collectivités de proximité chargées de délivrer les services à la population, pour leur propre compte ou celui de l’État.

La décentralisation s’articule bien en effet, dans chacun de ces pays, avec la déconcentration, mais à la condition que l’une et l’autre soient clairement financées, ce qui n’est pas le cas en France. Or, l’intégration, même différenciée, des communes et des départements peut y contribuer, notamment sur le plan fiscal. Le bloc communal dispose toujours d’un pouvoir de taux sur les ménages et les entreprises. Y adjoindre les droits de mutations à titre onéreux qui financent mal les départements, pour partager le produit de l’ensemble au sein du département intercommunal serait beaucoup plus clair. Et on pourra savoir enfin qui fait quoi et à quel coût, en particulier si les exécutifs locaux sont clairement désignés comme tels au suffrage universel et que la démocratie participative est renforcée. 

Nul besoin pour tout cela d'une "réforme d'ampler". Tout ou presque est déjà dans les textes, mais deùeure invisible, ou en a été, in extremis, retiré. Car les bases de la "nouvelle organisation territoriale de la République" que la loi NOTRe (2015) aurait dû faire émerger, après trente années de mise en placee de ses différentes composantes, sont périodiquement remises en cause par le législateur lui-même. Surpris à chaque fois de sa propre témérité, il ne tarde pas en effet à tenter de défaire au moins en partie ce qu'il a lui-même voté. En définitive, l'ancien et le nouveau cohabitent, dans la plus grande confusion. Dès lors, nul besoin de tout réinventer. Il faut et il suffit de terminer la réforme territoriale "en cours" sans en changer à nouveau les bases, sans quoi il en résultera, une fois de plus, l'effet inverse de celui recherché : toujour plus de complexité et toujours moins de responsabilité. C'est cependant ce que l'on peut craindre, les mêmes causes produisant le plus souvent les mêmes effets.