La gouvernance participative
Cet article cherche à clarifier la notion de gouvernance participative pour voir comment elle peut être un outil approprié aux grands enjeux des prises de décisions publiques de demain. Avant de pouvoir la mettre en œuvre dans des décisions publiques sur nos territoires, nous relèverons que la gouvernance participative suppose de la méthode qui repose sur des grands principes et dimensions organisationnels. Enfin, cette pratique de gouvernance soulève des enjeux que les décideurs publics doivent savoir intégrer avant de la mettre en œuvre.
Référendum d’Initiative citoyenne, Convention citoyenne pour le Climat, Convention citoyenne sur la fin de vie, Conseil Économique Social et Environnemental, … autant d’outils ou d’instances que l’on voit se développer pour mieux associer le citoyen à la prise de décision publique. Ceux-ci relèvent de ce que l’on appelle la gouvernance participative. Au-delà de la volonté de donner une plus grande place à la participation du citoyen, pour des questions de légitimation de la décision, la gouvernance participative pose aussi la question de l’efficacité de cette même décision. Et qui dit efficacité de la décision, dit efficacité du processus. On entend par gouvernance participative, le fait de faire participer un ou plusieurs acteurs au processus de décision, en l’organisant. De fait, la gouvernance participative s’oppose à une centralisation des décisions où tous les pouvoirs seraient concentrés au sein d’une seule et unique personne, qu’elle soit physique ou morale. Concernant les décisions publiques, la gouvernance participative bouscule les processus de décision fondés sur la légitimité démocratique et institutionnelle des acteurs prenant part à la décision. Au sein de cet article, nous chercherons à nous questionner sur l’efficacité du processus de décision publique en gouvernance participative.
Dans un premier temps, nous présenterons trois éléments de contexte éclairant sur la décision publique. Dans un deuxième temps, nous approfondirons cette notion de gouvernance participative, multidimensionnelle et polysémique. Dans un troisième temps, nous verrons les enjeux soulevés par la gouvernance participative dans la pratique. Enfin, nous verrons en quoi la gouvernance participative peut être une réponse aux éléments de contexte relevés.
La décision publique face à un contexte à trois dimensions
Si l’on veut comprendre la décision publique sur les territoires, il nous faut analyser les différents éléments de contexte en lien avec les décisions publiques territoriales.
Nous en retiendrons trois :
Un contexte économique d’abord. Les marges de manœuvre budgétaires des collectivités sont de plus en plus réduites et l’année 2023 en est une parfaite illustration : perte d’autonomie fiscale, augmentation des factures énergétiques, hausse du point d’indice des fonctionnaires, dotations de l’État qui ne compensent pas le taux d’inflation… face à une contrainte budgétaire de plus en plus forte, les collectivités se retrouvent à devoir faire des arbitrages budgétaires peu rationnels parfois, où on compare des masses budgétaires incomparables parfois (confusion entre le court et long terme, coupes budgétaires d’urgence…).
Un contexte sociétal de transition. Les collectivités et leurs territoires ont un besoin et une exigence de répondre aux enjeux de transition environnementale. Parallèlement, pour répondre à ces enjeux, nous constatons une multiplication, un foisonnement d’initiatives associatives et privées sans cohérence d’ensemble sur le territoire donné.
Un contexte politique. On constate aussi en France, un besoin de démocratie avec l’apparition de listes participatives et citoyennes aux précédentes élections municipales, des mouvements citoyens nombreux à la recherche d’un sens collectif, le RIC, le mouvement des gilets jaunes…
Parallèlement à cela, nous constatons une défiance du citoyen vis-à-vis de la politique institutionnelle : pour preuve, les taux d’abstention aux dernières élections présidentielles, législatives ou même municipales qui posent un vrai problème de légitimation des décisions publiques.
Regardons maintenant en quoi la gouvernance participative peut être une réponse à ces trois éléments de contexte. Pour cela, revenons sur cette notion qui est à la fois un concept et une véritable pratique éprouvée.
La gouvernance participative, une pratique ou un concept ?
La gouvernance participative, au cœur de réflexions de philosophie politique sur la démocratie
Au fondement de la philosophie politique, on oppose démocratie directe et démocratie représentative. La démocratie directe repose sur l’atteinte d’un consensus entre tous les citoyens avant de prendre une décision à l’unanimité. Le droit à l’opposition n’est pas absent de la démocratie directe, comme le fait remarquer Godbout (1994), mais il se situe en amont de la décision, soit avant qu’elle ne soit prise, ce qui en principe oblige, du moins moralement, tous les membres à se rallier par la suite à la décision qui aura été prise.
En conclusion, si le droit à l’opposition n’est pas absent de la démocratie directe, il est quasi éliminé dès que la décision est prise, alors que dans la démocratie représentative il prend sa force dans la constance de la vigilance manifestée par les citoyens et ne disparaît jamais. Ces réflexions posent la question de la participation en amont ou en aval de la décision. Retenons aussi que la gouvernance participative s’attache à enrichir le contenu de la décision, plus qu’à s’assurer de la non-opposition à cette dite décision.
Bien distinguer participation et gouvernance participative
Quand on parle de participation, nous traitons de la participation du citoyen sans l’identifier précisément en tant que tel, ou en tant qu’acteur. Quand on parle de gouvernance participative, nous verrons qu’il y a en amont une nécessaire identification des acteurs qui prennent part à la décision (personne physique, personne morale, publique ou privée, institution…).
Une notion éprouvée en pratique en intra-organisationnel
La gouvernance participative a depuis longtemps été éprouvée au sein de coopératives, mais aussi dans l’ESS. Par ailleurs, on observe de nouvelles tendances managériales fondées sur cette intention de participation du salarié aux prises de décisions. Toute la question est de savoir comment retranscrire ces pratiques dans la prise de décision publique. Cela suppose de savoir retransposer des modes d’organisation issus de pratiques intra-organisationnelles en inter-organisationnelles entre divers acteurs d’un territoire.
Ne pas se perdre dans la multiplication des notions plus ou moins proches.
Quand nous nous intéressons à la question d’une plus grande participation des acteurs au sein d’une organisation, on relève une multitude de notions plus ou moins proches : cogestion, holacratie, sociocratie, entreprise libérée… Le schéma ci-après recense toutes ces notions.
Ici, nous avons recensé ces notions ou pratiques organisationnelles sans chercher à les comparer. Retenons surtout que la gouvernance participative se situe au cœur de ces différentes notions. Par ailleurs, la multiplication des concepts et pratiques participatives contribue à alimenter un flou sur la notion même de gouvernance participative. Cela participe à la difficulté à identifier la gouvernance participative comme un objet politique ou de droit public. Pour répondre à cette difficulté, nous proposons de clarifier et structurer cette notion à la fois dans ses principes, mais aussi dans sa mise en œuvre.
Six grands principes à retenir dans la gouvernance participative.
- 1er principe : la gouvernance participative cherche à concilier efficacité économique et efficacité sociale (Héritier, 2010). Il n’y a donc pas d’opposition de principe ou de dilemme entre ces 2 formes d’efficacité.
- 2e principe : la gouvernance participative repose sur l’horizontalité et le partage du pouvoir (Wilcox, 2003).
- 3e principe : ce partage du pouvoir s’organise autour de la recherche d’intelligence collective par la complémentarité des parties prenantes (Le Loarne-Lemaire et Noël-Lemaître, 2014). Ici, on parle plus de parties prenantes que du « citoyen » au sens large du terme, dont les contours sont parfois difficiles à appréhender dans la gestion de la cité.
- 4e principe : au-delà de la complémentarité, il s’agit aussi de pouvoir organiser la prise en compte des intérêts des divers acteurs concernés par leur participation plus ou moins active (Héritier, 2010).
- 5e principe : diversité d’acteurs publics et privés. La gouvernance participative n’oppose pas public et privé mais s’appuie au contraire sur leurs collaborations, même si c’est à destination de services publics.
- 6e principe : il s’agit d’alimenter l’élaboration d’une compréhension commune des problématiques (Pimbert et Pretty, 1995).
Deux dimensions pour mettre en œuvre une gouvernance participative
La gouvernance participative, c’est d’abord et avant tout de la méthode qui s’appuie sur une réflexion sur les processus de décisions. Cette méthode repose d’abord dans une compréhension et analyse de 2 dimensions sous-jacentes : l’étendue de la participation et la profondeur de cette participation.
L’étendue de la participation : cette dimension oblige à réfléchir au nombre et à la diversité des acteurs sollicités. Il faut trouver le juste équilibre entre nombre d’acteurs et diversité. Cet équilibre s’appuie sur la recherche de complémentarités des acteurs. Il faut éviter de tomber dans une recherche quantitative au nom de la représentativité de l’ensemble des diversités, au risque de ne plus pouvoir organiser un processus de décision efficient. Se posent aussi les questions des moments et de la fréquence de la participation des acteurs. Finalement, l’étendue de la participation cherche à répondre à 4 points de questionnement : la légitimité des acteurs sollicités ; leur complémentarité ; leur nombre ; leur disponibilité.
La profondeur de la participation : ici se pose la question du degré d’influence accordée aux acteurs, ou leur niveau de participation. On relève différents degrés : simple consultation, négociation, concertation (Roy et Damart, 2002 ; Bérard, 2013). Si l’on rentre plus dans le détail nous relevons précisément 6 degrés de participation (Mannigel, 2008) ci-après.
Finalement, ces deux dimensions, étendue et profondeur de la participation, sont au cœur de l’opportunité d’utiliser la gouvernance participative dans la décision publique.
Elles obligent en amont à se questionner sur l’échelle du territoire concerné par la décision. Aussi, elles obligent à se questionner sur le problème à résoudre ou le projet à mettre en œuvre sur le territoire concerné.
Abordons maintenant les différents enjeux et risques soulevés par le choix d’une gouvernance participative.
Les enjeux et risques soulevés par la gouvernance participative
Un enjeu d’acculturation. La gouvernance participative suppose un changement de culture organisationnelle pour passer d’une logique de « Top down » à « Bottom up ».
Un enjeu organisationnel. Lorsque l’on réfléchit à des nouveaux process de décision, il s’agit de repenser une gouvernance agile sans bureaucratiser. Il faut donc pouvoir créer un cadre qui soit à la fois explicite, clair, mais aussi agile et évolutif.
Un enjeu lié au rôle de l’élu. La gouvernance participative suppose de repenser le rôle de l’élu. Plutôt que décideur unique, l’élu devient organisateur et animateur de la décision. Cette réflexion sur le rôle de l’élu est souvent bien avancée au sein des communes participatives.
Un enjeu de délimitation des territoires. Autant il paraît relativement aisé de mettre en place de la gouvernance participative sur un territoire identifié institutionnellement, comme une commune. Autant, cela semble plus difficile lorsque le découpage de territoire institutionnel n’est pas toujours en phase avec les enjeux de transition (Ex : un territoire côtier).
Un enjeu de coût d’agence. Bien entendu, la gouvernance participative continue à poser un problème de coût de coordination ou d’agence entre différents acteurs sollicités. Il s’agit donc d’organiser cette gouvernance afin de limiter les coûts de coordination.
Un enjeu de valeurs communes entre les acteurs du territoire. Pour imaginer une gouvernance participative, il faut d’abord pouvoir construire ou s’appuyer sur des valeurs et attentes partagées entre les acteurs concernés par cette gouvernance nouvelle.
Risque d’effet contre-productif si le processus n’est pas mené entièrement. Si nous prenons l’exemple de la convention citoyenne pour le climat, 150 propositions ont émergé de ce travail. Ce temps participatif et démocratique riche ne s’est pas traduit par la prise en compte de l’ensemble des décisions, ni dans leur contenu ni en nombre. Finalement, cette gouvernance participative floue sur la profondeur de la participation, a contribué à de nombreuses désillusions de la part du citoyen sollicité.
Risque de « participation washing ». La gouvernance participative peut aussi faire l’objet d’une communication excessive de la part des décideurs publics en recherche de légitimation. Illustrons ceci par l’exemple des budgets participatifs que l’on voit fleurir dans chaque commune de France. Ces budgets partent sans doute d’une bonne intention. Cependant, on constate la plupart du temps des budgets dont le montant est extrêmement peu élevé au regard de la communication qui peut en être faite (parfois moins de 0, 1 % d’un budget annuel). De plus, parfois, les projets financés n’auraient pas besoin obligatoirement de l’expertise et de la participation citoyenne (ex : reverdir une place pour lutter contre les îlots de chaleur).
Finalement, la gouvernance participative semble être une réponse adaptée aux trois éléments de contexte que connaît toute décision publique. Face au contexte économique d’exigence budgétaire, elle cherche à rendre les processus de décision efficients ; face aux enjeux de transition, elle semble être la réponse pour faire collaborer des acteurs pertinents. Enfin, la gouvernance participative permet de relégitimer les décisions politiques. La loi propose déjà une multitude d’outils de dialogues et de participation citoyenne. Cependant, les acteurs publics ne s’en emparent pas toujours, ou alors, mal. Si on prend l’exemple du code de l’environnement, il propose une multitude d’outils de participation du public sur des projets de tout ordre, dans le cadre de l’évaluation environnemental de ces dits projets. En amont, il y a la possibilité de débat public, concertation ou conciliation ; en aval il existe l’enquête publique. Cependant, même si ces outils existent, peu de choses sont dites sur la façon dont on procède dans le processus de décision. La vraie question n’est donc pas de savoir s’il existe des outils ou règles de participation. Il s’agit surtout de voir comment on organise le processus de décision au sein de ces règles. C’est une question de culture de dialogue et de participation, à acquérir encore par les décideurs publics. Cette culture suppose de s’appuyer sur des principes organisationnels, qui intègrent eux-mêmes des réflexions et principes psychosociologiques de bonne gouvernance.
David Ospital
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