Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

« La proximité entre nos pays est historique mais il faut la renouveler de manière continue »

Entretien avec M. Roberto BALZARETTI, ambassadeur de Suisse en France

Télécharger

Pouvoirs Locaux : Depuis plus d’un an, à période régulière, vous allez à la rencontre, en vélo, des territoires de France, une façon de saluer les coopérations franco-suisses sur le territoire. Comment cette initiative singulière a-t-elle vu le jour ? Quels enseignements en tirez-vous ? Quelles émotions aussi peut-être ?

Roberto Balzaretti : L'idée n'est pas particulièrement originale en soi : sortir de son bureau parisien pour aller à la rencontre des régions françaises et y découvrir ce qui s'y passe. Je pense que la plupart de mes collègues ambassadeurs le font également. Paris est un lieu important pour les relations bilatérales. Le gouvernement est ici, le Parlement, les corps constitués également. La France des régions est aussi importante, tout particulièrement les régions frontalières. N’oublions pas que la France et la Suisse ont presque 600 kilomètres de frontière commune. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est comptent presque 50 % des échanges commerciaux entre la Suisse et la France. Il s’agit aussi à travers ces déplacements de mettre en exergue les coopérations franco-suisses et de montrer par la proximité que l'échange entre nos deux pays, qu'il soit économique, scientifique ou encore culturel est très vivant et qu'il se développe. Cette démarche, somme toute assez classique, revêt pourtant une importance particulière car il est inscrit dans notre ADN de considérer les régions comme le lieu par excellence où la vie socio-économique et politique se développe. La proximité entre nos pays est historique mais il faut la renouveler de manière continue.

Là où la démarche est plus originale, c’est que nous avons décidé de réaliser ce tour des régions à vitesse humaine, à vélo. Nous aurions pu le faire à pied, bien que cela eût pris un peu plus de temps. Le vélo est un bel instrument pour parcourir un territoire à une vitesse qui permet de se rendre compte de ses singularités bien mieux que dans un train à grande vitesse ou en voiture. Qui plus est, un moyen sympathique et évocateur de beaucoup de belles choses, en France certainement, mais en Suisse aussi. Je vous assure que le Tour de Romandie ou le Tour de Suisse sont aussi appréciés et suivis en Suisse que le Tour de France l'est ici.

Nous avons essayé de mélanger l'émotionnel avec le rationnel et la tradition du vélo avec l'innovation, car les vélos utilisés ont une assistance électrique produite par une entreprise suisse basée aussi en France. Nous avons ainsi un bel exemple de coopération industrielle. Bref, vous obtenez ainsi un joli projet de proximité, d'amitié, d'innovation, de durabilité, tout ce que l’on veut mettre en exergue dans la relation bilatérale.

Pouvoirs Locaux : 200 000 Suisses vivent en France, 185 000 Français résident de façon permanente en Suisse tandis que 200 000 transfrontaliers y travaillent au quotidien. Dans cette période post-covid, est-ce que les aspirations au télétravail rendent nécessaires des adaptations sociales ou réglementaires entre nos deux pays ?

Roberto Balzaretti : Sur la fiscalité des frontaliers, nous avons apporté des nouveautés qui tiennent compte des changements amenés par le Covid en matière de télétravail. Nous avons signé un avenant aux accords de 1973 et de 1976 qui permet de télétravailler jusqu'à 40 %, sans qu'il y ait modification du régime fiscal. Les accords en place peuvent continuer de fonctionner de la même manière mais ce seuil formel de 40 %, au lieu de 20 % informel auparavant, introduit un vrai changement.

 Au niveau du régime des assurances sociales, la France et la Suisse ont signé l'accord cadre multilatéral permettant le maintien de la législation sociale de l'État d'emploi des travailleurs frontaliers qui télétravaillent moins de 50 % de leur temps de travail dans leur État de résidence.

Pouvoirs Locaux : Plus globalement, la coopération transfrontalière s’inscrit-elle dans une dynamique vertueuse ? Percevez-vous des angles morts, des impensées qui pénaliseraient de plus grandes avancées en matière de coopération transfrontalière ?

Roberto Balzaretti : Le fait qu'il y ait des communautés suisses et françaises de part et d'autre de la frontière explique l’essor socio-économique tout au long des décennies et ses promesses pour le futur. Une émigration suisse en France a eu lieu au début du 20e siècle. Entre le 19e et le 20e siècle, des gens pauvres quittent la Suisse pour trouver fortune à Paris où en France de manière générale, comme dans la vallée du Rhône, à Lyon. Aujourd'hui, en France, un peu plus de 200 000 personnes en sont les descendants. Nous nous trouvons désormais dans une situation inverse. Les Français vont en Suisse. Il s'agit d'une immigration différente, ce sont des personnes hautement qualifiées qui nourrissent l'essor économique suisse par leur intelligence et leur travail. Il en est de même pour les Suisses qui viennent en France. Ils s'occupent de haute technologie, ils sont ingénieurs, viennent du tertiaire avancé, voire de l’industrie. Il est très intéressant de voir que ces ancrages historiques continuent d’être le moteur des échanges et de leur modernisation. Ces travailleurs produisent de la richesse économique, mais aussi intellectuelle qu'il convient de mettre en exergue.

Dans une relation bilatérale, rien ne peut être parfait mais les réussites sont énormes. Parfois les dossiers peuvent prendre un peu de temps pour aboutir, mais ils avancent. Nous venons par exemple de préciser l'accord de coopération policière qui encadre les courses-poursuites transfrontalières. Pendant un moment, nous avons rencontré des difficultés à interpréter certains concepts, comme « interpeller », « appréhender » ou « arrêter ». Ces notions peuvent paraître très techniques, mais lorsqu'une patrouille de police poursuit un malfrat en voiture et qu'il passe la frontière, la police ne pouvait pas intervenir car elle risquait d’enfreindre la loi. Le résultat est que la patrouille, à un certain moment, s'arrêtait et le malfrat parvenait à s'échapper. Les autorités ont réfléchi et ont trouvé un accord sur ce sujet. Nous avons aussi renouvelé un accord de coopération militaire en matière de formation des forces aériennes. Ces accords avancent bien. Sans compter sur ce qu'il se passe au niveau local,  par exemple entre Genève et les départements transfrontaliers, ou encore à Bâle. À ce sujet, le tram bâlois s’étendra jusqu’à l'aéroport de Bâle-Mulhouse, les financements sont prêts et tout va se réaliser.

Pouvoirs Locaux : Quels sont les chantiers déjà là en matière d’entente et de coopérations transfrontalières ?

Roberto Balzaretti : Trois grandes questions sont délicates et méritent toute notre attention.

La première est celle de l'eau. Le Léman et le Rhône approvisionnent en eau toute la vallée du Rhône. Il faut donc prévoir un cadre de coopération adéquat. Ce n'est pas simple. En cas de pénurie d'eau, il ne s’agit pas simplement de puiser de l'eau dans le lac, et en période de crue, il faut coopérer. Le même type de questionnement concerne le Doubs. Il existe trois centrales hydroélectriques dont les concessions viennent à échéance, concessions qu’il convient de réorganiser au regard des problématiques contemporaines des flux d'eau et du partage de l'énergie obtenue. Ces questions de gestion de l’eau sont politiques car l'eau sera l'un des sujets majeurs de demain avec l'énergie. La gestion de l'eau est donc l'un des grands défis transfrontaliers. 

Le second dossier sensible pour aujourd’hui et demain est celui du travail et de la main-d’œuvre, que ce soit pour le maintien d'un certain niveau économique et social et aussi pour des enjeux démographiques et d'équilibre des territoires.

Le troisième défi porte sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse. L'aéroport de Bâle-Mulhouse a été voulu, établi et créé en 1949 par une convention bilatérale. Ce projet est unique en Europe et dans le monde avec un lieu binational sur territoire français. La Suisse n'avait pas la place pour un troisième aéroport après Genève et Zurich. La France à l'époque n'avait pas les moyens de le construire. L'aéroport a été financé en grande partie par les Suisses, mais construit en territoire français. Des règles que l'on pourrait qualifier de coutumières se sont installées, avec un secteur suisse et un secteur français. Lorsque vous atterrissez, d'un point de vue douanier, vous avez un couloir pour sortir vers la Suisse et un autre pour aller vers la France. Sur le site de l'aéroport, des entreprises suisses et des entreprises françaises ont suivi pendant des décennies le régime légal de leur pays. Jusqu'au moment où, en période de crise, des personnes licenciées ont fait appel de la décision de leur entreprise, non pas devant le tribunal suisse, mais devant le tribunal français, puisque nous étions en France. Une décision de la Cour de cassation a expliqué que les règles impératives du droit français devaient s'appliquer puisque nous étions en France ; alors que pendant des décennies, de manière coutumière, le droit suisse s'appliquait. Nous avions déjà rencontré des difficultés en matière de droit du travail, qui avaient été réglées par ce que l'on appelle un accord de méthode, mais qui n'était pas un accord de droit international, et qui n'a que peu de valeur lorsque le juge explique que ce sont les normes impératives du droit français qui s'appliquent. Et il n'y a pas de norme internationale pour contrer la décision du juge français.

Les entreprises suisses ont connu une période de doute et de forte inquiétude. Avec de la bonne volonté de part et d'autre, les affaires ont repris peu à peu. D'ailleurs, le trafic passager et marchandises a presque retrouvé son niveau pré-covid. Mais la situation reste fragile. Surtout, qu’en économie, les entreprises n'aiment pas l'imprévisibilité. Il faudrait un accord de droit international qui établisse des règles, soit communes, soit différentes mais qui tranche sur le droit qui est applicable. De toutes les questions frontalières, ce projet est le plus difficile.

Pouvoirs Locaux : La Suisse est le 3e investisseur économique en France. Comment expliquer cette dynamique et quels en sont ses ressorts ?

Roberto Balzaretti : Si vous regardez les échanges commerciaux entre la France et la Suisse, ils représentent environ 36 milliards d'euros. La balance est très équilibrée. La France a un léger surplus dans la balance commerciale, ce qui est assez remarquable parce qu'elle ne l'a pas avec beaucoup de pays. Avec la Suisse, ce surplus est léger, mais existe tout de même. Les produits échangés sont les mêmes de part et d'autre de la frontière. Les machines, les outils, le textile, la pharmaceutique, la chimie, les services… Non seulement les échanges sont complémentaires mais également équilibrés. La présence suisse en France est historique, surtout dans le secteur industriel. À l'époque, l'industrie était un peu plus lourde. Aujourd'hui, ces machines sont des engins d'une sophistication électronique incroyable. Au sortir de la deuxième Guerre mondiale, le tissu industriel suisse était préservé. La neutralité a préservé la Suisse de la guerre et de ses conséquences. Et la disponibilité des tissus industriels et des capitaux a fait que la Suisse a pris un peu d'avance. Le revers de la médaille est la nécessité pour un petit pays comme la Suisse, qui a un marché intérieur restreint, de trouver des débouchés à l'extérieur.

Nous avons donc d'abord cherché ces débouchés chez nos voisins les plus proches qui avaient un besoin évident de démarrer industriellement. C’est ainsi que vous avez une forte présence suisse en France, en Allemagne ou en Italie… Puis, nous sommes allés plus loin, aux États-Unis, en Asie. Ces échanges ont produit un cercle vertueux. La plupart des montants d'investissement — qui sont de l’ordre de presque 108 milliards d’euros de stocks — sont des investissements plutôt traditionnels. En même temps, et pour des raisons similaires, un développement très rapide de grandes écoles a eu lieu en Suisse. De hautes écoles qui permettent aujourd'hui à beaucoup de Français, d'Allemands et d'Italiens de se former en Suisse avant de repartir chez eux. Il y a alors création de liens humains. En mettant toutes ces choses bout à bout, la Suisse dispose d'une compétitivité très forte par rapport à d'autres pays et une nécessité de débouchés qui crée une forte présence à l’étranger.

Pouvoirs Locaux : Cette relation économique ne s’est-elle pas aujourd’hui équilibrée ?

Roberto Balzaretti : Tout à fait. Vous avez toujours des Français qui étudient dans les hautes écoles suisses, environ 11’500. Ils reviennent en France, car leur pays leur offre des chances de développer des idées et des industries. Ils créent une entreprise et peu à peu investissent dans d'autres marchés, notamment en Suisse car ils connaissent le savoir-faire suisse. Il y a là création d'un cercle vertueux. Donc, pour répondre à votre question, un équilibre s'est formé. Les deux pays importent et exportent autant de marchandises dans les mêmes secteurs. Probablement, il y a également ce qu'on appelle un trafic de perfectionnement actif ou passif des produits. La Suisse n'est pas dans l'union douanière de l'Union européenne, mais des accords existent et permettent de faire les choses assez simplement. Les certifications sont communes. La Suisse est en partie dans le marché intérieur de l'Union européenne. Elle n'y est pas complètement, mais pour certains secteurs, des accords ont été conclus. Nous avons une économie ouverte de part et d'autre. Avec néanmoins quelques défis.

Le premier est certainement le manque croissant de main-d'œuvre qualifiée à tous les niveaux. Ceci s’explique par une baisse démographique, le développement rapide de certains secteurs et des effectifs qui ne suivent pas la demande. Nous retrouvons ce problème dans l'électronique avancée et dans la robotique notamment. Prenons un exemple : si vous avez un installateur électricien, c'est une chose. Cependant, si vous avez besoin d'un spécialiste pour installer un système photovoltaïque relié à des onduleurs de dernière génération, à une pompe à chaleur, à une borne pour voiture électrique, et à une batterie pour la recharge, ce n'est pas un installateur électrique qu’il vous faut, c'est un électronicien et il n'y en a pas. Il faut donc les former. Admettons que le marché du travail suisse est probablement plus intéressant pour beaucoup de frontaliers que le marché du travail français du point de vue des salaires notamment. Il y a là un problème potentiel de déséquilibre. C'est également le cas dans le domaine de la santé. Cette proximité et cet essor économique commun peuvent donc créer des situations de déséquilibre dont il faut s'occuper. Sans compter le fait que vous avez aujourd'hui plus de 210 000 frontaliers français qui vont en Suisse tous les jours, généralement en voiture, ce qui génère des problèmes de mobilité et des nuisances environnementales.

À l’heure d’une économie que l’on souhaite innovante et durable, beaucoup de travailleurs sont obligés de prendre une voiture pour se déplacer de leur lieu de vie vers leur lieu de travail. Ce n'est ni innovant, ni durable. Il faut donc un effort tout particulier de développement de réseaux de transport en commun. Cet effort fut fait dans le Genevois avec le Léman Express, qui est le plus grand réseau transfrontalier d'Europe : Genève, Les Eaux-Vives, Annemasse, Annecy, Thonon, Évian… Une réflexion est en cours dans le Jura, autour de Besançon, Pontarlier, Lausanne et même plus loin, vers Delle, Neuchâtel et Porrentruy. Il faut trouver les financements et aussi créer une offre pour que les gens utilisent ces transports. Une vraie réussite se trouve du côté de Bâle qui, pour des raisons historiques, est un carrefour. Il faut sans doute s'en inspirer.

En Bourgogne-Franche-Comté, la coopération s'est surtout concentrée sur l’emploi, le travail, les offres qualifiées en raison de l’expansion extraordinaire que connaissent le domaine horloger et celui de la mécanique fine. Des écoles forment des horlogers du côté français, mais il n'existe que très peu de manufactures en France. Elles s'installent peu et préfèrent traverser la frontière. Ces diplômés français vont donc travailler en Suisse. Il faut absolument réfléchir à un équilibre durable pour toute la région transfrontalière. L'autorité politique entre en jeu et les élus, qu'ils soient maires, députés, sénateurs ou présidents de région doivent l'expliquer à Paris. C'est une nécessité absolue.

Pouvoirs Locaux : Quelle est la répartition des pouvoirs en Suisse ? Comment se vit et se pratique la subsidiarité ? Est-ce la clé de la vitalité de la vie démocratique locale suisse ?

Roberto Balzaretti : La première constitution fédérale suisse date de 1848. En son article 3, il est écrit que les compétences sont cantonales, sauf lorsqu'elles ont été déléguées à la Confédération. Tout ce qui n'a pas été donné comme compétence explicite à l'État central reste de la compétence des cantons. Ce n'est pas l'État central qui souhaite décentraliser.

La Constitution Suisse est très flexible et peut être modifiée par un vote populaire. Il n'y a pas de limite à la révision constitutionnelle en Suisse, sauf les normes impératives de droit international. Elle est très souvent révisée. Il y a eu une révision totale en 1874 et une 2ème révision totale a eu lieu en 1999, dans l'optique de l'an 2000, 150 ans après son adoption. Cette dernière révision a permis de la restructurer en réordonnant les droits fondamentaux, les autorités, les compétences… Par ailleurs, il faut savoir que 100 000 citoyens peuvent demander une révision constitutionnelle partielle en formulant soit une disposition précise, soit en rédigeant une disposition plus large. Dans ce dernier cas, il faut une loi pour mettre en œuvre cette révision. Une révision partielle importante a été celle de 1891 car elle a introduit le droit d’initiative.

Bien qu'elle soit très flexible, l'article 3 est toujours présent dans notre Constitution en prévoyant que tout ce qui n'est pas délégué à la Confédération est de la compétence des cantons. Pour autant, il convient de préciser qu’en matière d'aménagement du territoire par exemple, la Confédération édicte des règles générales et les cantons, un plan directeur cantonal. Vous avez donc des compétences partagées, complémentaires, et concurrentes. Aujourd'hui, la réalité constitutionnelle est beaucoup plus compliquée que le simple « les cantons sont compétents pour tout, sauf… ». Il est nécessaire que les cantons se parlent entre eux concernant l'école, la santé, la mobilité ou encore l'exercice de certaines professions. Par exemple, il y a encore quelques années, lorsque vous étiez avocat à Genève, vous ne pouviez pas exercer dans le canton du Tessin. Aujourd'hui, le diplôme acquis dans un canton est reconnu dans l'autre. Il a fallu beaucoup de travail pour y parvenir, et une loi fédérale. Ce système est porté par la grande majorité des Suisses si bien que personne aujourd'hui n'oserait dire qu'il faut le changer. Pourquoi ? Parce qu’il permet une chose essentielle : le citoyen se sent proche de celles et ceux qui dirigent au niveau communal et cantonal. Il est attaché au fait d'avoir un référent immédiat qui est en capacité de décider.

Même lorsque les compétences sont fédérales, elles sont presque toujours déléguées à l'échelle cantonale. Même pour ce qui concerne le régime d'assurances sociales qui est fédéral, la Confédération a prévu des bureaux dans les cantons et l'autorité cantonale est responsable de la mise en œuvre. En ce qui concerne la fiscalité fédérale, les cantons sont aussi en charge de sa perception. Vous avez toujours un interlocuteur, une interlocutrice proche de vous. Le miracle de ce système est d'assurer la proximité entre citoyens, résidents et autorités administratives ou politiques. Je pense que ce sentiment est presque plus important que le vote en lui-même car dans la vie de tous les jours, ce qui compte, c'est que lorsque vous allez à la mairie, il y ait quelqu'un de compétent pour toutes vos affaires et qui va s'occuper de vous.

Pouvoirs Locaux : Vous vivez en France, vous avez rencontré des Français en région ? Quelle perception avez-vous de la France depuis Paris, d’une part et depuis ses provinces d’autre part ?

Roberto Balzaretti : Je vois deux réalités différentes que j'observe avec beaucoup de modestie et de prudence. Vous ne connaissez pas une région en profondeur en y passant deux jours, mais vous y sentez tout de même des choses. Partout en France, y compris à Paris, les structures institutionnelles, l'organisation et l’administration publique sont très similaires. Au-delà de cette matrice, les différences territoriales proviennent, je pense, de l'histoire et des différents développements économique et social. En Vendée, par exemple, vous vous sentez presque en Suisse. La structure est exactement la même. Dans le Sud-Ouest, vers Bayonne, Biarritz et le Pays basque français, c'est également très similaire. En revanche, la Riviera est un autre monde. Si vous êtes en Bourgogne-Franche-Comté, le long de la frontière, vous ne savez pas trop si vous êtes en Suisse ou en France. D'ailleurs, nous avons fait beaucoup d'allers et retours entre Morteau, Le Locle, Belfort, et Porrentruy.

Selon où vous êtes, vous percevez ces différences, avec une constante qui est celle d'une structure étatique bien plus pyramidale que la nôtre. Je rencontre très souvent, en région, les préfets. Dans le système suisse, il existe des préfets dans certains cantons — ceux de Fribourg ou de Vaud — mais ils représentent le gouvernement cantonal et non pas le Conseil fédéral. L'idée même que le gouvernement central ait des préfets dans les cantons suisses serait incompréhensible, une hérésie, alors qu'il est tout à fait normal en France que le préfet soit à côté du président de région et du maire de la ville. Mais chacun a son rôle. Chacun raconte, non pas une histoire différente mais raconte l'histoire de manière différente, ce qui est très enrichissant.

Sur le terrain, lors de mes pérégrinations à vélo, les conversations avec les autorités publiques et politiques ne sont qu'une partie du voyage. Ce qui m’intéresse également, c'est la rencontre avec des acteurs au quotidien des relations bilatérales. Ce sont aussi bien des acteurs économiques que des artistes, des directeurs de théâtre, de musée, des scientifiques, des chercheurs ou des sportifs de haut-niveau. Toutes ces personnes alimentent les relations franco-suisses, au-delà des échanges commerciaux.

Pouvoirs Locaux : À travers ces rencontres, quelle est votre radioscopie de la société française ?

Roberto Balzaretti : Question délicate. La France est un pays fascinant. Je vis au quotidien à Paris et lors de mes déambulations, j’apprécie la qualité de l’accueil et le professionnalisme. On s’y sent en sécurité. Paris est aussi une grande ville-monde avec tous les soucis et les défis de ce type de ville, notamment la mobilité, le trafic, les infrastructures. Quand vous partez en province, c'est une autre France qui se découvre. Vous avez des parcs d'innovation extraordinaires qui côtoient des zones fragilisées, des villages isolés. Parfois, j'ai traversé à vélo certaines de ces zones. J’ai été notamment frappé par les lieux financés par l'État et dédiés à l'économie du futur. Vous avez des villes extraordinaires partout, des villes très belles avec des zones piétonnes et des centres-villes qui, en dépit des effets de la globalisation, conservent une âme un peu particulière, et des gens accueillants partout.

Je parle avec les personnes que je rencontre, je lis la presse, je suis les débats. Je vois alors d’autres versions de cette même France : il y est question de système d'éducation, de justice, de sécurité, de santé, de mobilité ferroviaire. La France est un pays qui va, comme tous les pays européens, vers le post-industriel, qui a besoin de s'occuper d’une partie de la population qui, comme dans tous nos pays, se sent délaissée, perdante de la globalisation. Mon métier, c'est de voir dans quelle mesure les relations entre mon pays, la Suisse, et la France peuvent se développer au mieux. Plus la situation socio-économique est apaisée en France, plus la relation bilatérale est dynamique et plus il y a des chances de développement dans tous les domaines. Je suis donc à la recherche des opportunités qui permettent de développer cette relation de proximité et elles sont très nombreuses. 

 

Propos recueillis par Laurence Lemouzy