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L'actualité de la politique d'aménagement du territoire

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Aujourd’hui, décentralisation et politique d’aménagement du territoire tendent à se confondre. L’aménagement est ainsi en voie de territorialisation. À la clef, le législateur propose un nouveau vocable pour servir de support conceptuel à cette politique soutenue par un discours volontariste : proximité, subsidiarité, différenciation. Il s’appuie également sur une boîte à outils dont l’analyse révèle néanmoins une certaine ambivalence. Les conséquences difficilement lisibles de ces transformations laissent les élus perplexes quant à leur liberté de s’adapter. L'actualité de la politique d'aménagement du territoire est marquée par deux textes emblématiques des questions territoriales. Il s'agit de la loi Climat et Résilience et de la loi 3Ds. La politique nationale souffre d'un désengagement de l'État. Pourtant, ce dernier peut-il se passer d’une politique d’aménagement du territoire national et se reposer sur les collectivités comme sur d’autres branches de l’action publique locale que sont l'environnement ou l'urbanisme pour gérer cette problématique ?


 

L'actualité de l'action publique en matière d'aménagement doit s'appréhender au regard de la recomposition de la décentralisation et de la transformation du couple État - collectivités territoriales. D’ailleurs, la recherche d'un nouvel équilibre entre le centre et la périphérie anime les récents textes législatifs. En l'occurrence, on note un processus de rééquilibrage. En effet, on constate un désengagement de l’État dans le domaine de l'aménagement du territoire et paradoxalement un État trop centralisateur. Les collectivités territoriales aspirent désormais à être de véritables partenaires de l'État, à moins de verticalité « conduisant à faire, trop souvent, des collectivités territoriales de simples opérateurs de l’État, et non des administrations publiques à part entière disposant d’une libre administration... »1. Le temps est au rééquilibrage de la décision publique, à la co-construction des politiques publiques.

Ces aspirations traduisent une crise de la décentralisation, d'autant que les grands défis du XXIe siècle doivent pouvoir être relevés par tous, spécialement pour les questions actuelles liées au développement durable. De ce point de vue, il est sûrement dépassé de n'évoquer que les seuls termes d'aménagement du territoire. On est désormais passé au stade de l'aménagement durable du territoire. Et ce, d'autant que « le changement climatique, la préservation de la biodiversité et la maîtrise de l'énergie sont devenus des composantes stratégiques à part entière du développement des territoires »2 . Ainsi, il ne s'agit plus seulement d'assurer la résilience du territoire, mais des territoires. Les collectivités territoriales sont confrontées à des risques sociétaux connus et elles se doivent d'organiser la résilience de leurs territoires qui participe plus globalement à celle du territoire national.

Les collectivités territoriales sont d'autant plus mobilisées que l'État, qui s'est largement désengagé de la politique d'aménagement du territoire, est tenu par des obligations de droit international en matière de changements climatiques. On sait que l'État a vu sa responsabilité engagée par le juge administratif en raison de ces manquements en ce domaine. En réaction, l'État légifère largement ; il enrichit les codes mobilisables : codes de l'urbanisme, de l'environnement, de la construction et habitation et bien sûr le Code général des collectivités territoriales. L'aménagement du territoire n'est pas que politique, il s'est clairement juridicisé pour pouvoir être mis en œuvre à l'échelle des différentes collectivités.

L'actualité législative tente une décentralisation de la politique nationale d'aménagement du territoire : on peut même aller jusqu'à dire que la décentralisation, telle qu'engagée, se confond avec la politique d'aménagement du territoire. Elle cherche à fournir une réponse aux besoins de s'adapter aux spécificités locales et pour permettre aux collectivités territoriales de mener une politique de proximité, de subsidiarité, de différenciation. L'aménagement est clairement en voie de territorialisation (I). Bien évidemment, ce processus nécessite un accompagnement de l'État. Mais l'État encadre plus qu'il ne dirige (II).

Jamais le titre du portefeuille ministériel de Jacqueline Gourault qui a porté la loi 3Ds3 à la fin du quinquennat n'aura été aussi exact dans l'objectif à atteindre : la cohésion des territoires et les relations avec les collectivités territoriales. Mais, comme il n'y a plus d'aménagement du territoire comme dans les années 1960, celui-ci a dû se réinventer, ce qui suppose de la flexibilité dans la décentralisation et l'exercice des compétences.

Un aménagement en voie de territorialisation

Pour servir cette ambition, le législateur est intervenu, non sans l'influence décisive du Sénat. La loi 3Ds, notamment, a eu pour volonté de faire évoluer significativement les relations État-collectivités territoriales. Cette transformation de la décentralisation pour envisager une nouvelle version de l'aménagement du territoire repose, en vertu de la loi 3Ds notamment, sur de nouveaux concepts ou du moins sur une nouvelle terminologie (A). Sur ce fondement, il sera nécessaire de repérer quels sont les outils mis à disposition (B). Ainsi, en substance, il y a une nouvelle boîte à idées, accompagnée d'une boîte à outils au sujet de laquelle nous soulignerons une certaine ambivalence.

Le support « conceptuel » de la territorialisation

Les pouvoirs publics tiennent un discours très volontariste, soutenu par un nouveau vocabulaire, voire une nouvelle philosophie, pour laisser plus de souplesse aux collectivités.

Une nouvelle philosophie dans les textes récents

La loi 3Ds est riche d'une terminologie en vogue. Elle entend promouvoir la différenciation territoriale. Ce principe est considéré par ses auteurs comme « la pierre angulaire de ce projet de loi ». La différenciation territoriale « consiste à attribuer par la loi des compétences spécifiques à une collectivité territoriale (ou à donner) aux collectivités territoriales la capacité à exercer de manière différente une même compétence »4. Outre ce principe de différenciation, viennent en appui les principes de proximité et de subsidiarité qui s'imposent dans le vocabulaire du législateur sans que nécessairement toutes les clefs de compréhension soient données. Mais l'idée est qu'ils doivent théoriquement permettre aux collectivités de rebattre les cartes des compétences. De ce point de vue, la loi 3Ds « concrétise l’engagement du Président de la République, pris à l’issue du grand débat national, d’ouvrir "un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire" »5.

La présentation de la loi 3Ds en conseil des ministres est éclairante : elle « a pour objectif de répondre aux besoins concrets et opérationnels des collectivités locales et de leur permettre de conduire une action plus adaptée aux particularités de chaque territoire, en assouplissant un cadre trop souvent rigide et uniforme. Il s’agit également de donner les moyens de répondre aux besoins de proximité et d’efficacité exprimés par les Français »6. L’État souhaite « un nouveau pacte territorial fondé sur la confiance (…), une conception plus partenariale qu’unilatérale des politiques publiques »7. Les termes choisis traduisent un discours très persuasif pour conforter les relations de confiance entre l’État et les collectivités territoriales.

Un discours politique volontariste

La différenciation territoriale, c’est « donner aux collectivités la souplesse nécessaire pour adapter leur action aux particularités et aux attentes de leur territoire ». La décentralisation c’est « faire confiance aux élus locaux pour relever, dans la proximité, les grands défis du pays » ; la déconcentration permet de « rapprocher l’État du terrain, en soutien des collectivités » ; enfin la simplification vise à « faciliter l’action publique locale ». Pour autant qu'en est-il de la réception ? Malgré un discours affirmé, les élus ont exprimé leurs réserves sur la méthode employée par le Gouvernement, notamment s’agissant de la détermination des compétences ouvertes à des transferts à la carte. L'approche ascendante (dite « bottom-up »), et non descendante (dite « top-down »), aurait dû plutôt être adoptée8. De même, les élus craignent pour la clarté et l’intelligibilité de l’action publique, alors que les lois des 27 janvier 20149 et 7 août 201510 ont déjà procédé à la définition des blocs de compétences avec la détermination de référents. La remise en cause de cette logique risque d’induire une complexification importante du droit en vigueur, tant pour les élus que leurs administrations. La cohérence d’ensemble risque de manquer de lisibilité. Au-delà des idées, peut-être perturbatrices, du moins tant qu'elles n'ont pas suffisamment de consistance, il est nécessaire de s'interroger sur la boîte à outils donnée pour favoriser l'adaptation de l'aménagement des territoires.

La boîte à outils de la territorialisation

L'étude des textes révèle une certaine ambivalence des outils mis à disposition des élus. Ce point de vue pourra être confirmé en s'appuyant sur un exemple topique, celui de l'aménagement du littoral.

Le caractère ambivalent des moyens

On note en substance la présence d'outils modulables, à même de permettre un fort potentiel d'adaptation et de différenciation de l'action publique locale, du moins si les collectivités s'en saisissent. L'État veut d'une part favoriser l'innovation, en facilitant l'expérimentation dans le prolongement de la loi organique du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations. Or, on peut se poser la question de savoir si les expérimentations en matière d'aménagement du territoire sont vraiment pratiquées ? On peut être sceptique11. La loi 3Ds allège certes les contraintes pour y procéder, mais il n'y a pas suffisamment de recul pour prédire du succès de l'expérimentation postérieurement à cette nouvelle loi. L'État entend d'autre part autoriser les transferts de compétences « à la carte ». Cependant, on sait que les élus doutent de la pertinence d'une détermination de compétences à la carte qui vient d'en haut. Par ailleurs, on peut ici s'interroger sur le point de savoir si les collectivités « majeures » (régions, métropoles, intercommunalités) laisseront une liberté dans la redistribution des compétences aux collectivités « mineures ».

Cependant, malgré ces outils de flexibilité dont on mesure mal l'impact, il faut garder à l'esprit qu'ils sont d'une facture des plus classiques. On retrouve des vecteurs traditionnels : la planification, le contrat, le pouvoir réglementaire. Néanmoins, malgré tous les doutes existants, le point certainement le plus positif est celui d'avoir permis aux collectivités de pouvoir s'appuyer sur l'ingénierie de l'État afin de mettre en œuvre une politique d'aménagement territorialisée. La réforme législative a visé en effet à faciliter le partage de l'expertise d’État avec les collectivités territoriales, notamment avec le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), et pour lequel une gouvernance partagée a été organisée12. L'État cherche ainsi à se rapprocher de sa base et tisse des liens pour faciliter l'action publique territorialisée. Il a de même renforcé le rôle donné au préfet de région pour faciliter une meilleure articulation avec les divers services de l’État. On perçoit à la lecture des textes une nette transformation de l'action publique pour lui permettre de coller aux réalités du territoire. Il nous semble alors pertinent de s'arrêter sur une illustration qui se trouve au cœur de cette territorialisation souhaitée, revendiquée et consentie, l'aménagement du territoire littoral. À l'appui de cet exemple de territorialisation, force sera de mesurer, là encore, le caractère ambivalent de celle-ci.

Le caractère ambivalent de l'aménagement du littoral

En matière d'aménagement du littoral, l'ambivalence de la territorialisation se manifeste avec force. En effet, d'une part, il y a un mouvement puissant, et amorcé bien avant la loi climat et résilience13 pour laisser aux collectivités une liberté de s'adapter. D'autre part, il y a aussi une obligation de s'adapter aux contraintes territoriales. La territorialisation est alors plus subie que souhaitée par les collectivités, spécialement pour intégrer les conséquences des risques climatiques. La territorialisation n'est donc pas nécessairement qu'une liberté joyeuse à mettre en œuvre, même si elle permet pour autant une flexibilité de la décentralisation.

La territorialisation, la liberté de s'adapter

Pour illustrer cette réalité d'une action publique territorialisée, la mise en œuvre de la loi littoral et, en association avec cette loi, la thématique de l'implantation des éoliennes semble un bon révélateur. Le désir d'une adaptation de la loi littoral aux spécificités du territoire a été régulièrement exprimé par les élus, tant les règles de cette loi sont contraignantes. Sur ces fondements, la jurisprudence empêche le maire d'une commune de Bretagne d'implanter des éoliennes, qui constituent une « extension de l’urbanisation », sans respecter la règle de la continuité avec les agglomérations et villages existants14. Ainsi, le maire qui soutient une politique pro-environnementale en favorisant les énergies renouvelables, s'est trouvé confronté à une interdiction de faire, en raison d'une loi de protection de l'environnement. Le paradoxe est évident. Aussi, la solution choisie par ce maire sera de faire modifier les limites territoriales de sa commune pour ne plus se trouver soumis aux rigueurs de la loi littoral15. En conséquence, il était nécessaire de trouver des moyens de s'adapter, et le juge administratif comme l'État ont offert de nouvelles modalités d'adaptation. Le SCoT depuis la loi ELAN laisse désormais la souplesse nécessaire aux intercommunalités16.

Puis, l'État a permis de débloquer les verrous qui empêchaient les communes d'implanter des éoliennes sur la côte littorale. Certaines solutions ont d'abord été du « cousu main »17. Ensuite, un régime dérogatoire a été accordé à certaines collectivités pour l'implantation de telles installations18 pour être après coup étendu à toute la métropole19. Enfin, la loi 3Ds laisse les communes ou intercommunalités récupérer la main, puisqu'elles peuvent réglementer l'implantation des éoliennes dans le cadre des PLUi (article 35) en pouvant imposer certaines conditions. La compréhension de l'État pour une plus grande liberté de faire au profit des collectivités territoriales ne se limite donc pas à un discours, c'est aussi une réalité. Pour autant, la territorialisation peut également constituer une contrainte certaine pour les collectivités. Elle peut être synonyme de l'obligation de s'adapter aux contraintes du territoire, notamment lorsque celui-ci est soumis aux aléas climatiques, au recul du trait de côte. Si l'adaptation est dans certains cas choisie et soutenue par l'État, elle peut être aussi subie par les collectivités territoriales. La territorialisation reste donc profondément ambivalente.

La territorialisation ou l'obligation de s'adapter aux contraintes du territoire

La politique d'aménagement doit s'adapter aux risques naturels, et entre autres, au phénomène d'érosion sédimentaire du littoral qui est d'actualité législative et réglementaire. Le recul du trait de côte est une menace identifiée, tant par constat évident de drames survenus20, que par les études scientifiques établies par l'État, en l'occurrence le CEREMA grâce à un indicateur national d'érosion côtière. Il s'agit non seulement d'une menace présente (près de 20 % du trait de côte naturel est en recul) mais aussi établie à horizon lointain (100 ans). L'État a alors établi une liste de 126 communes vulnérables21 pour que celles-ci puissent véritablement se saisir du problème. Pour les pouvoirs publics, ce phénomène exige un projet de territoire. En l'espèce, les collectivités territoriales doivent concevoir des stratégies locales pour renforcer la résilience de leurs espaces littoraux, dans la lignée de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte initiée en 2012. En pratique, les contraintes sont fortes en termes de constructibilité (interdiction, limitation, destruction) avec l'obligation pour les collectivités d'acquérir les biens menacés par le recul du trait de côte grâce à un droit de préemption spécifique.

Certes, les collectivités concernées conserveront leur faculté de s'organiser pour des relocalisations, ou encore les projets de renaturation des espaces libérés ou même pour prévoir des affectations ou des usages compatibles avec l'érosion côtière. Oui, mais à quel prix ? Dans cette perspective, la loi Climat et résilience prévoit que les stratégies locales peuvent faire l'objet de conventions conclues avec l'État en vue d'établir la liste des moyens techniques et financiers à mobiliser par les autorités nationales et locales. Oui, mais dans quelles proportions ? L'État accompagne donc la recomposition des territoires, littoraux. Sans grande clarté pratique néanmoins dans la répartition des charges. La politique d’aménagement du territoire utilise désormais le véhicule de la décentralisation, au sens large, pour exister car, en effet, elle se fait discrète au niveau national.

Une politique nationale qui accompagne plus qu’elle ne dirige22

« C’est à une époque toute récente au milieu du XXe siècle seulement, que des inégalités de revenus et de niveaux de vie, jusqu’alors acceptées entre régions d’un même pays, ont été jugées dangereuses au point de vue économique et difficilement tolérables au point de vue social »23. Il s’agit d’une justification de la politique d’aménagement du territoire conçue comme une politique économique de l’espace. Or, récemment les critiques à l’égard de la politique de l’État ont été nombreuses et certains rapports demandent une relance vigoureuse de la politique étatique d’aménagement du territoire24. En effet, en 2017, les sénateurs Maurey et de Nicolaÿ définissaient l’aménagement du territoire comme « le moyen d’un développement durable et choisi. Son objectif premier est d’assurer une répartition équilibrée des ressources afin de donner à l’ensemble des citoyens, quelle que soit leur localisation, en métropole et en outre-mer, les moyens de se développer comme ils le souhaitent. Il s’agit de créer les conditions favorables à un épanouissement individuel et collectif dans tous les espaces de la République ». Entre les deux définitions, il semble que l’on assiste à un glissement de la problématique de la lutte pour l’égalité vers une problématique de lutte contre les inégalités. Entre 1985 et 2017, la définition a considérablement évolué vers une dimension plus singulière de l’aménagement du territoire. On garde cependant le lien avec les questions d’égalité notamment de traitement, comme d’équité. La nouveauté réside, depuis le milieu des années 1990, dans la volonté de rétablir l’égalité par la voie de la différenciation. Les deux textes que sont la loi organique et loi 3Ds25 « s’inscrivent dans le renouveau de l’aménagement du territoire »26. Dans l’esprit du législateur la différenciation est étroitement reliée à l’idée d’aménagement du territoire et de justice spatiale27. Pour les auteurs du texte il ne fait pas de doute que permettre de différencier les compétences et les normes entre un même niveau de collectivité doit servir les enjeux de justice territoriale.

Le contexte

En 2017, un rapport sénatorial dresse un constat sévère de la situation de la politique d’aménagement du territoire qui est, selon les auteurs Maurey et de Nicolaÿ, dans un état de quasi-abandon. L’État se contente d’une simple politique d’accompagnement sans cohérence d’ensemble et se révèle aujourd’hui fragmenté et presque inexistant pour porter un développement cohérent des territoires. Le rapport illustre l’abandon de la conception classique, selon laquelle la frontière fait le territoire, au profit d’une ambition nouvelle, où le territoire est le fruit d’un projet stratégique. La mission des pouvoirs publics est alors de créer les conditions d’une égalité des chances entre territoires. « L’aménagement n’est pas une fin en soi mais le moyen d’un développement durable et choisi, son objectif premier est d’assurer une répartition équilibrée des ressources, (…) il s’agit de créer les conditions favorables à un épanouissement individuel et collectif dans tous les espaces de la République. L’une des conséquences de la territorialisation de l’aménagement réside dans l’affaiblissement de la capacité de l’État à agir seul. Désormais, les régions et les grandes intercommunalités ont les moyens comme la responsabilité d’aménager leur territoire. Plus le territoire est vaste, plus le potentiel d’aménagement est élevé. Cela va même plus loin puisque la réforme territoriale tient lieu de politique d’aménagement du territoire notamment avec la mise en place des grandes régions et l’affirmation des métropoles.

La fusion des régions, la réactivation des SRADDET, la création de DATAR régionales ont fait de la région la collectivité phare en la matière. L’affirmation des métropoles par la loi MAPTAM de 2014 a mis en lumière le besoin d’une politique en faveur des villes moyennes Celle-ci sera mise en œuvre en 2018 et s’intitule action cœur de ville. Elle est à destination de 222 communes ce qui représente 20 millions d’habitants. Dans la foulée une intervention en faveur des petites villes de demain sera instituée à partir d’octobre 2020 et concerne 1600 communes de moins de 20 000 habitants. Ce volet de l’action publique constitue le levier de lutte contre la fracture territoriale accentuée par la métropolisation. Il ne s’agit pourtant pas d’une politique volontariste mais de conséquences induites par les réformes territoriales qui impactent le territoire. Comme le relèvent les auteurs du rapport, l’agrandissement des régions implique un effort particulier d’aménagement compte tenu de la diversité accrue des territoires qui les composent désormais (…) afin d’assurer un développement équilibré de l’espace régional. Autre politique essentielle celle qui se décline en matière de finances et de fiscalité locales et qui a également pour raison d’être d’amortir l’effet des déséquilibres spontanés. La réforme territoriale depuis 2010 a eu plus d’impact sur la politique d’aménagement du territoire qu’on ne veut bien le dire.

Les textes récents

L’actualité de l’aménagement du territoire se concentre autour de deux textes emblématiques de l’action publique locale et concerne spécifiquement le droit de l’environnement et de l’urbanisme. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 légalise le zéro artificialisation nette (ZAN) et renforce les moyens de lutte contre l’artificialisation des sols, alors que la loi 3Ds du 21 février 2022 revisite le régime des opérations de revitalisation de territoire. Pour le ZAN, s’il s’agit à proprement parler d’une politique d’aménagement urbain, les répercussions en matière d’aménagement du territoire ne sont pas négligeables. Notamment les petites communes y voient une entrave à leur développement et la réintroduction d’une inégalité de traitement. Sur le fond, la sobriété foncière rejoint les préoccupations environnementales de la transition écologique. Le ZAN impacte le potentiel d’urbanisation des communes et peut atténuer les capacités de développement des communes notamment des petites.

Ayant fait l’objet d’un rapport sénatorial de mai 202128, la lutte contre l’artificialisation des sols devient l’un des objectifs généraux de l’action des collectivités territoriales en matière d’urbanisme29. L’article 191 de la loi Climat et Résilience dispose qu’afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisatioin des sols dans les 10 années suivant la promulgation de la loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les 10 années précédant cette date. Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée dans les conditions fixées par la loi. Cette politique fait l’objet d’une évaluation au niveau local avec un rapport donnant lieu à débat de l’Assemblée délibérante une fois tous les trois ans et une évaluation nationale une fois tous les cinq ans. La loi d’août 2021 institue par ailleurs un article L 101-2-1 dans le Code de l’Urbanisme qui vient prévoir que le ZAN résulte de l’équilibre entre la maîtrise de l’étalement urbain, le renouvellement urbain, l’optimisation de la densité des espaces urbanisés, la qualité urbaine, la préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville, la protection des sols, des espaces naturels, agricoles et forestiers, la renaturation des sols artificialisés30.

La deuxième actualité législative est constituée par l’adoption de la loi 3Ds le 21 février 2022 avec des modifications apportées au régime des opérations de revitalisation de territoire (ORT) apparues dans la loi ELAN du 23 novembre 201831. Les ORT ont pour objet la mise en œuvre d’un projet global de territoire destiné à adapter et moderniser le parc de logements et de locaux commerciaux et artisanaux ainsi que le tissu urbain du territoire pour améliorer son attractivité, lutter contre la vacance des logements et des locaux commerciaux ainsi que contre l’habitat indigne, réhabiliter l’immobilier de loisir, valoriser le patrimoine bâti et réhabiliter les friches urbaines, dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable. Deux programmes de l’État sont conduits via les ORT, il s’agit d’action cœur de ville (pour les villes moyennes) et de petites villes de demain. Le programme petites villes vise à renforcer les fonctionnalités des petites villes afin d’améliorer le cadre de vie en milieu rural et de conforter leur rôle éminent dans la transition écologique et l’équilibre territorial. Ces opérations donnent lieu à une convention entre l’État, ses établissements publics intéressés, un EPCI à fiscalité propre et tout ou partie de ses communes membres comme à toute personne prenant part à la réalisation des opérations prévues. La convention définie le projet urbain, économique et social de revitalisation de territoire concerné, favorisant la mixité sociale, le développement durable, la valorisation du patrimoine et l’innovation. La loi 3Ds vise à faciliter la création d’ORT. L’article 95 étend le champ matériel des opérations de revitalisation des territoires. Il est désormais possible de conclure une ORT dans une ou plusieurs communes d’un EPCI sans que la ville centre n’en fasse partie, sous réserve de présenter une situation de discontinuité territoriale ou d’éloignement par rapport à la ville centre et d’identifier en son sein une ou des villes présentant des caractéristiques de centralité.

L’article 96 introduit une nouvelle dérogation aux règles du PLU dans les ORT. L’article L152-6-4 du CU est modifié avec la possibilité de déroger, au sein du périmètre d’une ORT, aux règles du PLU portant sur la distance par rapport aux limites séparatives, le gabarit et la densité des constructions, les obligations en matière de stationnement, ainsi qu’aux règles encadrant la destination. L’article 97 permet une expérimentation du transfert de compétence des autorisations d’exploitation commerciale (AEC) dans les ORT. Le transfert de la compétence en matière de délivrance des AEC se fait à l’autorité compétente en matière d’urbanisme. Les communautés urbaines et les métropoles peuvent participer à l’expérimentation sans avoir à conclure une ORT. De manière générale, la loi 3Ds vise à accélérer la revitalisation des territoires. Il sera par exemple possible de conclure plusieurs ORT sur un même EPCI dès lors que la convention couvre au moins une commune ayant fonction de centralité. Les collectivités pourront étendre les dispositifs des ORT sur des secteurs périphériques (entrées de ville, zones commerciales ou pavillonnaires) afin de favoriser leur réhabilitation. Des dérogations aux règles d’urbanisme du PLU sont possibles afin d’accompagner les projets de transformation de ces zones. Ces dérogations pourront favoriser des formes urbaines plus denses et diversifier les constructions présentes dans une zone. L’expérimentation est prévue pour 6 ans et permettra une décentralisation des AEC aux collectivités pour faciliter les stratégies de transformation des zones commerciales existantes pour lutter contre la vacance et favoriser l’implantation de nouveaux commerces.

Le désengagement de l’État n’est pas complet et on assiste à une mutation de l’action publique moins volontariste, plus décentralisée et surtout qui emprunte d’autres canaux comme le droit des collectivités, de l’environnement et de l’urbanisme pour faire advenir les préoccupations d’aménagement du territoire. Pourtant, l’État peut-il se passer d’une politique d’aménagement du territoire nationale et se reposer sur les collectivités comme sur d’autres branches de l’action publique locale ?

F.L ; A.R

Notes de bas de page

  • 1 Conseil National d'Evaluation des Normes (CNEN), Séance du 1er avril 2021, Délibération n° 21-04-01-02483, point n°9, in https://www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr/inlinedocs/1a170211eff78507ec2b6f5e039f5eb1/avis-du-cnen-pjl-4d-seances-du-1er-et-30-avril-2021.pdf

  • 2 Rapport d'information n° 565 (2016-2017) de MM. Hervé MAUREY et Louis-Jean de NICOLAY, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, déposé le 31 mai 2017, in https://www.senat.fr/rap/r16-565/r16-565_mono.html#toc190

  • 3 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale

  • 4 cf. Présentation du projet de loi 3Ds, ministère de la cohésion et des territoires, in https://www.prefectures-regions.gouv.fr/bretagne/content/download/66120/433427/file/L19193_DP_loi-3D_web.pdf

  • 5 cf. https://www.vie-publique.fr/discours/279824-conseil-des-ministres-12052021-projet-de-loi-3-d

  • 6 Conseil des ministres : https://www.vie-publique.fr/discours/279824-conseil-des-ministres-12052021-projet-de-loi-3-d)

  • 7 CNEN, Séance du 1er avril 2021, Délibération n° 21-04-01-02483, point n° 7.

  • 8 CNEN, ibid. n° 13

  • 9 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique

  • 10 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale

  • 11 Crouzatier-Durand, Florence, L'expérimentation n'est pas très expérimentée par les collectivités. La gazette des communes, des départements et des régions (2301). p. 62-63. In, publications U- Toulouse, 2016, http://publications.ut-capitole.fr/19463/

  • 12 Cf. https://www.cerema.fr/fr/cerema/gouvernance/conseil-strategique

  • 13 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience

  • 14 CE 14 novembre 2012 Société Néo Plouvien, req. n° 347778

  • 15 Cf. CAA Nantes, 8 mars 2019, n° 18NT02284 et arrêté préfectoral du 19 janvier 2015 modifiant le territoire de la commune de Plouvien

  • 16 Conseil d'État, 11 mars 2020, Confédération Environnement Méditerranée et autres, n°419861. Lire les remarquables conclusions de Louis Dutheillet de Lamothe, https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2020-03-11/419861?download_pdf.

  • 17 Cas du permis précaire délivré le 4 octobre 2018 par l'État d'implanter pendant 15 ans une éolienne sur une petite île de la côte Atlantique non connectée au réseau (île de Sein), CAA de NANTES, 17 janvier 2020, n°19NT00662. A noter que l'article L. 121-5-1 du code de l’urbanisme introduit par la loi ELAN du 23 novembre 2018 dispose que dans les zones non interconnectées au réseau électrique métropolitain continental dont la largeur est inférieure à dix kilomètres au maximum, les ouvrages nécessaires à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables peuvent être autorisés par dérogation.

  • 18 Dérogation au principe de continuité pour les éoliennes situées en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à la Réunion et à Mayotte, C. urb., art. L. 121-39

  • 19 La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a généralisé la dérogation précitée note 19, C. urb., art. L. 121-12

  • 20 Notamment la tempête Xynthia (février 2010), dans une moindre mesure, l'immeuble Le signal à Soulac sur mer.

  • 21 Décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 établissant la liste des communes dont l'action en matière d'urbanisme et la politique d'aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l'érosion du littoral

  • 22 Il s’agit d’ailleurs d’une demande du Conseil national d’évaluation des normes dans sa délibération du 1er avril 2021 sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, en son point 9. Le CNEN relève notamment que « des dispositifs construits au niveau local seront toujours plus adaptés qu’un cadre défini exclusivement au niveau national ».

  • 23 J. Lajugie, P. Delfaud, C. Lacour, Espace régional et aménagement du territoire, 2e éd., Dalloz, 1985.

  • 24 Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, H. Maurey et L.J. de Nicolaÿ, Sénat, n° 565, 31 mai 2017.

  • 25 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

  • 26 Exposé des motifs du projet de loi 3Ds.

  • 27 V. Dussart, F. Lerique, Justice spatiale et politiques publiques territoriales, Ouvrage collectif, Mare & Martin, à paraître, 2022.

  • 28 Rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur l’objectif de zéro artificialisation nette à l’épreuve des territoires, J.B. Blanc, AC. Loisier, C. Redon-Sarrazy, Sénat, n° 584, 12 mai 2021.

  • 29 Article L 101-2 du Code de l’Urbanisme est modifié en ce sens.

  • 30 Le décret relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols a été publié le 6 mai 2022.

  • 31 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.