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Transfrontalier, les perspectives du traité du Quirinal du côté italien

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Comme on le sait, le traité du Quirinal[1] et sa « Feuille de Route »[2], parmi les nombreux domaines de coopération abordés, consacrent une attention particulière à la « coopération transfrontalière » entre la France et l'Italie. À cet égard, il est ici proposé d'adopter le point de vue de l'analyse scientifique, dans une perspective de recherche action collaborative, afin de vérifier l'évolution des rapports dans les cadres juridiques et institutionnels des différents niveaux de gouvernement (État et collectivités territoriales) qui seront impliqués, à différents titres, par cet intéressant processus d'innovation dans les rapports de deux ordres juridiques nationaux, français et italien.


Il est intéressant de rappeler ce qui est prévu à l'article 10, paragraphe 2, du traité du Quirinal en relation à l’objectif de lever les obstacles à la coopération frontalière. À cet égard, les Parties s'engagent, entre autres, à attribuer aux « collectivités frontalières » et aux « organismes de coopération frontalière (...) de compétences appropriées pour dynamiser les échanges et la coopération », ainsi qu'à adopter « les modifications législatives qui sont nécessaires » pour une « plus grande coopération » et pour « la création de services publics communs », et de manière générale, « à encourager le dialogue entre administrations et parlements sur la transposition du droit européen ».

Plus précisément, la Feuille de Route prévoit la mise en place d’un mécanisme de recensement et d’analyse des obstacles à la coopération, jusqu’à leur résolution « par voie réglementaire, législative ou diplomatique », y compris en introduisant des dérogations locales. Ce mécanisme pourra être mis « à la disposition des autorités locales pour la réalisation de services publics partagés ».

Il est bien évident qu'il s'agit de mesures très innovantes qui nécessitent, avant tout, une connaissance mutuelle et complète des respectives cadres réglementaires, de représentation politique et d'administration qui concernent la coopération transfrontalière soit en France qu'en Italie. De plus, il sera nécessaire, lors de la mise en œuvre du traité, de faire preuve d'une volonté opérationnelle commune et partagée pour construire des solutions visant à relier, connecter et coordonner les différents et multiples niveaux de gouvernement des deux ordres nationaux pour assurer la poursuite concrète des engagements prévus par le traité dans une perspective globale et unitaire inspirée par la coopération transfrontalière.

Le versant italien de la diplomatie territoriale

Le système italien de la coopération transfrontalière relève de la matière des « relations internationales », une matière qui à l'origine était attribuée à la compétence des organes étatiques, vue l'appartenance traditionnelle de la politique étrangère aux pouvoirs de souveraineté typiques de l'État central, et qui a vu ensuite une plus large implication des collectivités territoriales. Cette démarche commence par la création des Régions, lesquelles même si prévues par la Constitution entrée en vigueur en 1948, à l'exception de celles dotées d'un statut spécial - à savoir la Sicile, la Sardaigne, le Trentin-Haut-Adige, le Val d'Aoste et le Frioul-Vénétie Julienne – n'ont été établies que depuis les années 1970.

Pour résumer, à l'origine la cession croissante de compétences en faveur des collectivités territoriales en matière de relation internationale était sanctionnée par des dispositions découlant de la législation nationale. Par la suite, la problématique a été abordée de manière assez approfondie dans la réforme constitutionnelle de 2001 (loi constitutionnelle n° 3 de 2001), qui a modifié le titre V de la deuxième Partie de la Constitution de façon très favorable à la décentralisation territoriale des compétences publiques. Plus concrètement, un vaste ensemble de textes législatifs ont été introduits pour favoriser la décentralisation des fonctions relevant le volet international, une réglementation qui non seulement a confirmé ce qui était prévu par les dispositions étatiques, mais qui a aussi globalement approfondi et consolidé les compétences des collectivités territoriales en matière de relations internationales1.

Les compétences des Régions italiennes en matière de relations internationales

En particulier, les Régions ont obtenu la compétence de « conclure des accords avec des États et des ententes avec des collectivités territoriales à l’intérieur d’un autre État » à deux conditions : dans les matières relevant de leur compétence législative et dans les cas prévus et selon les formes réglées par les lois de l’État. (article 117, paragraphe 9, de la loi constitutionnelle). Le pouvoir de conclure des traités (le treaty making power) par les Régions n'est pas une compétence entièrement pleine et autonome et elle reste limitée par les dispositions relevant de la Constitution établissant la répartition des compétences entre l'État et les Régions en matière de relations internationales2. En effet, L’État a le pouvoir exclusif de légiférer dans la matière de « politique étrangère et des relations internationales de l'État » (article 117, paragraphe 2 (a) de la Constitution), tandis que les Régions disposent d'une compétence législative concurrente en matière de « relations internationales des Régions » et de « commerce extérieur », des compétences régionales qui sont en outre exercées dans les limites des principes fondamentaux relevant de la législation de l’État. (article 117, paragraphe 3 de la Constitution). Enfin, les Régions et les Provinces autonomes de Trente et de Bolzano, dans les domaines relevant de leur compétence, disposent du pouvoir d’application et de mise en œuvre des accords internationaux dans le respect des règles de procédure établies par les lois de l’État (article 117 paragraphe 5, de la Constitution).

La loi n° 131 de 2003 (dite loi "La Loggia"), qui a appliqué les dispositions de la réforme constitutionnelle de 2001, a précisé davantage les limites des compétences régionales au niveau international. Il a été prévu (art. 6) que les Régions et les Provinces autonomes de Trente et de Bolzano, « dans les matières relevant de leur compétence législative », peuvent : « conclure avec d'autres États des accords de mise en œuvre et d'application des traités internationaux qui sont dûment entrés en vigueur, ou des accords techniques et administratifs, ou des accords de nature programmatique visant à favoriser leur développement économique, social et culturel » (art. 6, paragraphe 3) ; conclure, avec les collectivités territoriales à l’intérieur d’un autre État, « des accords visant à favoriser leur développement économique, social et culturel, ainsi que la réalisation d'activités de portée purement internationale » (art. 6, paragraphe 2) ; assurer « la mise en œuvre et l'exécution directe des accords internationaux ratifiés » (article 6, paragraphe 1).

Il convient de préciser que la délimitation du champ d'application matériel de l'action internationale des Régions se réfère aux « matières relevant de leur propre compétence législative ». À cet égard, il convient de souligner toutes les complications qui ont été rencontrées dans la pratique pour définir concrètement les limites des "matières" dans l’action législative régionale, qui ont fait et font toujours l’objet d'un important contentieux entre l'État et les Régions devant la Cour constitutionnelle, à l'instar de ce qui se passe dans les passages évolutifs des systèmes caractérisés par une importante décentralisation institutionnelle3. Ces difficultés se retrouvent forcément dans la répartition spécifique des compétences des Régions en matière de relations internationales.

Vers de nouvelles formes de collaboration entre les deux ordres juridiques ?

Par ailleurs, on pourrait soutenir que la mise en œuvre du traité du Quirinal représente une occasion pour mieux délimiter les espaces de compétence entre l'État et les Régions frontalières concernant les multiples champs d'action de la coopération transfrontalière4. De plus, grâce au potentiel d'innovation prévu par le traité, de nouvelles et meilleures formes de collaboration entre les deux ordres juridiques - et, en particulier, entre les différents niveaux de gouvernement qui jouent un rôle dans la « diplomatie territoriale »5 - peuvent également être mises à l'essai dans l'élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques visant à garantir des relations de coopération transfrontalière axées sur la réalisation des objectifs concrets fixés par le traité du Quirinal.

Cela s'appliquera également aux collectivités territoriales. En fait, la loi n° 131 de 2003 susmentionnée (art. 6, paragraphe 7) prévoit que « les Communes, les Provinces et les Villes Métropolitaines continuent à exercer des activités de portée purement internationale dans les matières qui leur sont attribuées, selon la réglementation en vigueur », dans le respect d’une condition préalable, à savoir communiquer préalablement toute initiative aux Régions compétentes, à la Présidence du Conseil des Ministres - Département des Affaires Régionales et au Ministère des Affaires Étrangères. En relation avec la "loi en vigueur", il convient de mentionner l'article 2 du D.P.R. du 31 mars 1994 (« Acte d'orientation et de coordination des activités extérieures des Régions et des Provinces autonomes »), qui précise les activités de « portée purement internationale » susmentionnées et attribuées aux collectivités territoriales.

En outre, en ce qui concerne les procédures à suivre pour les accords des Régions ou des Provinces autonomes avec d'autres États, pour les arrangements des Régions et des Provinces autonomes avec des entités étrangères similaires, pour les activités de portée purement internationale des collectivités territoriales, la réglementation en vigueur énoncée dans la loi n° 131 de 2003 dispose un ensemble de communications et d'autorisations qui prévoient l'implication du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale (en particulier, de la Direction Générale pour la Promotion du Système Pays, Direzione Generale per la Promozione del Sistema Paese - DGSP) et de la Présidence du Conseil - Département des Affaires Régionales, et d’autres lieux de jonction pour la coordination entre l'État et les collectivités territoriales.

Dans cette perspective également, il est clair que le traité du Quirinal, dans la partie relative à la mise en œuvre de mécanismes et de solutions innovantes, permettra d’amener la réglementation actuelle sur les activités internationales des collectivités territoriales vers une direction qui soit compatible aux objectifs d'interconnexion - aussi du côté des relations institutionnelles - envisagés par le traité du Quirinal6.

Il faut considérer, entre autres, que dans l'exercice de leurs activités internationales, toutes les collectivités territoriales (Régions et Collectivités locales) doivent respecter les obligations découlant de l'ordre juridique européen et des accords internationaux prévus par la Constitution (article 117, paragraphe 1, alinéa 2 lett. a, de la Constitution), comme le prévoit plus en détail la loi 131 de 2003 (art. 6), à partir de ce qui est prévu dans les « axes » et les « orientations de la politique étrangère italienne ». Plus précisément, les Régions doivent respecter les principes fondamentaux qui relèvent de la législation de l'État dans les matières faisant l’objet de législation concurrente (article 117, alinéa 3 de la Constitution) et respecter l'interdiction de prendre des engagements qui entraînent des obligations et des charges financières pour l'État ou qui portent atteinte aux intérêts des autres entités de la République, conformément à l'article 114, alinéa 1 de la Constitution. En ce qui concerne les collectivités territoriales, il existe également l'obligation de respecter, dans le cas des dépenses liées aux pactes de jumelage, la contrainte de ne pas créer de charges nouvelles ou accrues pour les finances publiques.

Il est donc évident que, puisque le traité du Quirinal se situe parmi « les axes et les orientations de la politique étrangère italienne », y compris donc les engagements en matière de coopération transfrontalière, il s'ensuit que même pour les collectivités territoriales concernées, les activités internationales devront également porter sur la poursuite concrète des objectifs susmentionnés. Dans le cas contraire, le pouvoir de substitution de l'État, prévu par la Constitution à l'article 117, paragraphe 5 (en cas de « manquement » de la mise en œuvre et de l’application des accords internationaux et des actes de l'Union européenne) et à l'article 120, paragraphe 2 (en cas de « non-respect » des normes et traités internationaux ou des normes communautaires), intervient dans les deux cas pour protéger la position de l'État à l’égard de l'ordre international.

Enfin, il faut remarquer que les mécanismes prévus par le traité prévoient également l'intervention d' « organismes de coopération transfrontalière », et cet aspect introduit une nouveauté importante qui pourrait déclencher des solutions innovantes pour la réglementation italienne en ce qui concerne l'intervention des différents niveaux de gouvernement et, en particulier, des collectivités territoriales (Régions et Collectivités locales) dans les relations internationales entre les Pays frontalières.

Réflexions de conclusion

En dernière analyse, les dispositions innovantes du traité du Quirinal en matière de coopération transfrontalière représentent une opportunité importante sur laquelle la réflexion scientifique, surtout celle orientée vers le soutien de l'action des institutions publiques locales, est appelée à jouer un rôle central.

Premièrement, parce que la discipline en vigueur en matière de relations internationales dans l'ordre juridique italien est appelée à faire face à la présence de nouveaux instruments de coopération renforcée qui, inévitablement, conduiront à une plus grande implication des collectivités territoriales (les Régions et les collectivités territoriales, c'est-à-dire les Villes métropolitaines, les Provinces et les Communes), pour la définition et mise en œuvre de différentes politiques publiques afin de poursuivre les intérêts sensibles dans les respectives communautés.

Deuxièmement, parce que les solutions qui seront envisagées du côté italien pour la participation des institutions nationales - centrales et décentralisées - au sein des multiples et originaux mécanismes de coopération transfrontalière entre l'Italie et la France, devront, d'une part, tenir compte de l'évolution actuelle de la répartition des compétences, et d'autre part, pourront représenter des expérimentations avancées de liaisons décisionnelles et opérationnelles entre les différents niveaux de gouvernement dans le système institutionnel national.

Il ne faut pas non plus oublier que les solutions qui seront envisagées dans le cadre de cette coopération transfrontalière pourraient ensuite être appliquées sur d'autres fronts de partage — voire de codécision — pour la poursuite d’activités internationales entre les institutions centrales, régionales et locales. La coopération transfrontalière entre la France et l'Italie pourrait, en d'autres termes, jouer le rôle d'un modèle susceptible d'être reproduit à une plus grande échelle.

Évidemment, il s'agit de relever des défis non seulement scientifiques, mais aussi culturels, pour lesquels la collaboration mutuelle entre les universités et les centres de recherche français et italiens sera un atout indispensable et décisif, surtout pour les Instituts de recherche, comme le CERDACFF et l'ISSiRFA-CNR, qui ont déjà convenu de coopérer pour offrir des analyses, des réflexions et des propositions utiles, y compris sur le plan institutionnel, afin de favoriser la poursuite des objectifs de la coopération transfrontalière de façon cohérente et correspondante aux exigences des collectivités territoriales.

G.S

Notes de bas de page

  • 1 Sur l'affirmation au niveau constitutionnel des compétences régionales en matière de relations internationales, nous renvoyons à A. D’Atena, Diritto regionale, Giappichelli, Torino, 2020, pp. 416 ss.

  • 2 Sur ces aspects, nous renvoyons pour des réflexions plus approfondies, également en relation avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, à A. Iacoviello – G. Saputelli, Rapporti internazionali e con l’Unione europea, en S. Mangiameli – A. Ferrara – F. Tuzi (a cura di), Il riparto delle competenze nell’esperienza regionale italiana tra materie e politiche pubbliche, Giuffrè, Milano, 2020, pp. 217 ss.

  • 3 Cet aspect a été constaté, par exemple, dans les systèmes juridiques américain et allemand.

  • 4 Sur les problèmes posés par la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle de 2003, nous renvoyons a B. Caravita – Giulio M. Salerno, Ripensare il Titolo V a vent’anni dalla riforma del 2001, in www.federalismi.it, n. 15, 16.6.2021, pp. V ss.

  • 5 Sur cet aspect de la coopération transfrontalière, nous renvoyons a R. Botteghi, Penser et vivre la coopération transfrontalière: les régions frontalières française, Strasbourg, Edition Steiner, novembre 2009.

  • 6 Sur la relation étroite entre les systèmes juridiques de l'Italie et de la France en matière de coopération internationale, nous renvoyons a G. Saputelli, Si lontaines, si proche”: le autonomie territoriali in Italia e in Francia e le prospettive di collaborazione alla luce delle più recenti evoluzioni normative, in Italian Papers on Federalism (www.ipof.it), 2022, n. 1, pp. 3 ss.