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Les foires : des lieux de flux et d’effervescence

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Les foires, vestiges d’une tradition millénaire, jouent un rôle essentiel dans le tissu économique et social de la France. Ces événements, répartis sur l’ensemble du territoire, ne sont pas simplement des lieux de commerce, mais également des catalyseurs culturels, sociaux et territoriaux. Les recherches de l’historienne Covadonga Valdoliso indiquent qu’« à l’époque médiévale, les foires étaient des lieux incontournables pour les échanges commerciaux et la sociabilité urbaine »1 . Elles ont joué un rôle central dans le développement du commerce en Europe, encourageant la spécialisation des activités économiques régionales. Retour sur l’histoire et les lieux des principales foires françaises et décryptage de leur connexion profonde avec les provinces d’aujourd’hui.

« Le Moyen Âge a connu un réseau très hiérarchisé de marchés et de foires, allant des tout petits marchés ruraux à l’échelle locale aux grandes foires internationales d’Angleterre (Winchester, Stamford), de Flandres (Bruges, Ypres, Lille), d’Italie (Milan) et surtout de Champagne. Les marchés et foires régionales des gros bourgs et des villes se tenaient souvent annuellement au moment de la fête du saint patron de la communauté. Ces lieux d’échanges essentiels se sont surtout développés après l’an mil grâce à une volonté seigneuriale, communale ou royale de sécuriser davantage les routes et d’assurer une protection des marchands. Avec les boutiques des villes, ils reflètent la vitalité qui fut celle du commerce médiéval. »2 Une photographie historique partagée par les chercheurs Philippe Bouin et ­Christian-Philippe Chanut dans l’ouvrage « Histoire française des Foires et des expositions universelles »3. L’étude de l’histoire économique du Moyen Âge date la naissance des foires au cours du Xe siècle. Au début et milieu du XVIIe siècle, leur organisation, leur fonctionnement et leur rayonnement seraient en tous points semblables à ce que décrivaient les textes de l’époque de Philippe le Bel ou de Philippe de Valois. C’est un fait avéré que les foires ont représenté une forme importante du marché au Moyen Âge. Aujourd’hui, les foires ressemblent à notre époque tout en conservant les traces de la mémoire des lieux !

Des foires et des lieux

La France, avec sa diversité géographique, héberge une multitude de foires réparties sur l’ensemble du pays. Les grandes métropoles comme Paris, Lyon, Marseille et Lille sont des centres majeurs d’activité des foires. Ces villes attirent souvent des foires internationales, renforçant leur statut de centres économiques et culturels. Les foires ne se limitent cependant pas aux grandes villes. Les territoires ruraux ont leurs propres foires, mettant en valeur les richesses agricoles, artisanales et culturelles locales. Ces événements ruraux jouent un rôle crucial dans la préservation des traditions régionales et dans le maintien de l’activité économique dans des zones parfois marginalisées. « La localisation des foires d’abord principalement en France correspond à la fonction millénaire de l’isthme européen, avec une orientation des échanges nord-ouest et sud-est et vice versa, du bassin des pays du Nord (les îles britanniques et le delta Escaut-Meuse-Rhin, puis l’espace baltique) au bassin méditerranéen »4 rappelle l’historien médiéviste Henri Dubois.

Les plus grandes foires françaises

Parmi les « géants », la Foire de Paris se démarque, occupant plusieurs hectares pour présenter une variété impressionnante de secteurs, de l’innovation technologique au design. C’est en 1904 qu’un bijoutier répondant au nom de Gustave Sandoz lance la toute première grande foire de la capitale. Elle prend place à l’époque au Carreau du Temple, un marché ouvert situé dans le 3e arrondissement, en plein cœur du Marais. Son idée de départ était de réinterpréter à échelle grand public une version plus française, commerciale et industrielle de l’Exposition universelle de 1890. Le projet du bijoutier fut largement acclamé par la presse française et internationale qui le prirent très au sérieux. Ainsi, le journal le Petit Parisien écrivait : « La Foire de Paris serait le rendez-vous des découvertes de l’année, des échantillons inédits de toutes provenances ; ce serait comme un congrès international du progrès, un immense centre d’affaires et de ralliement de toutes les idées et de toutes les nouveautés ». La Foire de Paris change de lieu de rendez-vous chaque année, passant tour à tour des Tuileries aux Invalides puis au Champ-de-Mars. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les premiers exposants internationaux viennent y présenter leurs stands. C’est en 1925 que la Foire élit domicile à la Porte de Versailles, spécialement réaménagée pour l’occasion.

La Porte de Versailles accueillera également en mars 1964 le Salon de l’Agriculture, une foire incontournable dans le paysage agricole, qui réunit chaque année agriculteurs, éleveurs et consommateurs. Lancé par le ministre de l’Agriculture d’alors Edgard Pisani, cette vaste exposition est le prolongement d’une tradition plus ancienne encore, celle des comices agricoles locaux, les concours d’animaux de boucherie appelés aussi concours « des animaux gras » qui remontent au XVIIIe siècle.

La Foire internationale de Lyon, quant à elle, s’affirme de son côté comme un acteur majeur du panorama des foires françaises. Son caractère international attire des exposants du monde entier, favorisant ainsi les échanges économiques et culturels à une échelle globale. La foire de Châlons-en-Champagne, occupe une place de choix. Ancrée dans une région au riche patrimoine agricole, elle est devenue un rendez-vous incontournable pour les professionnels du monde rural. Cette foire, en plus de favoriser les échanges commerciaux, met en lumière les savoir-faire locaux et contribue au rayonnement de la Champagne-Ardenne. Enfin la foire de Strasbourg incarne une fusion réussie entre tradition et modernité. Sur les rives du Rhin, elle offre une vitrine à l’artisanat, à la gastronomie et aux innovations industrielles. Ces foires, chacune à leur manière, sont des moteurs de l’économie française. En créant des opportunités de rencontres et d’échanges, en stimulant l’innovation et en promouvant la richesse culturelle du pays, elles contribuent de manière significative à la vitalité économique et culturelle du territoire national.

Des foires et des flux économiques et culturels

L’implantation des foires a un impact économique significatif. Les entreprises locales, nationales et internationales utilisent ces plates-formes pour présenter leurs produits et services, établir des partenariats et stimuler les ventes. Les retombées économiques bénéficient non seulement aux organisateurs, mais, également aux commerçants locaux qui profitent de l’afflux de visiteurs. Certaines foires sont spécialisées dans des secteurs spécifiques tels que l’agriculture, la technologie, l’art ou la mode. Ces événements attirent des experts de l’industrie et des passionnés, créant des opportunités uniques de réseautage et d’échange d’idées. Ainsi, l’implantation des foires crée des hubs d’activité économique, renforçant la compétitivité des entreprises. Selon l’Union Française des Métiers de l’Événement (UNIMEV), « en 2018, pas moins de 80 % des participants ont réalisé au moins un achat sur la foire avec un panier moyen de 528 euros, ce qui confirme qu’elles restent avant tout des places de commerce ».5

Les foires ont également été des catalyseurs d’innovation. Comme le mentionne Joseph Garnontel, qui a publié une revue historique sur la foire de Châlons-en-Champagne6, à l’heure de la reconstruction après 1945, « la dynamique insufflée par le premier Plan de modernisation et d’équipement (1946-1952) ligua toutes les énergies. Il s’agissait, en premier lieu, d’en finir avec le rationnement alimentaire – les derniers tickets de rationnement ne seront supprimés que le 1er décembre 1949 – et, en second lieu, d’équiper les activités de basses telles que les houillères, la sidérurgie, l’électricité, les transports et l’agriculture  »7. Dans ce contexte, « la modernisation du machinisme agricole fut désignée comme l’une des priorités du Plan ; un message qui semble avoir été entendu par les organisateurs de cette Foire de Châlons new-look »8. Ces rassemblements ont favorisé le partage des connaissances et la diffusion de nouvelles idées, contribuant ainsi à l’évolution des industries et des technologies. Au-delà de leur impact économique, les foires jouent un rôle crucial dans la préservation et la promotion de la culture locale. Les foires régionales mettent en avant l’artisanat traditionnel, la gastronomie locale et les arts régionaux, créant un lien profond entre les habitants et leur patrimoine. Il n’en demeure pas moins qu’elles adoptent les technologies de leurs temps.

Des foires en mode 4.0 ou presque

L’avènement des technologies numériques a considérablement impacté les foires en France. De nombreuses foires intègrent désormais des plateformes en ligne, des applications mobiles et des outils de réalité virtuelle pour améliorer l’expérience des visiteurs, faciliter les transactions commerciales et élargir la portée des événements au-delà des frontières physiques. Une tendance notable est la spécialisation croissante des foires. Plutôt que de demeurer des événements généralistes, de nombreuses foires se concentrent sur des secteurs spécifiques tels que la technologie, l’agriculture, le tourisme, la mode. Il s’agit alors de cibler des publics spécifiques et de répondre à des marchés de niche. Les organisateurs de foires mettent de plus en plus l’accent sur la création d’expériences visuelles et interactives. Des installations artistiques, des démonstrations en direct, des zones d’expériences immersives et des espaces interactifs sont intégrés pour captiver l’attention des visiteurs et rendre les foires plus mémorables. Certaines foires françaises ont renforcé leur dimension internationale, attirant des exposants et des visiteurs du monde entier. Cette internationalisation favorise les échanges commerciaux internationaux, contribuant ainsi à renforcer la position de la France sur la scène économique mondiale.

Et demain ?

Si les foires reflètent la diversité du pays, favorisent les flux économiques et culturels créant ainsi des opportunités uniques pour les entreprises et les communautés locales, les faire perdurer n’est pas sans défi. Les préoccupations environnementales, les coûts logistiques et la concurrence mondiale nécessitent une gestion stratégique pour garantir le succès continu de ces événements. Les organisateurs doivent équilibrer l’aspect commercial avec la préservation des traditions et la responsabilité sociale et environnementale. Si les foires nationales attirent des centaines de milliers de visiteurs (407 000 visiteurs pour la Foire de Paris, en 2023, soit une hausse de 23 %), d’autres, comme la foire de Châlons, parviennent à rassembler jusqu’à 230 000 personnes comme ce fut le cas en 2023, un chiffre quasi constant qui ne dément pas l’attractivité du rendez-vous. De la grandeur des foires internationales aux charmes des foires régionales, ces événements annuels racontent et renouvellent l’histoire d’un territoire en créant des connexions économiques, sociales et culturelles en continu. En équilibrant tradition et modernité, les foires demeurent bien vivantes entre « mémoire et devenir ».

Notes de bas de page

  • 1 Histoire et Civilisation.com. "Quand le Moyen Âge faisait la foire", 28 septembre 2021. https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/moyen-age/quand-le-moyen-age-faisait-la-foire-78102.php.
  • 2 Ibid.

  • 3 Bouin, Philippe et Christian-Philippe Chanut. Histoire française des foires et des expositions universelles, 1980. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3340647w.

  • 4 Dubois, Henri. « Les foires dans la France médiévale ». In Genèse des marchés : Colloque des 19 et 20 mai 2008, édité par Françoise Bayard, Patrick Fridenson, et Albert Rigaudière, 3748. Histoire économique et financière - XIXe-XXe. Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2015. https://doi.org/10.4000/books.igpde.3901.

  • 5 Étude de l'UNIMEV sur les visiteurs de foires réalisée par le cabinet Co-Spirit reposant sur l'analyse de 11 foires-expositions françaises soit plus de 5 000 visiteurs, in Event Data Book Édition 2019 Chiffres, analyses et tendances de la filière événementielle en 2018.

  • 6 Joseph Garnotel, "La foire de Châlons, Entre mémoire et devenir", 2023, Éditions du Journal de l'Union.

  • 7 Bouzin, Alexis. "Joseph Garnotel a consacré à la Foire de Châlons", le 17 septembre 2023.

  • 8 Ibid.