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Décider, attirer, ancrer

Et si gouverner un territoire ne consistait plus seulement à gérer des compétences, des flux ou des cartes administratives, mais à fabriquer du désir, à choisir une orientation, et à donner prise à l’avenir ? Ce dossier propose d’explorer les trois actes du gouvernement des lieux : décider, attirer, ancrer — une trilogie qui, au-delà de sa dimension programmatique, dit quelque chose des tensions contemporaines
de l’action publique.

Décider, aujourd’hui, n’est plus simplement trancher ou arbitrer. C’est souvent naviguer dans l’incertain, composer avec des logiques multiples, et affronter l’imbrication des responsabilités. C’est ce que montre l’analyse des recompositions silencieuses de la gouvernance territoriale, entre illusion participative, retour de l’État et complexification institutionnelle. Le pouvoir local semble écartelé entre promesse d’autonomie et reprise en main. Décider devient alors un acte relationnel, pris dans des jeux d’échelles, d’affects, et de légitimités variables.

Attirer, c’est le nouveau totem. Celui de la « désirabilité », terme pivot qui irrigue bien des politiques — des tiers-lieux aux stratégies touristiques, des écoquartiers aux campagnes réinventées. Mais à force de vouloir séduire, ne finit-on pas par exclure ? Dans un contexte de fractures sociales, de montée des inégalités territoriales et de dérèglements écologiques, la notion d’attractivité mérite une lecture critique. Qui attire-t-on ? À quel prix ? Et pour quoi faire ? Entre marketing territorial et quête de sens, il s’agit aussi de redonner voix à celles et ceux qui vivent, habitent, et résistent à la mise en désir de leur espace.

Ancrer, enfin, c’est refuser la superficialité du passage. C’est prendre le temps du rivage, des marges, de la profondeur. Les articles réunis dans la deuxième partie du dossier — des ports aux petites îles, de la maritimité aux cités littorales — dessinent une autre façon de penser le territoire : depuis la mer, depuis l’instable, depuis la vulnérabilité. Ces lieux, longtemps considérés comme périphériques, deviennent aujourd’hui les révélateurs d’un monde en mutation. Le rivage n’est plus un bord, il est un miroir. Un laboratoire. Une frontière mobile où se réinvente l’action publique, entre préservation, résilience
et diplomatie écologique.

Ce dossier est donc une invitation à penser les territoires non plus seulement comme des surfaces à occuper, mais comme des trajectoires à infléchir ensemble. Il propose d’interroger l’action publique non à partir de ses normes, mais de ses effets sensibles : ce qu’elle fait aux lieux, à leurs habitants, à leur avenir.
Décider, attirer, ancrer — trois gestes simples en apparence, mais qui, replacés dans nos géographies mouvantes, deviennent des exercices d’équilibrisme politique et poétique.