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Les départements dans la loi 3 Ds : des évolutions sans surprise

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Cette contribution analyse la loi 3 Ds à partir de ses apports pour l’échelon départemental. André Viola constate ici que si l’État a concédé quelques compétences ou pouvoirs nouveaux aux conseils départementaux (transfert de routes nationales, transfert des gestionnaires de collège notamment), globalement la loi 3 Ds n’a procédé qu’à quelques ajustements et précisions qui étaient attendus par ces derniers. Au-delà, la loi 3 Ds laisse un certain nombre de questions en suspens. Certaines parce que le gouvernement s’est fermement opposé, ce qui n’empêchera pas les conseils départementaux de remonter au créneau, d’autres parce que l’État a décidé de ne pas trancher et de lancer des expérimentations ou de simples réflexions.


 

« Voiture-balai », « auberge espagnole », la loi 3 1 n° 2022-217 du 21 février 2022 sera une loi qui ne marquera pas le mandat d’E. Macron. Mais finalement, que pouvait-on en attendre de plus ?

Le candidat à la présidentielle de 2017 avait clairement annoncé qu’il faudrait marquer une pause durant le mandat à venir en ce qui concernait les réformes relatives aux collectivités territoriales, les deux quinquennats précédents ayant été marqués par un activisme dans ce domaine qui avait fini par déstabiliser ces dernières. Et puis, disons-le clairement, le sujet ne fait pas partie des domaines de prédilection d’E. Macron, tant s’en faut ! Aussi, alors que les associations d’élus locaux des trois niveaux de collectivités appelaient à une nouvelle étape de la décentralisation, le gouvernement a fini par proposer un projet de loi, en fin de mandat (ce qui laissait présager une ambition réduite), se contentant de régler quelques difficultés posées par les lois précédentes, de corriger quelques « irritants » de la loi NOTRe, comme le martelait S. Lecornu lorsqu’il était encore secrétaire d’État en charge des collectivités territoriales, bref, de proposer quelques ajustements. Le seul domaine véritablement dans lequel le président de la République avait fait montre de volontarisme, était celui de la différenciation, avec le souhait de donner beaucoup plus de marges d’appréciation des lois et règlements au plan local. Las, une réforme profonde dans ce domaine nécessite à l’évidence, selon nous, une révision de la Constitution pour lui donner toute l’ampleur nécessaire, révision impossible à mener à bien en seconde partie de mandat présidentiel. Dès lors, même si la loi contient toute une partie consacrée à la différenciation, cela n’entraînera pas, à notre sens, de grands bouleversements… la Constitution limitant les effets de cette différenciation.

Différenciation, c’est l’un des 3d du titre de la loi aux côtés de la décentralisation et de la déconcentration. Projet de loi qui furtivement s’est appelé 4d en ajoutant la décomplexification pour finalement se nommer loi 3 Ds, le « s » symbolisant la simplification. Ces changements de dénomination sont la preuve du tâtonnement dont a fait preuve le gouvernement sur cette réforme. Malgré la pression exercée jusqu’en commission mixte paritaire par le Sénat, au final, la loi votée ne fera pas date dans l’histoire de la décentralisation française. Pour ce qui est de l’analyse de la loi 3Ds à laquelle nous allons nous livrer, nous avons décidé de nous concentrer sur les apports de cette loi en ce qui concerne l’échelon départemental. Nous ne nous étendrons donc pas sur les aspects de la loi concernant les autres niveaux, ni sur ceux, comme la différenciation, les concernant tous globalement.

Il est intéressant de se pencher sur cet échelon qui a fait l’objet de nombreuses contestations ces dernières années et qui s’en est toujours sorti, parfois même renforcé. Le dernier grand débat relatif aux départements a eu lieu sous le mandat de F. Hollande qui a envisagé un temps de supprimer cet échelon, avant de se rétracter face à la contestation soulevée par cette proposition2. E. Macron pour sa part, comme évoqué précédemment, n’avait pas de velléités particulières à l’égard de cet échelon (ni des autres d’ailleurs). Le seul point qu’il avait évoqué, lors de la présidentielle de 2017, était qu’il estimait que les départements devraient, là où il y avait des métropoles, fusionner avec ces dernières, prenant pour exemple le modèle lyonnais. Une fois élu, il poussa cette réflexion, mais en s’imposant deux limites : d’abord, la fusion ne concernerait que les départements avec des grandes métropoles, de taille européenne, à savoir maximum 5 ou 6 ; ensuite les fusions ne se feraient que sur la base du volontariat entre département et métropole et ne seraient en aucun cas imposées… Dès lors, et après discussions et négociations, tous les départements et les métropoles ont refusé le principe d’une fusion (et pas toujours du fait d’un blocage du département d’ailleurs), à l’exception du département des Bouches du Rhône et de la métropole d’Aix-Marseille qui ont décidé d’étudier plus avant la proposition (la « discussion » sur le sujet étant facilité par le fait que la présidence de ces deux institutions est détenue par la même personne, à savoir l’élue Les Républicains M. Vassal). Cependant, à ce jour, rien n’a encore abouti, la loi 3 Ds envisageant plutôt un toilettage des compétences de la métropole d’Aix Marseille (article 181), qu’une fusion avec le département…

La seule véritable évolution à relever durant le mandat est finalement la création de la Collectivité Européenne d’Alsace, département né de la fusion du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, une évolution souhaitée et impulsée par les deux entités au plan local. En ce qui concerne la loi 3 Ds, les départements sont donc concernés essentiellement sur des questions de compétences et non d’organisation. Et sur ce point, on ne peut parler réellement de bouleversements. Globalement, les quelques évolutions contenues dans la loi étaient attendues depuis quelques années, tout comme les blocages qui étaient prévisibles de la part du gouvernement, même si quelques ouvertures, infimes, ont été faites.

Les acquis de la loi 3 Ds

Même si l’État a concédé quelques compétences ou pouvoirs nouveaux aux conseils départementaux, globalement la loi 3 Ds n’a procédé qu’à quelques ajustements et précisions qui étaient attendus par ces derniers.

De nouvelles « concessions » de la part de l’État

Cela n’était pas une évidence. En effet, depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, les velléités ont été plutôt de vouloir affaiblir l’échelon départemental voire de le faire disparaître. On ne compte plus les articles, les interventions jugeant qu’il y a en France trop de niveaux de collectivités territoriales, le fameux millefeuille territorial, et qu’il faudrait en supprimer un, le département étant souvent le niveau ciblé.

Pourtant, force est de constater que ces derniers s’en sont toujours sortis. Je prendrai deux exemples. D’abord, en 2003, avec ce qui allait devenir l’acte II de la décentralisation dont les principales bénéficiaires devaient être les régions (du moins à l’origine de la réforme). Les départements étaient jugés un peu dépassés et pourtant, au final, suite aux débats parlementaires, ces derniers se sont retrouvés considérablement renforcés suite à la réforme, récupérant au passage bon nombre de nouvelles compétences. J’évoquerai ensuite 2015, avec la loi NOTRe. Là aussi, à l’origine de la réforme, les départements étaient mis à mal, le président de la République d’alors, F. Hollande, ayant même envisagé leur suppression. Finalement, l’exécutif a reculé. Certes, cette fois-là, les départements ont perdu quelques compétences au profit notamment des régions (les transports scolaires, la réalisation des schémas de gestion de l’élimination des ordures ménagères) mais, par le biais de l’affirmation d’une compétence forte en matière de solidarité territoriale, une porte s’est ouverte au profit des départements afin d’agir plus largement et compenser quelque part, selon les appréciations de certains, la perte de la clause générale de compétence (sans aller jusqu’à dire cela, il est vrai qu’au nom de la solidarité territoriale, les départements ont acquis des marges d’action appréciables).

En ce qui concerne la loi 3 Ds, nous pouvons dire que les départements, concrètement, ont obtenu de nouvelles compétences dans des domaines où ils intervenaient déjà, affirmant, confirmant ainsi leur rôle. Il en est ainsi du transfert de routes nationales (article 38, 39 et 40 de la loi). Disposant d’un réseau départemental3 conséquent ayant fait l’objet, après 2003 et l’acte II de la décentralisation, d’une évolution importante (les départements s’étant vus transférer à cette date non seulement une partie du réseau national, mais également les agents d’entretien des routes qui étaient rattachés alors au service de la Direction Départementale de l’Équipement), les conseils départementaux vont se voir transférer de nouvelles routes nationales. Si ce transfert, sur le principe, ne fait pas débat, ce sont plutôt les conditions financières de ce transfert qui seront scrutées de près par les départements, le législateur ayant consacré plusieurs alinéas de la loi à ce sujet. Il est à noter qu’à titre expérimental (8 ans), les régions pourront aussi solliciter la mise à disposition de certaines routes nationales, la loi prévoyant une procédure de concertation avec les départements et les métropoles se concluant par un arbitrage, si nécessaire, du ministre des transports.

Ce transfert de routes nationales était quelque chose qui était annoncé de longue date par le gouvernement, et ne constitue donc pas une surprise. Cela faisait partie des discussions depuis plusieurs mois entre l’État et les départements. Tout comme faisait l’objet de discussion depuis des mois, des années même, le transfert des gestionnaires de collège. C’est en effet un sujet épineux qui ‘pollue’ les relations entre les départements et l’État depuis de nombreuses années, les gestionnaires de collège, agents de l’État, ayant la charge du budget des collèges, dont notamment les achats dans les restaurants scolaires. Or, la restauration scolaire est de la compétence des départements. Si bien que si un département veut lancer une politique d’achat spécifique dans ce domaine (mise en avant des circuits courts, du bio par exemple), il peut se heurter à des blocages de la part des gestionnaires sur lesquels ils n’ont aucune autorité hiérarchique. Il a été un temps envisagé dans les débats parlementaires de lancer une expérimentation dans ce domaine auprès de quelques départements. Mais la résistance du côté de l’éducation nationale était forte. Finalement, c’est au cours du congrès de l’Assemblée des Départements de France (du 1 au 3 décembre 2021 à Bourg-en-Bresse) que le premier ministre a annoncé qu’il amenderait son propre projet de loi (article 145) afin de donner aux départements une autorité fonctionnelle sur les gestionnaires de collège (la même chose étant faite au niveau des lycées au profit des régions). Sans donc aller jusqu’à répondre totalement à la revendication des départements qui demandaient un transfert pur et simple, c’est un nouveau « pouvoir » qui est ainsi conféré à ces derniers qui pourront désormais, pour les compétences qui les concernent, donner des instructions à des agents de l’État. Voici donc principalement les concessions que l’État a effectuées en direction des conseils départementaux. Elles sont peu nombreuses et elles étaient attendues. Car, pour l’essentiel, comme nous allons désormais l’étudier, l’État s’est contenté de procéder avec la loi 3 Ds à quelques ajustements et à conforter les départements dans des domaines dans lesquels ils intervenaient déjà, sans procéder à de nouveaux transferts.

Des ajustements de compétences et des précisions attendus

Au-delà des transferts de compétences ou de pouvoirs dont vont pouvoir bénéficier les conseils départementaux avec la loi 3 Ds, le législateur a souhaité également profiter de ce véhicule législatif pour procéder à toute une série d’ajustements de compétences entre collectivités territoriales. En effet, suite à la loi NOTRe, quelques difficultés se sont vite présentées à l’usage. Il faut dire que les élus locaux globalement n’étaient pas satisfaits de cette loi, notamment les élus régionaux et départementaux regrettant d’avoir perdu la clause générale de compétence. Ils n’ont eu de cesse dès lors, au-delà de la revendication de quelques-uns pour un retour de cette clause générale de compétence, de contester la redistribution des compétences découlant de la loi NOTRe et les oublis de cette loi. C’est ce que S. Lecornu, le secrétaire d’État en charge des collectivités territoriales pendant un temps dans le gouvernement d’E. Philippe, avait appelé « les irritants de la loi NOTRe », que l’exécutif s’était engagé à supprimer au cours du mandat.

L’opportunité s’est enfin présentée avec le projet de loi 3 Ds, même si quelques « corrections » avaient déjà été apportées dans des lois précédentes. Il en a été ainsi plus particulièrement pour le bloc local, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique tentant de rétablir un équilibre entre les communes et les intercommunalités, en tout cas tentant de redonner du pouvoir aux maires au sein des intercommunalités, les années 2010 et notamment la loi NOTRe ayant été trop favorables, selon beaucoup de maires, aux intercommunalités au détriment des communes. En ce qui concerne les départements, cette loi du 27 décembre 2019 a entraîné une légère adaptation de la loi NOTRe. Ainsi, désormais, les conseils départementaux pourront déroger à la règle leur interdisant d’aider les entreprises, mais seulement à la suite de catastrophes naturelles, la loi leur permettant d’intervenir auprès des entreprises dont l’activité a été affectée en raison de dommages importants subis par leur outil de production (c’est ce que l’on a appelé la « jurisprudence Aude » ce département ayant été frappé par de terribles inondations en 2018 et ayant eu les pires difficultés pour pouvoir alors accompagner les entreprises locales durement impactées par la catastrophe). Le législateur a donc profité de la loi 3 Ds pour corriger, par exemple, ce que l’on pouvait appeler « un trou dans la raquette » suite à la loi NOTRe, à savoir l’accompagnement des organismes à vocation sanitaire et de lutte contre les zoonoses. Une application stricte de la loi NOTRe aurait dû empêcher toute intervention qui pouvait être interprétée comme une aide économique, mais, au titre de leur action dans ce domaine notamment au travers des laboratoires vétérinaires départementaux et de leur accompagnement historique de ces structures (comme les Groupements de Défense Sanitaire), les préfets avaient laissé perdurer les interventions des conseils départementaux dans bon nombre de territoires. La loi 3 Ds, au travers de l’article 128, met fin à cette zone grise en autorisant explicitement les aides départementales en direction de ces organismes.

Au-delà, la loi 3 Ds a permis d’apporter des précisions sur un certain nombre de domaines dans lesquels les départements agissaient déjà. Ainsi, les départements se sont vus reconnaître, avec la loi 3 Ds, un rôle de coordination en matière de développement de l’habitat inclusif et de l’adaptation du logement au vieillissement de la population (article 134). L’affirmation de ce rôle s’inscrit parfaitement dans le prolongement des compétences en matière de handicap et des personnes âgées qu’assument les conseils départementaux. Toujours dans le prolongement d’une compétence déjà acquise, en l’occurrence la garantie de la solidarité territoriale, les conseils départementaux se sont vu attribuer la mission d’élaborer un schéma des solidarités territoriales dans le but de conforter cette compétence. De plus, il est précisé dans la loi 3 Ds, à l’article 126, qu’ils auront la possibilité de financer des établissements de santé et même, selon l’article 127, de recruter des professionnels de santé quand ils ont la gestion d’un centre de santé4. Plutôt que d’une nouvelle compétence, il s’agit là plutôt d’une « autorisation » a posteriori, qui vaut d’ailleurs pour tous les niveaux de collectivités territoriales, ces dernières s’étant impliquées sur le sujet de la santé, et de la lutte contre les déserts médicaux notamment, sans forcément en avoir les compétences, les départements s’appuyant par exemple pour ce faire, sur leur rôle reconnu par la loi NOTRe en matière de solidarité territoriale.

Au total, le législateur a profité de ce véhicule législatif qu’est la loi 3 Ds pour procéder à un certain nombre de précisions, d’ajustements, ne remettant pas fondamentalement en cause l’équilibre de la répartition des compétences entre niveau de collectivités territoriales qui avait été trouvé au sein de la loi NOTRe5. Le gouvernement n’a d’ailleurs eu de cesse au cours des débats parlementaires de défendre cet équilibre, comme nous allons désormais l’évoquer, laissant en suspens bon nombre de points de discussions qui risquent de constituer les futurs ‘irritants’ de la loi 3 Ds…

Les questions en suspens

Au-delà des transferts de compétences ou des ajustements que nous venons d’étudier, la loi 3 Ds va laisser un certain nombre de questions en suspens. Certaines parce que le gouvernement s’est fermement opposé, ce qui n’empêchera pas les conseils départementaux de remonter au créneau dans les mois qui viennent, d’autres parce que l’État a décidé de ne pas trancher et de lancer des expérimentations ou de simples réflexions.

Un État faisant souvent preuve de fermeté

L’État avait ouvert la porte à la correction des « irritants » de la loi NOTRe. Pour autant, les gouvernements qui se sont succédé durant le mandat d’E. Macron se sont toujours refusé de remettre fondamentalement en cause les équilibres posés par la loi NOTRe, notamment le fait de retirer aux départements et aux régions la clause de compétence générale et de spécialiser chacun de ces niveaux dans des domaines relativement précis. Il était cependant un domaine qui irritait tout particulièrement les conseils départementaux, c’était celui de l’économie. En effet, ces derniers ont très mal vécu le fait de ne plus pouvoir apporter d’aides aux entreprises de leur territoire. Il avait obtenu une concession, on l’a vue précédemment, avec la loi du 27 décembre 2019 qui leur permettait de déroger à cette règle à la suite d’une catastrophe naturelle, et seulement dans ce cas-là.

Les départements espéraient obtenir de nouvelles concessions dans le cadre de la loi 3 Ds. Malgré la forte pression de l’Assemblée des Départements de France, relayée en cela par la majorité sénatoriale, le gouvernement de J. Castex n’a rien cédé. Il a écarté tous les amendements laissant présager le retour d’une compétence d’aide aux entreprises au niveau des départements. Le seul domaine dans lequel une concession a finalement été faite est celui de la filière halieutique, le législateur ayant élargi les possibilités d’octroi par les départements, en complémentarité avec les régions, d’aides financières à cette filière (article 147). Une bien maigre avancée par rapport aux attentes des conseils départementaux qui voulaient pouvoir financer à nouveau ce qu’ils qualifient d’économie de proximité (agriculture, commerce, artisanat).

Il est un autre sujet qui avait causé également de fortes tensions entre l’État et les départements, c’était celui de l’application du fameux pacte de Cahors. Nous passons ici sur les départements, et autres collectivités territoriales, qui étaient fondamentalement opposés à tout encadrement de leurs dépenses de fonctionnement, y voyant une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Non, ici nous faisons allusion au souhait unanime, de la part des départements, y compris ceux qui n’étaient pas hostiles sur le fond à l’idée d’un encadrement de leurs dépenses, de voir les dépenses sociales, pour schématiser, exclues de cet encadrement. En effet, les départements trouvaient aberrant que les dépenses sociales, et plus particulièrement les allocations versées pour le compte de la solidarité nationale (Revenu de Solidarité Active, Allocation aux Adultes Handicapés, Allocation Personnalisée d’Autonomie, pour ne citer que les plus importantes), soient prises en compte dans l’encadrement des dépenses, ceux-ci arguant du fait qu’ils n’avaient pas la maîtrise sur ces dépenses et qu’en cas de crise, notamment en ce qui concerne le Revenu de Solidarité Active, ceux-ci allaient être doublement pénalisés avec une hausse quasi mécanique des allocataires, et par conséquent une hausse des dépenses, doublée d’un risque de pénalités financières de la part de l’État pour non-respect des taux d’encadrement des dépenses…

Durant la période d’application du pacte de Cahors, les revendications des départements n’avaient pas été entendues et ils espéraient, via un amendement voté au Sénat, que si à l’avenir un nouvel encadrement des dépenses était envisagé, celui-ci exclurait de fait les dépenses sociales des dépenses de fonctionnement prises en compte. Las, cet amendement a été supprimé par l’Assemblée nationale. L’argument avancé ici pour s’opposer n’était pas un argument sur le fond. Simplement, lors des débats, le gouvernement eut la facilité de dire que le pacte de Cahors avait été mis entre parenthèses avec la crise et qu’il n’était pas prévu à ce stade de le réactiver. Pour ce faire, il faudrait alors une nouvelle loi et ce serait dans ce cadre qu’une réflexion sur les modalités d’un nouvel encadrement des dépenses serait envisagée. Le sujet reste donc en suspens, tout comme celui sur la compétence économique car, même si sur ce point le gouvernement a fait preuve de fermeté, il n’en demeure pas moins que nous sommes persuadés que les départements reviendront à la charge dans les mois qui viennent et solliciteront les futurs candidats à la présidentielle de 2022 quant à leur position au moins sur ces deux sujets… et bien d’autres. Bien heureusement, le gouvernement n’a pas toujours fait preuve de fermeté et sur un certain nombre de sujets que nous allons évoquer désormais, et qui font l’objet de discussions depuis de nombreuses années, il a décidé, plutôt que de trancher, de laisser la place à l’expérimentation ou tout au moins à la réflexion…

Quelques perspectives d’ouvertures6

En effet, il est au moins deux sujets sur lesquels l’État n’a pas souhaité trancher fermement, ni dans un sens, ni dans l’autre, préférant utiliser la voie de l’expérimentation dans un cas, et renvoyant à un rapport pour étayer sa réflexion dans l’autre. Il en est ainsi de la question de la gestion du Revenu de Solidarité Active. Depuis quasiment l’origine de ce transfert, suite à l’acte II de la décentralisation en 2003, celui-ci (à l’époque c’était le Revenu Minimum d’Insertion) a fait débat. Ou plutôt, la question de la compensation financière du transfert du RSA aux conseils départementaux a fait débat. Certes, force est de constater que le transfert s’est fait au 1er janvier 2004 à l’euro près, c’est-à-dire en tenant compte du nombre exact de bénéficiaires du RSA géré par l’État au 31 décembre 2003. Mais depuis lors, le nombre de bénéficiaires a fortement augmenté et la compensation n’a pas suivi. Cela a notamment été le cas à la suite de la grande crise économique de 2008. Les départements ont alors été victimes d’un important effet ciseau : à un moment où les rentrées fiscales ont été moindres du fait de la situation économique, les départements ont eu des dépenses plus importantes qu’habituellement à assumer, notamment au niveau du RSA, le nombre de personnes en difficultés ayant augmenté fortement. Dès lors, les départements ont demandé à être mieux compensés par l’État, ce dernier se retranchant au début derrière la jurisprudence du Conseil constitutionnel considérant que les compensations n’avaient pas, en droit, à être glissantes et à tenir compte des évolutions (la compensation devant se faire au jour du transfert, peu importe les évolutions suivantes). Ne pouvant rester sur cette position, l’État a fait des gestes au fil du temps, notamment avec le gouvernement de J.-M. Ayrault autorisant les départements à déplafonner leurs droits de mutation pour obtenir des recettes supplémentaires pour faire face à la hausse du RSA. Mais le compte n’y était pas, et n’y a jamais été, si bien que des départements ont revendiqué la recentralisation du RSA (il s’agissait de conseils départementaux essentiellement dirigés par des exécutifs de gauche qui étaient convaincus, au-delà du problème financier, sur le principe d’une telle réforme).

Mais cette réforme n’a jamais pu avoir lieu, soit parce que les gouvernements n’en voulaient pas soit, quand des gouvernements l’envisageaient comme celui de M. Valls, parce que l’Assemblée des Départements de France, alors majoritairement dirigée par la droite, a refusé la réforme. Il faut dire que recentraliser une compétence est quelque chose d’inhabituel et de complexe. Outre le fait que certains y voient un recul de la décentralisation, cela pose le problème de la compensation mais cette fois, dans l’autre sens, si je puis m’exprimer ainsi. En effet, si la compensation se faisait au jour de la recentralisation, alors les départements seraient grandement lésés puisqu’on leur prendrait financièrement tous les moyens supplémentaires mis depuis 2003… année du transfert de la compétence. Le législateur a donc décidé, avec l’article 132 de la loi 3 Ds, de permettre à quelques départements d’expérimenter cette recentralisation. L’enjeu ici n’est pas de savoir si l’État fera mieux ou pas que les départements, car il s’agit ni plus ni moins que de verser une allocation, mais plutôt de connaître les modalités de la compensation. C’est ce qui est précisé dans la loi de finances de 2022 à l’article 12. Une première vague de candidatures devra être déposée avant le 30 juin 2022, un décret en Conseil d’État prévoyant préalablement les critères d’éligibilité. L’expérimentation entrera en vigueur le 1er janvier 2023 et durera jusqu’au 31 décembre 2026. La compensation pour l’État par rapport aux départements retenus à l’expérimentation se calculera sur la moyenne des dépenses RSA engagées de 2018 à 2020… Au terme de l’expérimentation, il sera temps pour l’État de décider définitivement de la recentralisation, ou pas, de la gestion du RSA.7

En parallèle, les départements, collectivement, ont fortement poussé pour obtenir avec la loi 3 Ds une nouvelle compétence, à savoir la gestion de la médecine scolaire, aujourd’hui entre les mains de l’État.

Si le Sénat semblait enclin à avaliser ce transfert, le gouvernement a souhaité, et c’est finalement la position qui a été adoptée au final, que l’on réalise un état des lieux et un rapport (article 144) dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, pour y voir plus clair avant un éventuel transfert ultérieur. Mais, contrairement à ce qui avait été envisagé par le Sénat, le débat parlementaire autour de ce rapport sera purement facultatif, c’est souligné dans la loi, et donc au bon vouloir certainement de la nouvelle majorité qui sera issue des urnes au printemps 2022. Nous saurons alors si le mandat qui vient sera, pour les départements, et les collectivités territoriales en général, un mandat de grands bouleversements ou au contraire un mandat qui s’inscrira dans la continuité et dans les équilibres trouvés avec la loi NOTRe…

A. V

Notes de bas de page

  • 1 Loi relative à la differ renciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

  • 2 Voir notre article, A. Viola, ‘Quel avenir pour le département français ? ’, Revue Pouvoirs locaux, n°16, IV/2019, p.24 et suiv.

  • 3 Il est à noter, c’est une nouveauté, que les conseils départementaux pourront installer sur ce réseau, selon l’article 53 de la loi 3 Ds, des radars automatiques.

  • 4 De même, l’article 129 confère la liberté aux conseils départementaux de verser des aides aux vétérinaires et de déterminer librement les modalités de délivrance d’aides qui leur semblent les plus adaptés.

  • 5 Ainsi, sur le plan environnemental, par exemple, l’article 61 qui envisage le transfert de la gestion des sites Natura 2000 exclusivement terrestres aux régions au 1er janvier 2023, prévoit l’avis des conseils départementaux pour la création ou la révision d’une zone spéciale de conservation quand un espace naturel sensible est impacté. De même, le texte apporte des précisions concernant le logement (articles 106 et 111) ou encore l’insertion des personnes en situation de handicap (articles 135, 136 et 139).

  • 6 Une ouverture dont nous ne parlerons pas ici, car celle-ci sera à géométrie variable sur le terrain et qu’il est difficile à ce stade d’en mesurer la portée, est celle consistant à permettre désormais aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (article 8) de déléguer leurs compétences aux conseils départementaux et aux conseils régionaux…

  • 7 Toujours au titre de la cohésion sociale, la loi prévoit à l’article 133 une autre expérimentation en matière de lutte contre le non-recours dont les modalités seront précisées dans un décret en Conseil d’État avant le 31/07/2022.