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L'intercommunalité aujourd'hui, ajustement ou enlisement ?

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Depuis la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, l’intercommunalité est construite autour de la distinction entre « l’intercommunalité de services » reposant sur la gestion commune de services publics locaux et « l’intercommunalité de projet » requérant des formules institutionnelles plus intégrées[1]. Ainsi qu’en disposent à peu près dans les mêmes termes les articles L.5214-1 et L.5216-1 du CGCT, les communes s’associent « au sein d’un espace de solidarité en vue d’élaborer [et conduire] ensemble un projet commun de développement ». Le passage d’une intercommunalité à l’autre était censé traduire la révolution intercommunale[2] inaugurée en 1992 et confortée par une succession de textes, lois Chevènement du 12 juillet 1999[3], MAPTAM du 28 juin 2014 [4]et NOTRe du 7 août 2015. 30 ans après, il faut bien convenir que si la révolution était possible[5], la révolution n’a pas eu totalement lieu et un sentiment général d’enlisement prédomine.


 

Si un sentiment général d’enlisement prédomine, à qui la faute ? D’abord, bien sûr, au poids de notre culture politique où les communes occupent une place singulière : à la fois, comme l’expliquait déjà Tocqueville au milieu du XIXe siècle, héritières des paroisses et des bourgs de l’Ancien Régime et déjà cellules de base de la démocratie moderne alors en devenir. Au conservatisme des associations d’élus et du Sénat, aussi, où la coalition des maires, longtemps aidée par le cumul des mandats, a opposé une approche communaliste de l’intercommunalité, limitant au strict nécessaire l’intégration des communes au sein d’ensembles plus vastes. Au « moment » Hollande de la réforme territoriale, enfin, du moins aux lois adoptées sous sa présidence, les lois NOTRe et MAPTAM, lesquelles ont cherché à précipiter le mouvement en imposant des réformes mal préparées : accélération des transferts de compétences, fusion autoritaire des EPCI, création obligatoire des métropoles, annonce pour les élections à venir d’un mode de désignation des assemblées métropolitaines autonome et détaché du scrutin municipal. Cette stratégie du passage en force, décidée par la haute administration gouvernementale, loin de signer la défaite du communalisme, n’a fait au contraire que renforcer les objections à l’intégration intercommunale et raviver le procès d’une réforme « mal née », « conduite à marche forcée », aboutissant au final à « une organisation plus complexe et à une perte de proximité » 1.

On connaît la suite… Elle tient dans deux textes de lois, adoptés sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, cherchant à rompre avec la démarche antérieure : les lois du 27 décembre 2019 et du 21 février 2022. Ce sont a priori deux textes très différents, eu égard à leur contexte politique et aux conditions de leur élaboration. Leur contenu, pour l’essentiel des dispositions techniques, traduit toutefois le même désarroi, laissant, faute d’une vision politique claire, les observateurs de la chose locale assez désemparés sur le sens de la réforme en cours2.

La loi du 27 décembre 2019 résulte d’une initiative gouvernementale3. Elle se veut une réponse à l’hostilité suscitée par la loi NOTRe, laquelle avait fini par cristalliser de vives oppositions, dont le Grand débat national et le Sénat allaient plus précisément et successivement se faire l’écho, obligeant l’État à revoir sa méthode et à mettre davantage en avant l’exigence de proximité. La première lecture du texte devant Sénat devait donner un tour singulier à la discussion parlementaire. L’activisme de la droite sénatoriale a en effet amené le Gouvernement à changer de posture. Il s’est agi au final pour la Ministre chargée des collectivités territoriales de défendre l’acquis intercommunal menacé par le retour d’une conception restrictive de l’intercommunalité privilégiant les logiques de coopération plus que d’intégration4.

Les dispositions relatives à l’intercommunalité issues de la loi du 21 février 2022 dite 3Ds sont à mettre au contraire au crédit du Sénat. Le projet initial du Gouvernement, soucieux de préserver les équilibres difficilement obtenus en 2019, faisait l’impasse sur l’intercommunalité. Les mesures adoptées, après passage en commission mixte paritaire pour l’essentiel d’entre elles, sont de portée limitée et principalement destinées à assurer une meilleure « agilité » dans le fonctionnement du bloc communal. À l’image de sa devancière, la loi 3Ds refuse toutefois de trancher entre les logiques qui animent la coopération intercommunale : intégration ou proximité, efficacité ou légitimité élective5.

Il en résulte deux textes assez pauvres où le législateur, après avoir renoncé à la réforme des élections métropolitaines, procède surtout à toutes sortes d’ajustements techniques, destinés à faciliter l’action locale au quotidien, en éliminant nombre de points vécus comme bloquants par les gestionnaires locaux. Il s’est agi tout au plus de procéder à des réglages du moteur de l’intercommunalité pour qu’il continue de fonctionner ; mais c’est un vieux moteur thermique conçu en 1992 alors que le développement durable de l’administration territoriale exigerait le passage à une autre technologie. Or ce passage à des formes d’administration plus intégrée est d’abord reporté en raison de son coût social : le sacrifice de l’exigence de proximité et des 500 000 conseillers municipaux qui s’investissent au quotidien dans le fonctionnement de l’administration locale. L’absence d’une technologie institutionnelle de substitution constitue ensuite l’autre facteur d’explication, le législateur étant incapable comme on va le voir d’assurer la représentation propre de la structure supra communale dans le cadre du modèle intercommunal classique.

Le statu quo l’a emporté sur le changement. Comment s’en étonner ? le législateur est mû par un double mouvement défensif : de pas (trop) reculer sur les acquis de l’intégration intercommunale tout en ménageant le fait communal.

La préservation du fait communal

La place laissée aux communes au sein du bloc communal est au cœur des préoccupations politiques6. L’horizon redouté est celui de l’effacement de l’échelon historique lieu d’expression privilégié de la démocratie locale. À ce titre, le « modèle » lyonnais promu par la loi MAPTAM a fait long feu. Il sert même de repoussoir dès lors que l’organisation de l’agglomération lyonnaise tend à laisser croire que l’achèvement de l’intégration intercommunale n’impliquera pas nécessairement la représentation de l’ensemble des communes membres au sein de l’assemblée communautaire7. Cette crainte diffuse a conduit le législateur en 2019 a repoussé sine die l’élection des élus métropolitains au suffrage universel direct. Dans le même élan, la loi « Engagement et proximité » a cherché à préserver la place du maire et des institutions communales au sein des intercommunalités. La loi 3Ds s’y attelle à son tour au risque d’un détricotage insidieux de l’intercommunalité de projet.

Le report sine die de l’adoption d’un mode de scrutin autonome propre aux élections des conseillers communautaires.

En dépit des termes de l’article L.5211-6 CGCT qui soulignent que les EPCI sont administrés par un organe dont les membres « sont élus dans le cadre de l’élection municipale au suffrage universel direct » ; l’intercommunalité, administration de second gré, souffre, d’un déficit démocratique marqué, qui s’explique par le statut d’établissement public, lequel distord le lien démocratique et met à distance gouvernement territorial et légitimité élective. Le système du fléchage à partir des listes présentées aux élections municipales, adopté par la loi 17 mai 2013, s’il constitue en apparence un progrès, est un palliatif bien insuffisant. Ce dispositif s’est notamment montré incapable de structurer la campagne électorale autour des enjeux de l’intercommunalité, qui disparaissent du débat démocratique local, en attendant ce qu’il est convenu d’appeler « le troisième tour » des élections municipales, à savoir l’élection des exécutifs intercommunaux. En ce sens, la loi MAPTAM avait, s’agissant des métropoles, engagé une profonde rupture en prévoyant que le renouvellement des conseils des assemblées métropolitaines à l’occasion des élections de 2020 serait effectué au suffrage universel direct selon des modalités particulières, autonomes du scrutin municipal, et restant toutefois à définir par le législateur.

Préfigurant une évolution susceptible d’être transposée à l’ensemble des EPCI ; parce que le mode originel d’élection des conseillers métropolitain est celui des autres EPCI, la loi avait fixé au 1er janvier 2017, le délai de création de ce nouveau système. Reporté au 1er janvier 2019 par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, il a été repoussé sine die par la loi du 28 décembre 2019 qui, à la suite d’un amendement sénatorial, est venue abroger l’article 54 de la loi MAPTAM afin de sécuriser les scrutins devant se tenir en 2020.

Cet échec s’explique pour des raisons politiques et techniques8. Des raisons politiques tenant au climat d’hostilité nourrie à l’égard des métropoles, à la suite des lois NOTRe et MAPTAM, perçues comme des monstres technocratiques, indifférents de surcroît aux problèmes des territoires voisins. Des raisons techniques, qu’il ne faut pas sous-estimer et qu’expose un rapport de France Urbaine, tenant aux injonctions contradictoires auxquelles il convenait de répondre s’agissant d’un mode de scrutin devant garantir tout à la fois : la représentation de toutes les communes au sein des assemblées métropolitaines, ce à quoi n’est pas tenu le modèle lyonnais, dès lors que la Métropole de Lyon est une collectivité territoriale distincte ; la répartition des sièges sur une base essentiellement démographiques9 ; l’intelligibilité du mode de scrutin et la constitution de majorités de gouvernement stables.

Au vu de ces différentes contraintes, le Gouvernement avait proposé de transposer le scrutin régional. La solution consistait ainsi à retenir un scrutin de liste avec prime majoritaire dans lequel la métropole constituerait l’unique circonscription électorale, où serait comptabilisé l’ensemble des suffrages, et les communes autant de sections électorales, où seraient répartis les sièges à pourvoir. Une autre solution, longtemps envisagée, a été finalement repoussée : elle reposait sur la création de deux collèges : l’un élu au suffrage universel direct dans le cadre d’une circonscription unique à l’échelle de la métropole, l’autre composé des représentants des différentes communes membres. Or la transposition du scrutin régional présentait des inconvénients non négligeables10. C’est d’abord un système d’une rare complexité, qui a déjà suscité des remarques de la part du Conseil constitutionnel11. C’est un système qui comporte en outre de nombreux biais de représentation : ainsi dans les petites communes, l’unique élu métropolitain pourra être l’opposant du maire ; et dans une section communale, la liste arrivée en tête pourra obtenir moins d’élus que la liste concurrente majoritaire au niveau métropolitain.

Devant de tels effets pervers, le Gouvernement a préféré renoncer et laissé les choses en l’état. Loin de relever seulement de la technique électorale, l’abrogation de l’article 54 révèle des difficultés d’ordre existentiel tenant à l’impossibilité de concevoir dans le modèle intercommunal traditionnel, une représentation politique des métropoles qui soit distincte de celle des communes. Au-delà des métropoles, la leçon vaut évidemment aussi pour les autres formes d’intercommunalité.

Préservant ainsi leur monopole de légitimité démocratique directe, les communes tendent par ailleurs à sauvegarder leur place au sein du gouvernement intercommunal.

La sauvegarde de la place du maire et des institutions communales dans les structures intercommunales.

La question de la proximité est devenue un enjeu central de la réforme intercommunale, particulièrement après la loi NOTRe, laquelle a semblé faire prévaloir exagérément des considérations de performance au mépris des réalités de terrain. Ainsi du regroupement forcé des EPCI au-delà d’un seuil de 15 000 habitants ou du transfert de compétences qui, dans nombre de territoires, semblaient exercées à la satisfaction générale par le niveau communal. De plus grands ensembles, une moindre représentation des communes, des compétences diminuées, tous les ingrédients étaient réunis pour assister à l’effacement accéléré des communes. Ce cocktail allait s’avérer explosif relançant la question de l’acceptation sociale de l’intégration intercommunale. Le mouvement des « gilets jaunes », relayé par nombre de maires ruraux, allait ainsi prendre pour cible la loi NOTRe. En quelques mois, ce texte est devenu le symbole dans le débat politique de l’autoritarisme de l’administration centrale et de la rupture entre la France des villes et celles des campagnes. En réponse à ce mouvement de contestation relayé par les maires, la loi du 27 décembre 2019, issue du Grand débat national initié par le Président de la République, va s’intéresser aux relations des communes avec les EPCI. Elle y consacre une section nouvelle au sein du Code général des collectivités territoriales, témoignant du renversement provoqué par la loi NOTRE des rapports de pouvoir entre intercommunalité et communes-membres. Trois sortes de dispositions s’y retrouvent :

La participation des communes aux instances et procédures de décisions intercommunales

La loi du 27 décembre 2019 a d’abord procédé à la généralisation de la conférence des maires, instituée sur le modèle de la conférence des exécutifs, laquelle est obligatoire dans les métropoles depuis la loi MAPTAM. La conférence des maires est l’instance d’adoption du pacte de gouvernance. Il s’agit d’un document facultatif destiné, lors du renouvellement des conseils, à définir les relations des communes avec l’intercommunalité. La conférence des maires n’est en droit qu’un organe consultatif comme s’est plu à le rappeler l’avis du Conseil d’État. Dans les faits, toutefois, la loi offre aux élus un moyen de renouer avec la pratique traditionnelle du consensus dans les EPCI et d’en faire le lieu des arbitrages politiques essentiels. La loi du 21 février 2022 participe à son tour de ce mouvement. Le législateur y renforce ainsi le rôle de la conférence des maires dans la métropole de Lyon alors même qu’il s’agit d’une collectivité territoriale distincte. La loi (CGCT, art. L3633-2 et L.3633-3) prévoit que la conférence métropolitaine des maires peut désormais demander, à la majorité simple des maires représentant la moitié de la population totale des communes, à ce que soit inscrite à l’ordre du jour du conseil de la métropole toute affaire intéressant la métropole, y compris pour l’inviter à délibérer dans un sens déterminé

Des dispositifs destinés à l’information des conseillers municipaux ont encore été institués en 2019 (CGCT, nouvel art. L.5211-40-2). Ces aménagements ne sont cependant pas de nature à inverser la tendance à la marginalisation des conseillers municipaux au sein du bloc communal dont le dédoublement profite d’abord aux maires12.

La dé-rigidification des compétences

Depuis 1992, la doctrine a eu l’occasion de souligner l’absence de rigidité de la répartition des compétences organisée par la loi au sein du bloc communal13. Les lois les plus récentes renforcent cette tendance visant à différencier l’exercice des compétences en fonction des réalités locales.

Le recours à la condition d’intérêt communautaire pour déterminer le bon niveau d’exercice des compétences, que les législations précédentes avaient cherché à mieux circonscrire, est ainsi élargi par la loi 3Ds14. L’élargissement a lieu dans des proportions toutefois moindres que celles prônées par le Sénat et concerne, pour l’essentiel, la voirie dans les métropoles et communauté urbaine (article 18) ainsi que les cimetières et les crématoriums (art 20). La possibilité d’utiliser ce dispositif est ouverte dans le délai d’un an à compter de la promulgation de la loi. Elle doit être approuvée par le conseil communautaire et par la majorité qualifiée des communes membres. C’est ensuite la catégorie des compétences optionnelles qui est supprimée par la loi de 2019, laquelle range les attributions qui en relevaient dans le champ des compétences facultatives. Or, il s’agit de deux logiques très différentes : à la différence des compétences facultatives laissées à la discrétion des communes, la notion de compétences optionnelles induisait un transfert minimum d’attributions à choisir à partir d’une liste ouverte de compétences. Par ailleurs, alors que la loi du 6 février 1992 avait cherché à regrouper les différentes attributions des communes en blocs de compétences afin d’en prévoir un transfert global, la législation contemporaine autorise le dégroupage des compétences, ce qui permet aux communes de conserver une ou plusieurs compétences particulières au sein du bloc de compétences devant être transféré.

Mieux les transferts de compétences à géométrie variable à l’intérieur d’un même EPCI sont désormais possibles. Une même compétence pourra être exercée soit par l’intercommunalité soit par la ou les communes qui demandent à en conserver la compétence. Cette solution rejetée en 2019 a été consacrée par la loi 3Ds à la suite d’un amendement venu du Sénat. Ainsi le nouvel article L. 5211-17-2 CGCT permet aux communes qui le décident de transférer aux EPCI, en totalité ou partiellement, des compétences dont l’exercice à l’échelon intercommunal n’est pas prévu par la loi selon une logique que l’on retrouve aussi pour les syndicats mixtes. Par ailleurs, depuis la loi 3Ds, les compétences « gestion des eaux pluviales urbaines » et « défense extérieure contre l’incendie » sont sécables. Elles pourront dès lors être exercées soit pour la totalité du périmètre de l’EPCI soit pour une partie seulement de son territoire. Déjà admise pour l’eau, la GeMAPI, l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets et la distribution d’électricité et de gaz., la solution tend ainsi à se généraliser. La loi 3DS autorise encore la rétrocession de compétences (non obligatoires) aux communes qui le souhaitent. La liste des compétences visées est élargie et peut englober des compétences autrefois optionnelles. Enfin, est largement admise la possibilité pour les maires de recevoir des délégations de compétence du Président de l’EPCI. La délégation s’accompagne alors de l’exercice par le maire de l’autorité fonctionnelle sur les équipements et personnels affectés (CGCT, art L.5211-4-2)

La remise en cause possible des fusions décidées par le préfet au titre de la loi NOTRE.

Les fusions décidées sur le fondement des dispositifs autoritaires introduits par la loi NOTRe ont parfois été mal vécues par les acteurs de terrain15. Attentive aux préoccupations exprimées par les élus concernés, la loi du 27 décembre 2019 a prévu des possibilités nouvelles de retrait dérogatoire. Une commune pourra ainsi obtenir son retrait d’une communauté d’agglomération sans l’accord de l’EPCI de rattachement dès lors que l’EPCI d’accueil en est d’accord (CGCT, art. 5216-11). Pour bénéficier de cette procédure dite de retrait-adhésion, il lui faudra encore obtenir l’approbation du préfet et l’avis favorable de la commission départementale de la coopération intercommunale. Cette possibilité de retrait-adhésion n’existait avant 2019 que pour les communautés de communes (CGCT, art. 5214-26)16. On rappellera qu’elle reste interdite pour les métropoles et communautés urbaines. Le législateur admet par ailleurs la possibilité de scission d’un EPCI pour en créer deux nouveaux sous réserve que le seuil de 15 000 habitants soit respecté dans les deux cas (CGCT, art. L. 5210-1-1). La solution, acquise en 2019 pour les communautés de communes (CGCT art. L.5211-5-1), a été élargie aux communautés d’agglomération en 2022. Auparavant, dès 2019, le législateur avait admis qu’en cas de fusion d’EPCI, les compétences exercées au niveau intercommunal pouvaient être restitués aux communes dès lors que leur transfert n’était pas prévu à titre obligatoire par la loi (CGCT, art.L.5211-17-1)

La protection des acquis de l’intégration intercommunale

L’offensive menée par la majorité sénatoriale, notamment en 2019 et dans une moindre mesure en 2022, aurait pu conduire à une sévère remise en cause des mécanismes d’intégration intercommunale les plus aboutis. Le Gouvernement est néanmoins parvenu à résister à cette tendance au prix, pour les deux lois, d’une adoption des textes en commission mixte paritaire, permettant de sauvegarder la notion de compétences obligatoires, de maintenir à l’écart de la réforme les métropoles et parvenant même à reconnaître des compétences nouvelles aux intercommunalités.

La sauvegarde des compétences obligatoires

Les principales propositions du Sénat, cherchant à déshabiller l’exercice des compétences obligatoires des prérogatives qui leur sont attachées, ont été rejetées. Les sénateurs proposaient ainsi de séparer l’adoption du plan local d’urbanisme au niveau intercommunal de l’exercice du droit de préemption urbaine, qui serait resté au niveau communal. De la même manière, le Gouvernement et l’Assemblée nationale se sont opposés à ce que la création et la gestion des zones d’activité économique par l’EPCI soient soumises à la condition d’intérêt communautaire. La discussion parlementaire s’est encore fait l’écho de la « bataille de l’eau » qui oppose le Gouvernement aux communes rurales depuis que la loi NOTRe a admis à compter de 2020 le transfert obligatoire de la compétence « eau et assainissement » aux intercommunalités. Les communautés de communes avaient ainsi déjà obtenu, contrairement aux communautés d’agglomération, le report du transfert en 2026. Cependant, à revers des positions défendues encore récemment par le Sénat17, la mise en œuvre du transfert aux intercommunalités de la compétence « eau et assainissement » au 1er janvier 2026 n’a été ni repoussée ni abrogée par la loi 3Ds. Au contraire, la loi prévoit d’anticiper en amont l’organisation de ces transferts en suscitant dans l’année qui précède un débat sur la tarification donnant lieu à la conclusion d’une convention précisant les orientations retenues18.

Il reste que la notion de compétences obligatoires ne sort pas totalement indemne de ce nouvel épisode législatif. La sauvegarde de l’essentiel exigeait un certain nombre de concessions. Ainsi pour la compétence « eau, assainissement, eaux pluviales », une possibilité de rétrocession partielle aux communes est possible : le « bloc de compétences » dont le transfert est obligatoire est ainsi devenu sécable. Par ailleurs, une compétence obligatoire peut être partagée. C’est en ce sens qu’est prévue la restitution de la compétence « Tourisme » Cette faculté est étendue par la loi du 21 février 2022 aux communes classés « stations de tourisme » dans les communautés urbaines et les métropoles et « aux communes touristiques » des communautés d’agglomération, sous réserve de l’accord du conseil communautaire et de la majorité qualifiée des communes. Dans ce cas, l’intercommunalité conserve une compétence parallèle, à l’exception de la création des offices de tourisme réservée aux communes concernées. De même, les modalités de mise en œuvre d’une compétence obligatoire peuvent être aménagées de manière que le transfert ne soit plus de fait obligatoire. Ainsi à propos de l’article 5211-9-2 du CGCT qui organise le transfert des pouvoirs de police spéciale : la loi prévoit un transfert de plein droit dans les six mois qui suivent l’élection du président de l’EPCI ; toutefois, chacun des maires peut s’y opposer pour ce qui concerne le territoire de sa commune. Dans ce cas, les présidents d’EPCI peuvent renoncer au transfert, la loi 3Ds ramenant à un mois au lieu de 6 mois le délai dont disposent les présidents pour faire connaître leur renoncement.

Sanctuarisation du statut des métropoles

Si les métropoles ont été tenues à l’écart de la réforme de 2019, elles n’ont pas totalement échappé aux velléités réformatrices de 2022. Ainsi, des compétences en matière de voirie qui sont désormais soumises, y compris dans les métropoles et les communautés urbaines, à la condition d’intérêt métropolitain ou communautaire.

L’évolution essentielle concerne la métropole d’Aix Marseille Provence. Elle abandonne la plupart de ses particularismes institutionnels pour rejoindre le statut des métropoles de droit commun (CCGT, nouvel art. L5218-3). La Loi 3Ds entérine ainsi à compter du 1er juillet 2022 la suppression des conseils de territoires, formule transitoire, issue des anciennes intercommunalités, et qui étaient perçus, après quelques années d’exercice, comme l’obstacle principal à l’affirmation de véritables projets à l’échelle du territoire métropolitain19. Pour autant, cette modification statutaire a une portée ambiguë. La suppression des conseils de territoire profite en effet d’abord aux communes. D’abord, par le jeu des délégations de compétences que la Métropole peut leur consentir, tel celle portant sur l’entretien de la voirie d’intérêt métropolitain. Ensuite, par le biais de la conférence territoriale des maires chargée en pratique de préparer la nouvelle répartition des compétences au sein du bloc métropolitain. En effet, la loi prévoit de restituer aux communes de la métropole des compétences de proximité au 1er janvier 2023 qui ne seront pas reconnues d’intérêt métropolitain par la majorité qualifiée des conseils municipaux. La liste des compétences concernées est éloquente : la voirie ainsi que son nettoiement, le mobilier urbain, les trottoirs, l’éclairage public, la signalisation, les parcs et aires de stationnement, le soutien aux activités commerciales et artisanales ; des cimetières ; des réseaux de chaleur et de froid. Par ailleurs, dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi, le conseil métropolitain devra se prononcer sur la révision du champ de l’intérêt métropolitain en matière d’équipements culturels, socioculturels, socio-éducatifs et sportifs.

Reconnaissance de nouvelles compétences aux intercommunalités

À rebours des intentions initiales du Sénat, la loi 3Ds reconnaît un certain nombre de compétences nouvelles aux EPCI soulignant ainsi le caractère inexorable de l’intégration intercommunale.

L’avancée la plus notable concerne la politique du logement où est consacrée la notion d’autorité organisatrice de l’habitat, transposée du modèle déjà pratiqué en matière de transports (Code des transports, art. L2131-1 à L. 123165). Alors que la collectivité chef de file s’attache à coordonner la mise en œuvre de diverses compétences détenues à d’autres niveaux que le sien, l’autorité organisatrice concentre à son échelon un ensemble de compétences, notamment opérationnelles, destiné à lui permettre de conduire de manière efficace une politique publique globale. Tout EPCI à fiscalité propre pourra ainsi être reconnu comme « autorité organisatrice de l’habitat », par le représentant de l’État à la condition d’être doté d’un programme local de l’habitat exécutoire et d’un plan local d’urbanisme intercommunal approuvé20. La reconnaissance de ce statut confère à l’autorité organisatrice de l’habitat des prérogatives spécifiques : elle sera consultée à sa demande sur les projets d’arrêtés pris à propos des réductions d’impôts sur les logements des zones caractérisées par de fortes difficultés à se loger ; elle aura la possibilité sous conditions d’orienter la production de logements locatifs sociaux, et sera signataire des conventions d’utilité sociale des organismes possédant au moins 5 % des logements du parc situés dans son ressort territorial (Code Const. Hab., art. L301-5-1-3).

Le rôle des EPCI s’affirme également quant à la régulation des activités commerciales sur leur territoire. Ainsi, en cas de déséquilibre du tissu commercial, constaté par délibérations concordantes des EPCI concernés, une mission de concertation pourra être confiée aux présidents d’EPCI du périmètre concerné afin d’obtenir un accord des organisations professionnelles portant sur l’encadrement des jours et des heures d’ouverture au public des établissements commerciaux (CGCT, art. L.5224-1). L’accord obtenu servira de cadre de référence aux arrêtés préfectoraux prévus à l’article L. 3132-29 du Code du travail. Enfin, en matière d’équipement commercial, les métropoles — toutes catégories confondues — et les communautés urbaines pourront demander à participer à l’expérimentation visant à ce que les autorisations d’urbanisme valent autorisation d’exploitation commerciale ; la loi exigeant en tout état de cause l’avis conforme du Président de l’EPCI pour délivrer l’autorisation. Cette expérimentation est également ouverte aux autres EPCI à fiscalité propre dès lors qu’ils sont inclus par convention avec l’État dans le périmètre d’une opération de revitalisation urbaine (Loi 3Ds, art.97).

En 2005, dans son rapport consacré à « l’intercommunalité en France »21, la Cour des comptes mettait en avant « le pilotage de la réforme par l’État » au moyen « d’un cadre législatif ambitieux » : un État, soulignait la Cour, « promoteur d’une vision à long terme » de la coopération intercommunale, Aucun des termes du diagnostic n’a résisté à l’épreuve du temps. Désormais, faute de trancher en faveur d’une intégration supra communale renforcée, l’État, comme paralysé par ses audaces passées, est incapable de tracer de nouvelles perspectives. Optant pour le statu quo, il s’en remet, au gré de lois de circonstances, aux arrangements locaux pour faire vivre l’intercommunalité.

J-F.B

Notes de bas de page

  • 1 "Voir en ce sens le bilan dressé par la mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi du 5 aout 2015, Ass. Nat, rapport d’information, décembre 2019.

  • 2 M. Douence, La confortation du statu quo de la coopération intercommunale ou « beaucoup de bruit pour rien », RFDA 2020, p. 223

  • 3 M. Verpeaux, une nouvelle loi relative aux collectivités territoriales, RFDA 2020, p. 205

  • 4 J-F. Brisson, Le bloc communal : recoller les morceaux et préserver l’essentiel, RFDA 2020, p.214.

  • 5 J-F.Brisson, La loi du 21 février 2022 et la décentralisation, AJDA 2022, n°24.

  • 6 Par ex, le colloque sur "la revitalisation de l’échelon communal" tenu au Sénat le jeudi 15 novembre 2018.

  • 7 Sur le refus d’étendre le modèle lyonnais à d’autres agglomérations, voir N. Ferreira, Départements et métropoles : les départements ne veulent pas disparaître, AJCT 2019, p.318.

  • 8 D. Akpatcha, L’échec de la réforme du mode de scrutin des métropoles ? AJDA 2016, p. 33.

  • 9 Pour un exemple de censure, à propos de la pratique de l’accord local dans la répartition des sièges entre communes membres, CC n°2014-405 QPC 19 juin 2014, Cne de Salbris, AJDA 2014, 2360, note F. Sempé.

  • 10 Sénat, Proposition de loi relative à l'élection des conseillers métropolitains, 28 mars 2018, Rapport n° 381 A. CANAYER, fait au nom de la commission des lois.

  • 11 Conseil constitutionnel, n°2003-468, 3 avril 2003, AJDA 2003, 948, note G.Drago,

  • 12 F.Desage et D. Guéranger, La politique confisquée, sociologie des réformes et institutions intercommunales, Editions du Croquant, 2011

  • 13 B. Faure, Droit des collectivités territoriales, Dalloz, 6 éd., 2021, n°495 et ss.

  • 14 P-Y. Monjal, Les enjeux de la notion "d'intérêt communautaire" ou les faces cachées d'un réforme constitutionnelle décisive pour les EPCI, AJDA 2003, p.1701

  • 15 Sur la base de ces dispositions, on a ainsi assisté aux premières scissions de communautés de communes. La communauté de communes Centre Morbihan Communauté (56) qui regroupait 18 communes a été scindée entre la CC Centre Morbihan Communauté (12 communes) et la CC Baud Communauté (6 communes). Deuxième cas : la communauté de communes des Hautes Vosges (88) qui regroupait 22 communes a été scindée entre la CC des Hautes Vosges (14 communes) et la CC Gérardmer Hautes Vosges (8 communes). Voir DGCL, Bulletin d’information statistique, n°163, mars 2022.

  • 16 A. Gardère, Communes et communautés, un divorce pas toujours amiable, JCP A, 2019, n°18-19.

  • 17 Sénat, Proposition de loi du 25 octobre 2020 visant à supprimer le transfert en 2026 de l’eau et de l’assainissement dans les communautés de communes qui n’exercent pas ces compétences et à redonner ainsi le pouvoir de décision aux élus locaux

  • 18 Toujours en matière d’eau, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales urbaines, la loi 3DS pérennise la possibilité pour les syndicats compétents d’être maintenus, lorsqu’ils sont inclus en totalité dans le périmètre d’une communauté de communes.

  • 19 Chambre régionale des comptes Provence-Alpes- Côte d’Azur, Rapport d’observations définitives, 22 juin 2020 Chambre régionale des comptes Provence-Alpes- Côte d’Azur, Rapport d’observations définitives, 22 juin 2020

  • 20 En ce sens, la loi 3DS constitue une étape supplémentaire dans la décentralisation de la politique de l’habitat (art.92). En 1982, le choix avait été fait de ne pas décentraliser. Ce n’est que progressivement que l’Etat va laisser se mettre en place une politique de «déconcentralisation» marquée par un double mouvement de déconcentration et de contractualisation, notamment avec les intercommunalités. A la fin des années 1990, la plupart des EPCI à fiscalité propre étaient ainsi dotés de plans locaux de l’habitat, articulés avec la planification urbaine   Voir J.-P. Brouant, Y. Jegouzo, La territorialisation des politiques et du droit de l’habitat social, Les Cahiers du GRIDAUH, série « Droit de l’habitat », 1998, n° 2, p 102). Fort de ses pratiques, la loi du 13 août 2004 avait ouvert aux intercommunalités la possibilité d’obtenir la délégation de l’Etat de la gestion des aides à la pierre

  • 21 Précité.