Langage RH et fiction du réel : quand les offres d’emploi écrivent autre chose que le travail
À mesure que les offres d’emploi se généralisent à tous les secteurs et à tous les niveaux de qualification, leur vocabulaire semble s’uniformiser, s’éloignant de la description concrète des tâches pour se rapprocher d’un discours de séduction et de promesse. Entre « leadership », « dynamique collective », « porteur de sens » et « pilotage stratégique », les annonces ne disent plus seulement ce qu’un poste est, mais ce qu’il voudrait faire croire. Cet article propose une tentative d’analyse de ce phénomène de grammaticalisation des ressources humaines, à la croisée du marketing du travail, de la subjectivisation des attentes professionnelles et d’une gestion symbolique des déséquilibres du marché de l’emploi. Il interroge notamment les glissements lexicaux à l’œuvre, leur impact sur la perception du travail, et leur diffusion croissante y compris dans les métiers manuels. À travers cette exploration linguistique, se dessine une question centrale : peut-on encore nommer le travail sans le travestir ?
Depuis plusieurs décennies, les offres d’emploi ne se contentent plus de décrire un poste ou de préciser des compétences attendues : elles mettent en récit le travail, valorisent des qualités comportementales, et construisent une forme d’identité professionnelle idéale. Cette évolution lexicale, d’abord marginale, est devenue centrale dans la rédaction des annonces, révélant un double mouvement : d’un côté, la nécessité croissante pour les employeurs d’attirer, voire de séduire, des profils qualifiés dans un marché devenu hautement concurrentiel ; de l’autre, une forme de déréalisation progressive du contenu des missions effectivement proposées. C’est dans cet espace linguistique, situé entre séduction, norme et décalage, que se déploie ce que l’on pourrait nommer la mise en rhétorique du travail.
Dans un marché saturé de diplômés,…
