Quelle IA voulons-nous pour la puissance publique ?
Face à l’irruption de l’intelligence artificielle dans les pratiques professionnelles, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a mené en 2024 une mission exploratoire inédite, intitulée « Éclairer les collectivités, accompagner les agents ». Cette initiative, fondée sur une série d’entretiens qualitatifs, vise à comprendre comment les agents publics, leurs encadrants et les élus perçoivent l’IA, quels usages en émergent, et quelles tensions elle suscite au sein des collectivités territoriales. Mais au-delà du recueil d’impressions, c’est un déplacement du regard qui s’opère. L’intelligence artificielle ne se contente pas de modifier les outils : elle bouleverse les représentations de l’intelligence, de la décision, et de la légitimité dans l’action publique. Ce que révèle cette mission, c’est l’entrée d’une technologie systémique dans l’espace public – une technologie qui ne pose pas seulement la question de ce que peut faire l’IA, mais de ce que nous voulons qu’elle fasse en notre nom. Que reste-t-il de la souveraineté publique lorsque les diagnostics, les procédures, et parfois les relations aux usagers se trouvent médiatisés par des dispositifs algorithmiques ? Peut-on articuler efficacité prédictive et délibération démocratique sans sacrifier ni l’une ni l’autre ? Et surtout, comment inventer un humanisme technopolitique capable de conjuguer maîtrise, responsabilité et imagination dans les choix d’usage ? Cet article propose une lecture critique de cette bifurcation : un moment où la puissance publique, au contact de l’IA, est appelée à se réinventer, non pas en devenant «intelligente» au sens machinique du terme, mais en retrouvant les conditions d’une une intelligence lente, située, capable d’arbitrer sans
se dissoudre dans l’optimisation.
Quelle intelligence voulons-nous pour la puissance publique ? C’est à cette question qu’invite, de manière implicite mais déterminante, la mission exploratoire conduite en 2024 par le CNFPT autour de l’intelligence artificielle. Réunissant un corpus d’entretiens qualitatifs, cette initiative vise à éclairer les collectivités locales sur les usages, les effets, les attentes, mais aussi les inquiétudes que suscite l’arrivée de l’IA dans les services publics territoriaux. Plus qu’un simple rapport de prospective, cette mission trace les contours d’un questionnement anthropologique et politique : l’intelligence artificielle ne se résume pas à des algorithmes, elle incarne une forme particulière de rationalité — calculatoire, prédictive, performative — qui entre en tension avec les finalités propres de l’action publique. Ce que révèle ce…