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« Je suis un héritier des foires médiévales »

Entretien avec M. Bruno Forget, Commissaire général de la Foire de Châlons-en-Champagne

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Pouvoirs Locaux : Vous êtes commissaire général de la Foire de Châlons depuis 1992. Comment cette trajectoire professionnelle s’est-elle déployée et avec elle votre attachement très fort à cet évènement ?

Bruno Forget : Il faut savoir que je suis né à Châlons, j’ai toujours vécu avec la foire de Châlons. Ma mère était salariée d’un exposant de la foire. J’ai toujours adoré ce rendez-vous qui mélangeait de belles choses, des couleurs. À l’âge de 5 ans, certains veulent être vétérinaires, moi, j’ai toujours souhaité être directeur de la foire de Châlons. C’est un moment où les gens se retrouvent, dans la convivialité, avec un mélange d’humeurs et d’idées. Je suis un héritier des foires médiévales où les gens du Nord se retrouvaient avec ceux du Sud pour partager des idées et des marchandises entourés par des saltimbanques. Je me sens totalement l’héritier de ces foires-là.

Pouvoirs Locaux: Quelles ont été les principales évolutions de la foire au cours des dernières années ? Comment la foire s’est-elle adaptée aux changements socio-économiques et technologiques au fil du temps ?

Bruno Forget : La foire moderne est née avec le plan Marshall. La foire a toujours épousé l’air du temps. Dans les années 1947, en plein boom de la consommation, tout le monde se rue sur les objets de consommation courante. C’est également l’avènement de la mécanisation agricole. Une époque où les foires accompagnent une grande transformation de nos territoires. La foire de Châlons a accompagné cette époque et est devenue la première foire du machinisme agricole. Elle est restée très novatrice puisque les objets présentés étaient la télévision, le réfrigérateur et tout était présent pour une consommation courante. Je pense que la foire, dans ses premières années, mélangeait la transformation des territoires à travers la mécanisation agricole et la consommation courante.

Pouvoirs Locaux : Quels sont, selon vous, les principaux atouts qui ont permis à la foire de perdurer sur une si longue période ?

Bruno Forget : Aujourd’hui, cette foire est universelle au sens où c’est une foire, à la fois très sociétale et toujours agricole. On a accompagné les mutations de l’agriculture en matière d’innovation, d’aspects environnementaux, de recherche et de développement. La foire a aussi suivi le mouvement consumériste. Puis, est advenue une foire un petit peu différente, qui accompagne des phénomènes sociétaux. La foire de Châlons parle du handicap, du racisme, des violences faites aux femmes. À partir du moment où nous sommes aussi une tribune d’expression, il nous a semblé évident de mettre en avant ces défis collectifs.

N’oublions que c’est aussi une foire des collectivités locales. Nous restons le premier rendez-vous des maires de la Marne, le premier rendez-vous des élus départementaux du Grand Est. La foire est aussi le rendez-vous de rentrée de la région Grand Est. Cela signifie aussi que les collectivités ressentent le besoin de se montrer toujours plus pédagogue en témoignant, en explicitant ce qu’elles font, ce qu’elles réalisent en matière de services publics locaux, et plus largement leurs impacts dans la vie quotidienne des administrés.

Pouvoirs Locaux : Diriez-vous que c’est aussi un rendez-vous citoyen permettant aux élus d’entrer spontanément en dialogue avec la population ?

Bruno Forget : Tout à fait. On sent une appétence des élus pour aller à la rencontre du public de la foire, un public intergénérationnel. Les élus locaux ont besoin de manifestations comme la nôtre pour pouvoir communiquer de manière concrète sur leurs obligations. Sur un même lieu, il est possible de sensibiliser le public à des sujets aussi importants comme la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, puis de partager des moments plus conviviaux en assistant à un concert, avant d’aller manger une gaufre ou acheter un meuble. On essaye de faire venir les visiteurs sans qu’ils n’aient d’objectif particulier. Ce que j’essaye de dire, c’est que la force de cette foire est aussi son ambiance faite de musique, de parfums et de souvenirs partagés au fil des ans.

Pouvoirs Locaux : Comment les collectivités locales soutiennent-elles la foire, et quel rôle jouent-elles dans son organisation ? Est-ce facile d’œuvrer ensemble ?

Bruno Forget : Oui et non. Je constate que les collectivités regorgent d’initiatives mais elles ne communiquent pas assez, et pourrait-on dire ne se connaissent pas assez et ne sont pas assez identifiées pour ce qu’elles réalisent au service de l’intérêt général. Naturellement, si je prends le département de la Marne, des initiatives formidables sont prises, sans pour autant avoir suffisamment de résonance auprès des administrés. Mon métier est donc de stimuler les collectivités, de les prévenir des opportunités de valorisation et de les pousser à communiquer. Récemment, j’ai eu la chance d’avoir de nouveaux interlocuteurs. Ils ont pris conscience de la richesse du département, qui regorge de qualités, et souhaitent le dire et le mettre en avant. Je partage l’idée que les acteurs publics ne créent pas assez d’imaginaire autour de ce qu’ils font. Soyons fiers de nos territoires. Tout un chacun est ambassadeur de son territoire, et quand on veut séduire, il faut être convaincu des qualités que possède son territoire pour le faire.

Pouvoirs Locaux : Les retombées de la foire sur l’économie locale sont-elles évaluées ? Quels sont les impacts pour les exposants, et plus largement sur les acteurs économiques de la Marne ?

Bruno Forget : La foire se termine là où elle commence et elle commence là où elle se termine. Elle sécrète des leviers importants de développement à travers des rencontres. La foire de Châlons ne se compte pas en jours, elle dure une année. Sur la durée, on a créé des liens, des réseaux et on se retrouve dans une ambiance assez particulière où la parole est plus facile et avec elle les échanges et les négociations. De vrais contacts se créent, et après, des opportunités économiques s’ouvrent. Il est dénombré entre 150 et 180 rendez-vous qui se déroulent sur la foire en une semaine. À ce titre, nous jouons le rôle de premier promoteur du territoire. La foire ne se réinvente pas à chaque édition. Elle s’accentue, se régénère comme c’est le cas par exemple sur le sujet de la bioéconomie.

Pouvoirs Locaux : Les visiteurs viennent-ils essentiellement de la région Grand Est ou au-delà peut-être ?

Bruno Forget : Au-delà, bien au-delà. Naturellement, la région Grand Est est la plus présente. Aussi, les Hauts-de-France, la région Île-de-France, la Seine-et-Marne, avec un million et demi d’habitants. Notre prisme agricole nous permet de rayonner sur toute la France. Concernant le grand public, il réside dans un rayon de 150 kilomètres. La dernière édition a rassemblé 230 000 personnes, un chiffre stable. Nous n’avons pas d’objectifs chiffrés de visiteurs. L’objectif se mesure sur la qualité dont les conférences sont un gage et qui réunissent entre 700 à 800 personnes par thème.

Pouvoirs Locaux : Existe-t-il d’autres foires comparables en France, hormis la Foire de Paris ?

Bruno Forget : Je ne le crois pas. Imaginez que sur la foire de Châlons, une messe est donnée tandis que des conférences s’intéressent par exemple aux politiques de lutte contre le handicap ; on y parle aussi de l’ingénierie agricole tout en accueillant des dizaines d’associations sportives et culturelles. C’est une agora exceptionnelle et assez unique en son genre. C’est aussi une équipe de 4 salariés à temps plein et pas moins de 150 personnes mobilisées le moment venu. Sur bien des registres, la véritable richesse de la foire, c’est le partage.

Propos recueillis par Laurence Lemouzy